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ALAIN DIECKHOFF (DIR) L’ETAT D’ISRAEL. PARIS, FAYARD, LES GRANDES ETUDES INTERNATIONALES. 2008 600 PAGES.

 

ALAIN DIECKHOFF (DIR) L’ETAT D’ISRAEL. PARIS, FAYARD, LES GRANDES ETUDES INTERNATIONALES. 2008  600 PAGES.
    C’est un véritable tour de force qu’a réussi le directeur de cet ouvrage en mobilisant tant de contributions de qualité qui couvrent le devenir de l’Etat d’Israël depuis sa création jusqu’au soixantième anniversaire dont les festivités se poursuivirent encore durant tout ce mois de juin 2008.  Presque rien n’est omis, en tout cas rien d’important, les articles sont rédigés dans un style élégant et sombre, même si certaines redites d’une contribution à l’autre étaient inévitables. Enfin, l’étendue du spectre politique fait que cet ouvrage, rédigé avec une évidente bienveillance, ne sombre cependant dans aucun parti pris. Il renseigne sur les faits, explique les événements en les situant dans leur contexte mais n’émet guère de jugement de valeur .
    Quand on parcourt l’ouvrage de bout en bout, la première impression qui s’impose au lecteur est bien le caractère miraculeux de la survie d’Israël, encerclé par tant d’ennemis implacables qui s’étaient juré sa perte et n’entendaient nullement transiger le concernant. Une personnalité charismatique se détache de toutes les autres, celle de David Ben Gourion, qui éclipsa aussi bien Théodore Herzl que Haïm Weizmann. Le petit homme à la chevelure léonine, ce qui lui valut le surnom de «vieux lion», s’avéra un homme d’Etat, un homme à poigne, ne reculant devant aucune défaite, solidement installé à la barre de ce qui était devenir le nouvel Etat juif depuis la destruction de Jérusalem par Titus en  68/70. Herzl, dans son Etat des Juifs (Judentstaat) s’était contenté (si je puis dire) de prophétiser l’avènement d’une telle entité, la traduction concrète de cet esprit visionnaire échut à Ben Gourion. Animé d’une vision et porteur d’un projet, c’est lui qui sut réagir tant à l’occupation britannique qu’aux invasions des armées arabes, peu après la proclamation de l’Etat juif.  Son ancien assistant et homme de confiance Shim’on Péréts a dit de lui qu’il n’hésitait jamais lorsqu’il fallait trancher. Pour lui, gouverner, c’était trancher (le-hanhig pérusho le-hakhriya’).
    Lorsque cet homme mit sur pied l’Etat d’Israël, il eut la sagesse de ne pas ostraciser les éléments religieux au sein du nouveau commonwealth : qui aurait accepté que les rabbins et les religieux fussent marginalisés dans leur propre Etat, même si, pour des raisons théologiques, certains partis irascibles mirent un bout de temps à le reconnaître ? Il signa donc une sorte de concordat qui ne disait pas son nom avec les religieux, ce qui, par voie de conséquence, privait l’Etat d’une Constitution digne de ce nom. C’est seulement après que la Knését a, en quelque sorte, empilé  trois ou quatre lois fondamentales, les unes sur les autres, afin de pallier ce manque. L’article dédié à ce sujet ne remplit pas vraiment la promesse qu’on en attendait. Il exigeait plus de densité, plus de maîtrise du sujet, mais se contente de résumer des idées bien connues. Or, ce sujet est crucial et renseigne au mieux sur les crispations actuelles ou à venir de l’Etat.
    Au fond, le jeune Etat aurait pu être tout autre chose qu’une démocratie parlementaire à l’anglaise et pourtant c’est sans hésitation la voie qui fut choisie. Certes, la démocratie israélienne avec ses revirements, ses chamailleries incessantes et sa  corruption presque endémique (la lecture de la presse israélienne est sidérante sur ce point précis) n’est pas un exemple à suivre en tout point, mais elle a le mérite d’exister alors que ses racines proviennent toutes de la vie diasporique. Remarquable est le chapitre consacré à la Cour suprême, une instance judiciaire parfois taxée d’activisme et qui se rendit célèbre par certains arrêts, plutôt inattendus et qui suscitèrent de différents gouvernements… par exemple donner raison à un citoyen arabe israélien, qui s’était porté acquéreur d’un terrain dans un lotissement commercialisé par l’Agence Juive. Econduit, le Palestinien en question se tourna alors vers l’instance judiciaire suprême qui lui donna raison dans les principes. L’arrêt de la Cour ne fut pas suivi d’effet car cela aurait gravement porté atteinte à la politique du sionisme en tant que tel.
    Même une société à majorité juive peut avoir des problèmes d’organisation, de communication ou simplement de vie en commun. La société israélienne ne déroge pas à la règle : il y a d’abord cette indescriptible pluralité, diversité, hétérogénéité qui caractérise la population israélienne. Faire vivre et cohabiter des hommes et des femmes issus de 128 nationalités différentes, astreints de s’exprimer dans la même langue pour se comprendre ! Imaginez de Marocains, des Russes, des Géorgiens qui cohabitent ! Et tout ce petit monde qui reprend chez ses voisins les choses les plus savoureuses ou les plus cocasses… Et nous laissons de côté le million deux cent milles arabes israéliens, qui, eux aussi, s’expriment dans un hébreu succulent, entrelardé de termes arabes… Il y a aussi les quelques centaines de milliers de travailleurs immigrés asiatiques venus remplacer les Palestiniens devenus peu fiables en raison de leur dangerosité terroriste. Ce qui est un peu injuste car la plupart d’entre eux ont besoin de se rendre en Israël afin de nourrir leurs familles.  Même l’Etat qui se dit juif par principe doit accepter un minimum de cosmopolitisme et de mondialisation.
    Le véritable creuset de la société israélienne, c’est Tsahal, véritable laboratoire où s’élaborent le portrait et le caractère du juif de demain. Les jeunes Russes, jadis soviétiques, se fondent avec aisance dans ce nouveau moule et servent leur nouveau pays avec un étonnant dévouement. Quiconque veut apprendre le russe hors de Russie doit se rendre en Israélien où un citoyen sur six parle la langue de Lénine : en moins d’une décennie, Israël a pu absorber et intégrer plus d’un millions de juifs soviétiques. J’ai pu assister il y a quelques jours à un spectacle étonnant dans le su d’Israël : une table de Bédouins parlant arabe, leurs femmes assises à une distance respectueuses de leurs époux, et à moins d’un demi mètre, un large rassemblement de juifs russes ne parlant que leur langue natale… Deux mondes qui cohabitent en s’ignorant. Un Bédouin avec une bonne tête se tourne vers ses amis et leur dit en arabe : ces Juifs, ils vont venir des juifs du monde entier ici (al-yahoud ygibbou le-houn yahoud min kol al alam). Il devrait savoir que c’est la définition même du… sionisme.
    La partie de cet ouvrage, consacrée aux questions sociales et économiques, est passionnante ! On  y suit facilement la mutation du pays qui voit fondre sa part d’agriculteurs pour s’enorgueillir d’une couche toujours plus épaisse d’ingénieurs (1,4% de la population active, plus que les USA !) de médecins (les 12000 d’Israël ont vu arriver 10000 collègues de l’ex URSS), l’industrie pharmaceutique qui en peu d’années a multiplié son chiffre d’affaires par… 30 !  L’industrie d’armement qui fait d’Israël le 4e fournisseur d’armes au monde ! C’est une nécessité de survie, mais nous espérons que ce pays illustrera un jour la prophétie d’Isaïe qui veut que l’on bannisse la guerre et transforme épées et javelots en socs de charrues et en serpes… Mais pour cela, Tsahal attend l’accord de ses voisins arabes.
    La place d’Israël au Moyen-Orient, voilà un sujet passionnant même si le thème en soi est plutôt désespérant. Deux pays arabo-musulmans, l’Egypte et la Jordanie, ont signé des traités de paix avec l’Etat juif. Restent le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Libye, l’Arabie saoudite, le Soudan et tant d’autres. Or la Ligue Arabe compte 22 Etats, c’est dire le chemin qui reste à parcourir. Mais Israël scrute l’avenir avec confiance. La guerre de Kippour avait éloigné de l’Etat hébreu la quais totalité des Africains qui, depuis, ont presque retrouvé le chemin de Tel Aviv ou de Jérusalem. Avec l’Union Européenne, notamment la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne, tout va bien ou presque.
    Sans tomber dans un optimisme béat, nous pouvons dire qu’Israël considère l’avenir avec confiance. Il faut remercier Alain Dieckhoff pour ses excellentes notes, ses très bons articles, si éclairants et si instructifs. Un livre de référence à acquérir absolument : 30 € pour 600 pages !600
   
 

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