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  • Mathilde  Levesque,  Dictionnaire amoureux de l’éloquence. Plon 2022.

    Mathilde  Levesque,  Dictionnaire amoureux de l’éloquence. Plon 2022.

     

    Dès les premières pages de ce livre, voire dès les premières lignes, j’ai su que j’aimerai ce livre. Son auteur, enseignante dans un établissement scolaire public en Seine-Saint-Denis, alors qu’elle est agrégée de lettres modernes et titulaire d’un doctorat de IIIe cycle . Et que fait-elle, d’emblée, dès les premières pages ?, Elle proclame dédier son livre à ceux qui n’ont jamais la parole parce qu’ils ne savent pas parler et à ceux que l’on n’écoute jamais alors qu’on le devrait...

     

    Elle pense évidemment aux enfants de milieux défavorisés  qu’on lui confie pour qu’ils apprennent, pour qu’ils se développent et conquièrent, même de haute lutte, le droit à la parole et à l’exigence d’être enfin entendus. Le tout sans violence ni complaintes. Cela méritait d’être dit et même d’être souligné car il est arrivé dans l’Histoire que la rusticité vainque l’éloquence...

     

    Évidemment, mes choix sont subjectifs, je n’ai retenu dans compte-rendu que ce qui me disait  quelque chose ; un autre aurait opéré d’autres choix.

     

    Comme tous les dictionnaires, on commence par la lettre A, la première de l’alphabet, ce qui tombe bien puisqu’on y examine le terme accent. Toutes les régions de France, d’Allemagne ou d’Angleterre, pour ne citer que ces trois aires linguistiques, réalisent à leur façon les consonnes et les voyelles. Il arrive qu’une certaine élite se gausse de ceux qui se distinguent par un parler qui provoque notre hilarité. Par exemple, rouler les r, les grasseyer, etc... On peut en déduire une certaine hiérarchisation sociale, ce qui est généralement considéré comme une injustice. On néglige trop la sociolinguistique... 

     

    Évidemment, je ne peux pas m’arrêter sur toutes entrées de ce beau dictionnaire. Il y a différentes manières de s’adresser à un public. SI vous voulez émouvoir l’auditoire, vous n’adopterez pas un style enjoué ou guilleret ; si, au contraire, vous voulez toucher le cœur de vos auditeurs, plus que leur intellect, vous adopterez un ton plus subtil, plus délicat, presque intimiste. Déjà votre voix trace  la ligne-frontière entre les différents styles : cela, les enseignants le savent bien puisque leur voix est principalement leur instrument de travail. Un cours  sur les guerres napoléoniennes n sera pas scandé comme un cours de biologie ou de philosophie...

     

    Nous sommes toujours au cœur du sujet, en dépit des apparences. Ce qui constitue l’éloquence, c’est dire ce qu’on veut dire, de la meilleure des façons, sans style affecté ni emprunté, ni ampoulé. Il faut, adopter un système qui donne envie aux gens de vous écouter, faute de quoi, l’échec est garanti. Tous le monde en France se souvient de la voix haut perchée d’une Première Ministre Édith Cresson, nommée par Mitterrand. Le message n’est pas passé et a même suscité une hilarité générale. A l’évidence, En moins d’une année, le président mit fin à l’expérience... il y eut une dissociation entre la voix de l’oratrice et le contenu de son discours. Il fallait prendre la voix d’une militante, répéter les articles les plus importants et modifier l’énoncé des syllabes, accentuées ou inaccentuées. Pour finir, l’effort d’adaptation est indispensable.

     

    Je reviens un instant dur la remarque d’un élève qui se demande si l’appellation immortels pour les membres de l’Académie française s’explique par l’absence de toute vie dans leur existence... C’est un peu dur mais c’est ainsi...

     

    On lit ici la même sensibilité politique quand il s’agit de cette jeune Africaine, partie de rien, mais qui s’était  juté de gagner un concours d’éloquence, et ultérieurement, de devenir médecin. Ce double pari fut tenu ; preuve que rien ne résiste à la volonté. Il est vrai que de telles réussites sont rares... même en Seine-Saint-Denis.

     

    La belle langue est une composante incontournable de l’Antiquité gréco-romaines. Le latin et le grec sont incontournables pour produire de la prose de qualité : bien dire et produire un contenu intelligent. Si l’on jette un regard rapide sur les dialogues platoniciens, on comprend immédiatement l’importance dévolue à l’éloquence, qu’il convient de ne pas confondre avec la rhétorique. Le texte produit, que ce soit de la prose ou de la poésie, doit paraître naturel et non convenu par des règles appliquées mécaniquement.  

     

    L’éloquence se retrouve aussi dans l’opposition entre les hommes de culture et les incultes : impossible d’être éloquent si vous ignorez les rgèles grammaticales qui assurent l’intelligibilité de votre discours...

     

    S’il est une profession (une vocation ?) où l’éloquence dispose obligatoirement de son emplacement institutionnel (Sitz im Leben), c’est bien les fonctions d’avocat. Il existe un concours qui est très couru, avec tant de candidats mais peu d’élus, c’est celui qui permet d’accéder au grade de secrétaire de la conférence. Et cela montre que lorsque l’on sait s’exprimer, en tout cas mieux que le défenseur de la partie adverse, on gagne le procès de son client. L’éloquence a ici une dimension supplémentaire puisqu’elle est mise à contribution dans des problématiques purement juridiques. Si l’on cherche le cas d’un avocat qui a brillé par sa qualité juridique  et le choix de formules qui ont fait mouche, c’est bien Robert Badinter... On se souvient de sa plaidoirie pour l’abolition de la peine de mort et de la terrible métaphore : un homme coupé en deux... Même les partisans de la peine de mort en furent ébranlés dans leurs convictions en faveur de la peine capitale. Cette profession, la noblesse de robe avait trusté une grande partie des postes politiques des pays démocratiques. Tant de Premiers ministres et de présidents étaient originellement des juristes...

     

    Je ne suis pas vraiment étonné de trouver une entrée consacrée au bégaiement. Un bègue peut il être éloquent ? Et de citer le cas d’un patient célère, celui qui allait devenir roi d’Angleterre, suite à la démission de son frère : comment s’adresser à la nation tout entière quand on ne peut pas aligner  deux phrases, l’une après l’autre, sans bégayer...  Ce fut le cas du roi Georges VI...

     

    Le terme caricature, après l’assassinat de notre collègue, le professeur Samuel Paty, rappelle de terribles souvenirs. Une caricature peut être éloquente, servir son objectif initial ou ne pas réussir à figer l’esprit humain. Et ce figement a coûté la vie à un enseignant compétent et dévoué, désireux de libérer des préjugés et du fanatisme les jeunes esprits qu’il avait la charge d’éduquer et de former sur bien des plans. On connait la suite. Les mots peuvent tuer et on en a eu la preuve aussi avec Charlie-Hebdo

     

    Quel rôle joue la persuasion ou l’art de convaincre dans l’éloquence ? Il faut, pour convaincre et emporter l’adhésion de quelqu’un un argumentaire clair, limpide, présentable. Mais il faut aussi se méfier des sophistes, ce que Platon a bien voulu faire..

     

    Les mots jouent un rôle considérable dans certaines circonstances, notamment lorsqu’une personne veut se convertir à une autre  religion que celle dans laquelle il est né.  Chaque religion a ses expressions pour l’abjuration et  l’adhésion à sa nouvelle foi ... Quelques mots suffisent pour cela, alors que les sentiments éprouvés sont tout de même plus importants. Bien plus que les expressions stéréotypées.

     

    Le terme débat est évidemment traité car c’est bien dans cette situation contradictoire que l’éloquence joue le rôle de la languette compensatrice de la balance  : si vous parlez bien, vous gagnez, autrement la cause que vous défendez (mal)  est perdue pour vous et pour ceux qui vous ont engagés.

     

    La grandiloquence fait partie d’un dictionnaire amoureux de notre époque. L’évolution sémantique de ce terme doit retenir l’attention. A l’origine, le terme est connoté positivement, par la suite, vers les XVII-XVIII siècles, il passa pour une imitation grossière de l’emphase. Grandiloquence fait penser à boursouflure, le contraire de grandeur.

     

    Victor Hugo fait partie des entrées de ce dictionnaire et on le comprend aisément.

     

    J’invite les lecteurs à lire ce livre, même à petites doses et article par article, selon l’intérêt ou l’affinité de telle ou telle entrée. IL m’est parfois difficile de rependre à mon compte un tropisme un peu tiers-mondiste de l’auteure. Mais je reconnais volontiers qu’elle a bien préparé son affaire. On ne peut pas lui reprocher certains partis pris, même ‘sils sont parfaitement légitimes de son point de vue. Mais lisez ce livre, parcourez le comme bon vous semblera.

     

     

     

     

     

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  • Monique Canto-Sperber, Une école qui peut mieux faire. Albin Michel, 2022.

    Monique Canto-Sperber, Une école qui peut mieux faire. Albin Michel, 2022.

     

    L’auteure ajoute un sous-titre prônant l’octroi d’une large autonomie aux établissements scolaires publics. Je rappelle qu’il s’agit d’un rejet en bloc du conformisme et de l’égalitarisme. Mais ce qui frappe le plus, c’est que MCS fait presque part de son désir de prendre en charge toute l’éducation nationale, tant son projet, intelligent et novateur, relève des compétences d’un véritable ministre de l’enseignement et de l’éducation.

     

    L’égalitarisme est responsable de bien des maux de l’éducation nationale ; pour tout observateur impartial, non guidé par des visées idéologiques, le diplôme de fin d’études acquis dans un établissement de l’est ou du nord du pays n’a pas la même valeur que le même diplôme acquis dans les grands lycées parisiens... Et cette remarque fait bondir d’indignation les partisans du centralisme jacobin et de l’égalitarisme, convaincus qu’on en est encore au temps de la Révolution où le maître-mot était le bannissement les privilèges et la production de clones républicains. On appréciera l’image du vers de Virgile étudié par tous les élèves au même moment de l’année, car c’était prévu dans le programme...

     

     Le monde a changé, les besoins de la France ont changé, l’hétérogénéité de la société française a détrôné l’homogénéité des premières décennies du XXe siècle : MCS donne des statistiques qui montrent qu’on a changé d’époque. Cette fiction que tous disposent de la même égalité des chances est un véritable mythe qui n’a que trop duré.

     

    MCS parle aussi d’une réorganisation en profondeur frappée au coin du bon sens mais qui ne verra jamais le jour dans notre pays, tant celui-ci n’osera jamais s’en prendre aux vaches sacrées que sont l’uniformisation, la pesante tutelle de l’État et de ses fonctionnaires qui sont là pour ramener dans le droit chemin ceux qui ont l’imprudence de s’en écarter. Si j’osais, je dirais que cela fait penser aux réformes de la fiscalité, de la retraite, de la justice, de l’enseignement etc... qui ne verront jamais le jour.

     

    Le moule d’une éducation nationale fonctionnarisée, avec son armée d’inspecteurs en tout genre, ses recteurs d’académie, ses censeurs, ses chefs d’établissement appartient au passé, même si d’aucuns s’entêtent à le faire marcher, faute de mieux... Quand vous voyez comment se fait l’affectation des nouveaux enseignants dans l’établissement public censé les accueillir, vous ne pouvez que lever les bras au ciel... Et même le mode d’échange, de collaboration entre les enseignants, censés participer au même projet éducatif, nous laisse songeurs. Il faut de l’autonomie, ce que MCS réclame à cor et à cri sur près de deux cents pages...

     

    Le constat peut paraitre sévère mais il se justifie. Et  MCS a raison d’expliquer de manière détaillée qu’une autonome raisonnablement octroyée aux établissements pourrait changer la donne. Pourquoi donc l’État se mêle-t-il de la nomination des enseignants ? Cela devrait relever des compétences des chefs d’établissement qui sont en mesure de recruter les enseignants dont ils estiment avoir besoin. Cela ne nuira pas au  maintien de leur statut de fonctionnaire d’État.

     

    Il ne faut pas oublier de dénoncer la rigidité des programmes et le couperet des concours que les candidats malheureux ne peuvent pas cumuler avec l’année suivante au cours de laquelle ils font de nouveau acte de candidature. De brillants sujets qui ratent de peu l’agrégation sont condamnés à tout reprendre du début, en perdant le bénéfice des matières où ils ont fait  leurs preuves... C’est parfois un vrai drame humain pour des gens  qui ne franchissent pas l’obstacle, au lieu d’être évalués individuellement et sur le long terme. Cela a au moins l’avantage d’éclaircir l’horizon qui se bouche alors pour toute une vie.

     

    MCS aborde la question de la finalité de la formation, du résultat de tout cet effort éducatif au bénéficie de l’enseigné ; ce que nos voisins allemands appellent die Bildung, la formation intellectuelle et morale, depuis Luther jusqu’à Nietzsche, en passant par  Goethe, l’enseignement de l’autre côté du Rhin a voulu servir les idéaux de la Bildung. On peut en avoir une petite idée en parcourant les premières pages de Faust...

     

    Les principautés germaniques poursuivaient depuis les origines un système qui se revendiquait de ses racines chrétiennes, geistig-religiös. J’en parle en connaissance de cause : en Allemagne, la religion est une matière académique comme toutes les autres. Tant à Berlin qu’à Heidelberg, j’ai eu bien des étudiants qui se destinaient aux fonctions honorables de pasteur ; pour notre culture française, cela est impensable. La Bible, même étudiée en tant que document littéraire, n’a trouvé refuge que dans les institutions religieuses alors que les deux Testaments sont la genèse du politique. Voir Carl Schmitt qui expliquait en 1924 dans sa Politische Theologie (traduit chez Gallimard) que la plupart des idéaux politiques modernes découlaient de valeurs religieuses sécularisées.

     

    Dans les tout premiers chapitres MCS définit les différents sens du terme autonomie. C’est bien utile car on commet généralement des confusions dans ce domaine. Je n’entre pas dans les détails, mais toutes ces explications sont les bienvenues.

     

    Les détracteurs de l’autonomie dans le cadre des établissements publics   se trompent lorsqu’ils la conçoivent comme un abandon au secteur privé, une sorte de désengagement de l’État au profit d’une idéologie qui barderait un secteur clé dans la vie des citoyens, à savoir l’acquisition d’un savoir et l’exercice ce d’un métier.

     

    On ne manquera pas d’être impressionné par l’argumentation de MCS en faveur de l’autonomie ; ses analyses sont claires, faciles à comprendre et à juger. Mais les pesanteurs sociologiques françaises font que certaines choses sont quasi inamendables. Par ailleurs, sur un tout autre sujet, on en attend beaucoup trop de l’école, en raison de la démission de certains parents, notamment les familles monoparentales et, depuis quelques décennies,  en  raison du nombre croissant d’enfants d’émigrés qui n’arrivent pas à s’intégrer à leur nouvel environnement.

     

    Comment enseigner des enfants qui regroupent plusieurs dizaines de nationalités dont quelques uns ne comprennent pas vraiment notre langue ? Il y aurait tant de choses à dire... Il est vrai que l’éducation nationale a longtemps été le parent  pauvre des préoccuperions de la puissance publique. Les enseignants ont conscience d’un  déclassement au plan social et au plan financier.

     

    Pour finir, sans conclure vraiment, je relève que deux points méritent d’être soulignés, par-delà les demandes d’autonomie, qui restent cruciales ; il s’agit du handicap qui touche de plus en plus d’enfants ; et l’instauration d’un enseignement d’histoire des religions afin de ne pas être pris au dépourvu. De telles choses demandent un certain temps de préparation et de concertation.

     

     

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  • Marie Moutier-Bitan, Lses champs de la Shoah

    Marie Moutier-Bitan, Les champs de la Shoah. L’extermination des juifs en Union soviétique occupée 1941-1944

     

    Voici un livre sur la Shoah qui montre que ce terrible  passé ne passe toujours pas, qu’on n’en est qu’au début des investigations portant sur les atrocités commises par les hordes nazies et leurs supplétifs (notamment ukrainiens) partout où ils passaient. Le 21 juin 1941 marque le début de l’opération Barbarossa, l’invasion de l’URS par les nazis ; et dès le lendemain, sans plus attendre, comme si le sort de toutes la guerre en dépendait, les groupes d’intervention (Einsatzgruppen) s’en prenaient aux juifs qu’ils croisaient sur leur route ou dans leurs villes et leurs villages. Cela m’a fait penser au délire des nazis dans leur haine des juifs : dans les derniers mois de la guerre, début de 1945 les trains de déportés en route vers l’extermination à Auschwitz étaient déclarés prioritaires par rapport aux trains chargés de munition pour les soldats du front. En termes clairs : on préférait retarder les trains chargés de munitions pour les soldats du front et déclarer prioritaires les trains de déportés : l’extermination des juifs passait avant out, même avant la défaite inéluctable de l’Allemagne nazie...

     

    Dans une préface très claire mais un peu appuyée, le Père Patrick Desbois tresse des couronnes absolument méritées à l’auteur de cette vaste étude. Cette spécialiste a passé plus de dix ans à étudier ces champs, ces villages, ces forêts, ces villes et tous les autres lieux où les Nazis ont exterminé des juifs sur place. Ces groupes d’assassins se déplaçaient partout, et parfois même à des kilomètres pour tuer un seul individu ou une simple famille isolée  dont on leur avait signalé l’existence. C’est dire combien le délire sanguinaire dominait toute autre considération. Mais comment mener des enquêtes sérieuses dans de telles conditions ? Où étaient d’éventuels témoins ? Comment les joindre ? Et surtout qu’avaient ils retenu de ces massacres ? Certaines archives ont été conservées mais pas dans leur entièreté.

     

    Heureusement, il existe une quantité considérable d’archives allemandes mais aussi russes accessibles aux chercheurs. On se souvient du triple paradigme classique : des exécuteurs, des victimes et des témoins. Et l’auteure a inlassablement sillonné les rues et les routes de nombreux lieux où des juifs furent tués par balles et enterrés sur place. Les charniers contenaient des centaines de victimes, voire plus. Parfois, il a fallu exhumer les cadavres pour les identifier dans la mesure du possible et les dénombrer. Qui étaient les tueurs ? Tout d’abord la Waffen SS, la Wehrmacht (l’armée régulière), la police militaire et parfois aussi, hélas, des collaborateurs locaux (ukrainiens), trop heureux de se venger des juifs et d’accaparer leurs biens.

     

    En dépit de tous ces obstacles, l’auteure de ce livre a rencontré bien des témoins, consulté bien des archives, notamment allemandes puisqu’elle comprend bien cette langue. Mais avant d’entrer in medias res, l’auteure situe les choses dans le temps, parle des concentrations de population juive dans de grandes cités comme Moscou, Odessa, ou Leningrad. On lit aussi des passages très éclairants sur les innombrables pogroms qui ont dévasté les communautés juives sur place, dès la fin du XIXe siècle. Des accusations de meurtres rituels ou de profanations d’églises orthodoxes suffisaient pour donner lieu à des drames.

     

    Comment les juifs ont-ils réagi à la survenue de la révolution bolchevique ? Le nouvel ordre social supprima les restrictions des zones de résidence et l’entrée dans l’enseignement supérieur pour les juifs ; Contrairement à son prédécesseur Lénine qui avait fait quelques concessions pour le développement des cultures minoritaires, Staline afficha une certaine hostilité à l’égard des juifs . En fait, on donnait aux juifs le choix entre le maintien de leur dénomination religieuse et  leur adoption du mode  de vie et de pensée soviétique. On demanda aux juifs quelle était leur langue nationale, le yiddish ou l’hébreu. Mais les individus n’étaient pas tous du même avis on choisit de dire que le yiddish était l’une des langues des juifs... Quant à la pratique religieuse, elle fut stoppée net, poussant les plus religieux à pratiquer leur culte en secret et à prier lors des grandes fêtées juives dans la plus grande discrétion. Qu’on en juge : dans certaines grandes agglomérations qui comptaient près de quarante lieux de culte, il n’en subsistait plus qu’un seul en 1930. Les mêmes restrictions frappaient tous les secteurs de la pratique. Toutes ces descriptions ne sont pas éloignés de notre sujet : l’état du judaïsme avant l’entrée des troupes d’invasion de la Wehrmacht en URSS.

     

    Il y eut ensuite le pacte germano-soviétique qui prévoyait dans une clause   secrète le partage de la Pologne qui abritait jadis de nombreux juifs ; l’auteure détaille ce que fut l’existence de quelques familles juives. Les Nazis avaient des listes de personnalités à exécuter, ce qu’ils firent sans le moindre scrupule. Ils donnèrent une idée de ce qu’ils comptaient faire en URS, une fois que Hitler aura dénoncé les clauses du pacte en juin 1941. Pendant cet intérim les juifs payèrent un très lourd tribut puisque même le grand incendie qui ravagea une partie de la métropole leur fut imputé...

     

    Les massacres perpétrés en Pologne occupée étaient un avant-goût de ce qui allait se passer après juin 1941 Ce fut l’extermination à une très haute échelle. Mais nul ne pouvait prévoir une telle sauvagerie Mais il est difficile d’ établir des liens cohérents et logiques entre toutes ces exécutions de juifs. L’auteure met bout à bout des noms de ville, de village ou de simples lieux dits où les Allemands tuent, battent et terrorisent tout ce qui ressemble de près ou de loin à un juif. Comment développer un récit d’un seul tenant. La plupart du temps l’auteure donne des noms, des dates et des lieux. Ce qui arrive est d’une affreuse banalité : on rassemble des juifs partout, on les conduit sur les lieux de leur exécution. Parfois, on enterre les cadavres sommairement. Mais les bourreaux ne sont pas peu intéressés par les biens dont ils spolient volontiers leurs victimes juives. Avant les massacres, certains, notamment des supplétifs, passent les habitations au peigne fin, à la recherche de biens de valeur, or, argent, bijoux... Faute de mieux on pille les maisons, même les literies peuvent faire l’affaire.

     

    L’incendie de la grande synagogue nous émeut mais il ne fut pas le seul. On lit que les policiers allemands ont commencé par bloquer toutes les issues de ce grand lieu de culte, y enfermant  ceux qui s’y trouvaient sans possibilité de s’en échapper et y mirent le feu. On entendait les cris et les appels de ceux qui étaient brûlés vifs ; ceux qui tentèrent de s’échapper étaient rattrapés et fusillés Dois je mentionner le cas de ces jeunes juifs, obligés de démonter une statue de Staline et fusillés immédiatement après par leurs tortionnaires.

     

    Je trouve un passage conclusif que je souhaite citer ici car il fait le point sur tous ces massacres isolés :

     

     Une violence brutale et ciblée s’exerça sur les juifs dès les premières semaines de l’opération Barbarossa. Des pays baltes à la Mer noire, des foyers de haine surgirent sous l’impulsion de l’envahisseur nazi et de ses alliés. Le bannière du combat contre le judéo-bolchevisme drapa ces premières exécutions qui, si elles concernaient en premier lieu les hommes juifs, n’épargnèrent guère les femmes et les enfants sauvagement massacrés lors de pogroms abondamment utilisés à des fins de propagande les troupes des Einsatzgruppen commirent leurs premières exécutions  de juifs sans susciter la stupeur ou un grand émoi de la part des hommes impliqués. (...) La violence se déplaça vers l’Est, suivant les mouvements du front. (...) Les pogroms s’éteignirent mais  les juifs étaient toujours plus nombreux à tomber. Le mois d’aout s’annonçait transitoire ; quelques semaines suffirent pour que les unités nazies soient prêtes à fusiller des femmes e des enfants.

     

    Goethe, l’âme de la littérature et de la philosophie allemandes a dit que la haine sa place dans la catégorie la plus basse de la culture humaine. A l’évidence, il n’a pas été suivi par une certaine époque...