Christian Godin, l’histoire en phase terminale. PUF, 2025
Christian Godin, l’histoire en phase terminale. PUF, 2025
On doit à Friedrich Schiller cette phrase quasi prophétique qui résume de manière lapidaire le thème qui nous occupe : Die Weltschichte ist das Weltgericht (l’histoire du monde est le tribunal du monde...) Elle marqua aussi une préoccupation, peut-être la plus cruciale qui soit, celle d’une fin de l’histoire. Sans que nous sachions si on peut donner un sens à cette expression et, dans l’affirmative, si elle est à la portée des humains que nous sommes.
Qu’est ce que l’histoire ? Est-ce une invention d’un cerveau humain par trop fertile ou existe-t-elle réellement au-delà des limites de notre intellect occidental ? On s’arrête rarement sur l’expression hébraïque du prophète Isaïe (VIIe siècle avant l’ èe chrétienne) généralement mal traduite par : le fin des temps. Certes, il y a un peu de cela mais pas en totalité. Littéralement c’est : vers la fin des jours» (aharit ha yamim). Pa chance pour nous, les versets suivants nous éclairèrent un peu plus. A ce moment là, donc à la f in, si l’on Veut, la montagne du Dieu d’Israël sera plus élevée et tous les peuples y conflueront.... Ils viendront demander l’aide divine. Donc, dans ce contexte hébraïque le problème de la survie de l’humanité ne se pose pas. L’humanité aborde simplement une ère nouvelle, faisant penser à ce qu’son pourrait d’identifier comme la fin de l’hirsute. Une humanité nouvelle débarrassée de ses souillures et de ses péchés... Mais dans le contexte du présent outrage, cette note religieuse est presque absente.
L’auteur a eu l’élégance de nous informer en termes clairs de la nature de son projet : «L’expression de phase terminale» retenue pour cet essai a l’avantage d’insister sur la durée indéterminée de cette fin qui est de l’ordre du fait et non de l’événement.
Et un peu plus loin, on peut lire ceci : L es dinosaures qui ont fini par disparaitre à la suite de la chute d’un astéroïde su terre ne vivaient pas dans une fin de l’histoire.
Voici en quels termes, l’auteur conclut son premier chapitre introductif : la survie de l’humanité est la question centrale de notre temps au regard de laquelle les autres questions semblent locales, voire marginales. Et en même temps, c’est la question la plus difficile, la mort, comme la fin, échappant à toute saisie.
Une lecture attentive de ces deux chapitres sur l’essence du sens et de la finalité atteste de la complexité de ces problématiques. On remonte à Hérodote et à Thucydide pour montrer que cette idée d’histoire avec ou sans H majuscule sépare l’humain des autres créatures : l’animal n’a pas de tradition donc pas de passé, seul l’homme dispose d’un avenir. L’action humaine se conçoit avec une finalité, un sens, même si l’immensité de la tâche est indéniable. Hegel, je crois, a émis cette définition de l’histoire, ce gigantesque réel en devenir qu’est l’Histoire...
Mais comment assigner à cette masse désordonnée un sens, une fin, un but alors que cette masse est traversée par tant de contradictions ? Pour Hegel, ce n’est pas une difficulté insurmontable puisque seul s’impose la marche vers l’esprit qui prend conscience de lui-même sous la conduite incontestée de la raison universelle . La nature doit se contenter d’un futur tan disque l’homme peut se projeter dans quelque chose de nouveau, à savoir un avenir. L’animal ne le peut pas. Il n’a pas, non plus, de tradition puisqu’il ne rassemble pas ce qui est son passé. Il n’en a pas conscience. Son rapport au temps et à la temporalité est sérieusement affecté par cette limitation. L’existence du temps st cordonnée par l’existence d’une conscience qui permet de le vivre et de le mesurer Partant, l’existence du temps dépend d’un humain qui en en prend conscience. Mais dans l’absolu, le temps n’existe pas, si ce n’est face à une humanité qui l’intègre à son agenda et en tire des leçons. On lit au début du second chapitre un aphorisme de Nietzsche selon lequel l’histoire pourrait n’être «qu’un préjugé occidental»
Je me souviens avoir lu chez Théodore Lessing, l’auteur de la Haine de soi, le l refus d’être juif.... des spéculations sur le sens de l’histoire. Qu’est ce qui se cache derrière cela, un dessein divin, par exemple ? Ou tout autre chose...
A partir des pages 68 et suivantes, l’auteur se demande si l’histoire est une invention juive. Difficile de répondre à une telle question sans entrer au moins un petit peu, dans les détails.
Je renverrai pour ma part aux travaux de Martin Noth qui a détaché du canon biblique une série de livres bibliques qu’il nomme dans sa langue, ein Geschichtswerk, œuvre d’histoire. Il recense 7 livres bibliques auxquels le Deutéronome sert d’introduction. Ensuite les autres livres qui accordent un certain intérêt à l’œuvre historique : le livre des Juges, le livre de Josué, les deux livres de Samuel, les deux livres des Rois. Cet ensemble est censé répondre à la question posée, l’histoire est elle une invention juive ? D’une certaine façon la réponse est positive puisque les événements qui y sont décrits le sont selon un certain prisme car ils sont ordonnés à une providence divine. La Bible procède à une lecture théologique de l’histoire. Le maître d’œuvre n’est autre que Dieu et c’est lui qui fait naitre (roldot, engendre). Il existe une autre notion qui relève directement de la conduite divine, c’est la Providence. Et cette dernière semble exclure tolite contingence pour la bonne raison que le maître à bord demeure Dieu et lui seul.
L’histoire aurait alors un sens et une fin : elle comporte l’effectuation d’un cycle voulu par une instance divine. C’est pour cette raison que l’on ne parle pas d’histoire tout court, mais de Heilsgesschichte, histoire du salut. Ce qui a un commencement a aussi une fin. La fin dans un tel système n’est autre que le règne de Dieu sur terre au terme d’une longue histoire semée d’embuches...
Le livre du Deutéronome, le livre de Josué, les Juges, les deux livres de Samuel el et les deux livres des Rois : telle serait l’ossature de l’histoire au sein de la Bible hébraïque, selon le montre de la critique biblique, Martin Noth..
Selon le découpage de Martin Noth qui effectuait dans le plus grand isolement ses recherches au cours de la Deuxième Guerre mondiale, les rédacteurs de la littérature biblique concevaient l’existence d’une Histoire universelle centrée autour d’un peuple particulier, le peuple d’Israël. Toute la question dimère pourtant la même ; qui est ce peuple élu ? Qui est le verus Israël ?
On pourrait approfondir toutes ces problématiques évoquées dans ce livre si riche et si passionnant. Une critique, cependant, qui se veut constructive : les renvois aux notes infra- paginales est trop systématique tout en demeurant fort instructif. Je me réserve la possibilité d’y revenir encore un peu pour certaines questins posées.