Le baptême ou la mort, Les massacres des juifs dans l’espace rhénan à partir de chroniques hébraïques sur les croisades (XO-XII sicles) ; Textes hébreux établis et traduits par René Gutman et présentés par Anne-Martin Certin.
Le baptême ou la mort, Les massacres des juifs dans l’espace rhénan à partir de chroniques hébraïques sur les croisades (XO-XII sicles) ; Textes hébreux établis et traduits par René Gutman et présentés par Anne-Martin Certin.
Edition de l’éclat. 2025
On ne peut qu’être impressionné par ce beau travail, fourni par deux connaisseurs du sujet, un sujet qui i n’est pas facile, tant au plan de la forme qu’au plan du fond. Pour mla part, il m’a rappelé des souvenirs remontant au tout début des mes études. C’était dans des séminaires animés par deux grands savants de l’histoire juive, notamment du Moyen Age : Bernhard Blumenkjranz et Gérard Nahon....
J’ai eu la satisfaction de retrouver dans ce livre Une expression que Blumenjranz m’avait apprise, parlant de l’histoire juive : lacrymale (page 41), c’est -à-dire une vision non scientifique de l’histoire, mais destinée à f faire couler des l’larmes. Par cette expression, le maître nous faisait comprendre que les exigences de l’historien devaient être respectées et que les sentiments ne devaient pas prévaloir : le regard de l’historien et les sentiments du rédacteur et du lecteur ne devaient pas se correspondre. Faute de quoi, ce n’était plus de l’histoire.
C’est de la bouche de ce même grand savant que j’entendis pour la première fois parler de Jospeh ha-Cohen et de sa Vallée des larlémes (Emék ha-Bakha) . Et aussi du Sefer guezérot Asknénaze we Tsarfat dans l’édition d’Abraham Habermann,. (ici page 15, fin de la note 24).
Un mot sur le forme et le style de ces chroniques : leur modèle, la matrice générale qui caractérise ces narratifs provient évidemment de la littérature biblique où ne manquent pas les élégies , es brochures pénitentielles.
Les vallées rénales ont été résumées par les abréviations juives et hébraïses : CHOUM pour Spire, Mayence et Worms... Les dates comme Tatnou, 1096, début de la première croisade de cette même année...
Ces quelques souvenirs personnels pour dire combien cette belle édition me touche et suscite un grand intérêt. Ce tandem d’un excellent médiéviste et d’une excellente historienne fait merveille. En parcourant des notes si abondantes et si nombreuses, j’ai aussitôt pensé au livre d’une érudition écrasante de Moritz Steinschneider. (Les traductions hébraïques au Moyen âge et les juifs en tant t que traducteurs.)..
Je n’entrerai pas dans les détails des textes traduits car cela nous mènerait trop loin, et, de plus, les notes et les analyses des deux éditeurs sont amplement suffisantes. Il reste un point que l’on doit éclaircir même si les commentaires de nos collègues sont très éclairants : faut il prendre au pied de la lettre tout ce que nous lisons et que notre ami René Gutman a si bien traduits ?
Il est incontestable que sur le fond, les chroniques reflètent la vérité historique : les persécutions sanglantes, les pressions pour extorquer de l’argent en soutirant des lettres de crédit (sic) à présenter aux autres communautés juives sur le passage des hordes de croisés... Cela devint si préoccupant que les juifs ajouteront à ces fameuses dettes de reconnaisse, près de la signature , deux lettres de ’l'alphabet hébraïse : aleph et Gimel, abréviation : onèss gamour, sous la contrainte absolument.... Forts e cette attestation, les juifs pouvaient se plaindre au potentat local et confondre leurs accusateurs.
Un mot sur les formes stylistiques de toutes ces chroniques : leur modèle, la matrice générale qui caractérise ces narratifs provient évidemment de la littérature biblique où ne manquent pas les élégis, les brochures pénitentielles, les complaintes, les prières funéraires, , et toutes sortes de textes pleurant les victimes innocentes, les conversions forcées et les massacres en général.
Les auteurs qui ne sont pas tous des témoins visuels des massacres commencent par situer les faits au plan chronologique. Ils partent de la création du monde, de la destruction du Temple de Jérusalem, parfois aussi de telle fête juive ou telle autre. Exemple : la veille de Pessah, la Pâque juive...
Même si toute cela repose sur des souvenirs parfois variables, ces chroniqueurs se veulent respectueux de la vérité historique., à laquelle ils avaient pu avoir accès. Guère plus. Pour reprendre une parole de Albert Camus, ils sont animés par l’obstination du témoignage. Au plan théologique ils ne s’en prennent jamais au Créateur mais s’attribuent à eux-mêmes et aux contemporaines la survenue de tous ces châtiments, un peu comme dans le livre de Job ou le livre des Proverbes.... Mais cela ne change rien à leur volonté de mourir pour la sanctification du Nom divin. En termes plus clairs, ils préfèrent la mort au déshonneur du baptême. On peut lire mains passages où des femmes d’un certain âge offrent leur gorge aux couteaux des assassins, sans trembler.
Mais en gros, ces chroniques sur les massacres qui ont accompagné les croisés, venus de route l’Europe, ne prétendent pas fournir une «histoire juive » de cette époque, faute de documents datés et plus précis. En revanche, ces chroniques relatent bien le calcul des croisés qui se disent qu’ils peuvent déjà tuer les juifs qui sont encore à leur portée avant de raser le même sort à leurs frères résidant en Terre sainte.
Le reste des chroniques est de la même veine. La volonté d’en finir une fois pour toutes avec les juifs, coupables de déicide. Accusation dont on ne lavera les juifs que plus d’un millénaire plus tard. Durant ce temps, les juifs ont subi les pires châtiments.
Si vous en avez le courage, lisez ce livre, mais à petites doses...