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Nassim El Kabli,  Le« vrai» métier des philosophes. Fayard, 2024.

Nassim El Kabli,  Le« vrai» métier des philosophes. Fayard, 2024.

Nassim El Kabli,  Le« vrai» métier des philosophes. Fayard, 2024.

 

Ce sympathique petit ouvrage traie d’un sujet fort important, sans en avoir l’air. C’est ainsi que je l’ai accueilli, bien qu’il me fût envoyé sans demande de ma part. Ce qui ne m’empêche pas de lui accorder toute l’attention qu’il mérite. La remarque initiale(sur la philosophie, considérée comme une activité égale aux autres, à part entière, qui a donné naissance à ce livre issu de quarante émissions sur France-Culture, ne laisse pas d’étonner et d’être banale, à la fois.

 

Si quelqu’un vous répond qu’il est philosophe alors que vous lui avez simplement  demandé quel métier il exerce vraiment pour magagner sa vie, une fois sur deux vous spécifiez sa réponse pour en savoir plus ; car, visiblement, il ne prend pas la philosophie au sérieux. D’où la question que se sont posée tant de gens : mais, à part ça, que faites vous vraiment pour gagner votre vie, avec ou sans guillemets ?

 

Philosopher ne serait donc pas un métier comme les autres, suis-je tenté de dire... En fait, depuis l’antiquité grecque, l’activité philosophique n’était pas incarnée par des professeurs de philosophie lesquels sont appointés pour les récompenser de l’activité qu’ils exercent. Et dans ce cas précis, être professeur de philosophie n’est qu’un aspect de la réponse à la question. Enseigner la philosophie, et nous parlons en connaissance de cause, c’est traiter un programme, souvent imposé de l’extérieur. Et puis, il y a une différence essentielle  entre un Spinoza qui devint polisseur de verre et refusa une chaire de philosophie à l’université de Heidelberg, à la seule fin de continuer son authentique réflexion philosophique, à l’abri de toute pression ou tutelle,  et léguer aux archives mondiales de la philosophie l’art de penser, de philosopher. Si paradoxal que cela puisse paraitre, il y a une différence majeure entre faire de la philosophie d’une part, et en vivre, d’autre part . Pourtant, l’adage de la sagesse populaire nous dit de veiller à manger d’abord et de philosopher ensuite.

 

Ce petit livre m’a rappelé un fait, appris lors de mes années d’études germaniques : C’est Schiller, homme de lettres, auteur fécond et prolifique, qui, pour survivre matériellement, est devenu professeur de philosophie à l’université de Iéna. Et dans sa leçon inaugurale  (akademische Antrittsrede), il traite en quelques lignes le sujet de l’auteur : il établit une différence entre l’esprit philosophique (der philosophische Kopf), l’homme qui philosophe vraiment, s’intéresse à tout sans arrière-pensée, sans programme prévu d’avance, mais suivant le cours de sa réflexion là où elle veut bien le mener. Face à ce génie, véritable incarnation de l’idéal socratique il y a   l’échantillon d’une tout autre espèce, celui qui investit sa science philosophique pour assurer sa maigre pitance et que Schiller appelle, avec une certaine dureté,  le savant qui vend ou monnaye sa science, faute de quoi il mourrait de faim : der Brotgelehrter. Il n’a rien d’autre à vendre, ni à proposer. Brot signifie le pain, la nourriture...

 

Ce syntagme est né au XVIIIe siècle, sous la plume de Schiller, je ne l’ai jamais rencontré ailleurs. Si j’ai choisi de m’y référer en premier lieu, c’est parce qu’il témoigne de manière vivante ,de cette opposition entre le philosophe, digne de ce nom, et celui qui en fait une activité rémunérée, au motif qu’il ne peut rien faire d’autre.

 

Mais cette opposition entre deux cultures, deux  mentalités  nous apparaît d’une autre façon, dans une tradition autre que la tradition grecque ; il s’agit de la Bible hébraïque qui n’hésite pas à formuler cela sans  ménagement : il vaut mieux être un imbécile qui est servi qu’un prétentieux qui meurt de faim (Proverbes 12 ;14). C’est bien là le drame du philosophe, contraint de  se vendre pour survivre... On peut même revenir au cas de Spinoza qui est mort d’une maladie  pulmonaire car il avait inhalé une forte quantité de poussière bouchant les alvéoles de ses poumons. S’il avait accepté la chaire à l’université de Heidelberg, il aurait survécu et aurait probablement accru l’œuvre dont la postérité profite depuis sa mort et même bien avant.

 

Le chapitre consacré à Montaigne, maire de Bordeaux ‘a vivement intéressé car il pose la question des rapports entre le pouvoir et la philosophie, dans un contexte de philosophie politique. Au Moyen Âge, les penseurs juifs, musulmans et aussi chrétiens ont intégré cette problématique de la gouvernance : tous ont opté pour le régime de la vie en société ; le seul à avoir décliné cette offre, par sa déviation individualiste, fut Ibn Badja, en latin Avempace. Pour lui, demeurer proche de mauvaises gens peut comporter des dangers. D’où la nécessité de s’esseuler. Son œuvre majeure Tadbir al-moutawahéd (Le régime du solitaire) a été traduite en latin et en hébreu durant la période médiévale. Le philosophe doit-il gouverner la société ? Il faut voir cela de près...

 

Je n’ose pas parler de deux penseurs que j’ai toujours très bien appréciés, à savoir Sören Kierkegaard et Friedrich Nietzsche. Cela nous mènerait trop lotion. Le penseur danois était à l’opposé de la pensée de Hegel qui dominait alors la scène philosophique germanique, au sens le plus large. Il se voulait, avant tout, un penseur religieux, une sorte de pasteur luthérien qu’il n’a jamais pu devenir. Ce qu’il dit des rapports entre la foi et la philosophie est remarquable. Notamment dans Crainte et tremblement où il fait l’exégèse de la ligature d’Isaac..

 

Ce livre met à la portée du grand public un grand nombre d’auteurs qui, parallèlement à leur intérêt pour la spéculation philosophique ont dû embrasser d’autres carrières, le plus souvent, dans le seul but de survivre...

 

Commentaires

  • Maimonide gagna sa célébrité comme théologien et philosophe en rédigeant principalement le guide des égarés et son monument législatif qu'est le michné thora, la nourriture de l'esprit.
    Il gagna son pain avec l'exercice de la médecine, la nourriture du corps.
    Okhel nefech ve okhel hagouf sont prescrites par la thora; d'où la nécessité de la nourriture spirituelle et de la nourriture physique.
    Spinoza qui avait lu le Guide des égarés de Maimonide en fit autant,en se spécialisant dans la fabrication de verres optiques;

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