PRIÈRE, REPENTIR ET PARDON
Le message de kippour
Le Nouvel An et kippour forment un tout dans le calendrier liturgique juif et s’orientent autour de trois grands axes : confesser ses fautes et implorer le pardon divin, réaliser que Dieu est bien le créateur de l’univers et, enfin, la symbolique de la ligature (et non du sacrifice) d’Isaac. C’est un peu le sommet que la spiritualité juive atteint en ces journées de prières et de contrition. L’enseignement tiré de ce triptyque tient en peu de mots : l’infinie miséricorde divine accordant la rémission des péchés et la supériorité de la conscience morale de l’homme qui affirme ses droits : à une humanité éthique répond donc un monothéisme éthique, une divinité monothéiste, amie de l’homme, ne souhaitant que son repentir et non point sa mort. Dans le contexte monothéiste, la prière fait fléchir Dieu et provoque en lui une sorte de mutation puisqu’il abandonne la rigueur implacable du jugement pour dispenser, en fin de compte, bienfaits et bénédictions. On peut dire que le repentir sincère de l’homme est générateur de miséricorde divine.
Que peut-on bien dire pendant tant d’heures passées à prier à la synagogue ? on prononce bien sûr des pétitions privées, des demandes personnelles ; mais il y a surtout des appels à la paix entre les nations, à la concorde entre les êtres humains, à la clémence des cycles de la nature, en une phrase au bien-être universel.
J’extrais deux prières qui brillent par leur vocation universaliste : les orants juifs implorent Dieu de donner de la semence au semeur et de la nourriture au mangeur. Un peu plus loin, dans le cadre non plus des prières pénitentielles mais des grâces invoquées en faveur du genre humain, on prie Dieu que l’année nouvelle soit une année au cours de laquelle aucune femme ne perde le fruit de ses entrailles… Ces deux pétitions illustrent bien le caractère universaliste de cette journée où Israël est censé prier pour lui-même mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. C’est pour cette raison que la figure, à la fois tutélaire et charismatique, d’Abraham, parangon de l’humanité monothéiste, est omniprésente. En effet, ce patriarche incarne l’abandon confiant à Dieu, l’invincible foi en sa providence.
Kippour remet à l’honneur le seul instrument de musique dont le peuple juif est familier depuis l’Antiquité biblique : la corne de bélier (shofar). En réalité, cette sonnerie ne vise qu’à signaler la fin de la prière et du jeûne, mais pour la conscience religieuse, elle est devenue synonyme d’exaucement des prières. Les sons continus ou saccadés de cette sonnerie plongent l’orant dans un état de vigilance et l’incitent à reconsidérer tous les actes de l’année écoulée. Mais il y a aussi une symbolique moins évidente : le fait d’immoler un bélier en lieu et place d’un être humain et de se servir de sa corne (instrument symbolisant sa puissance) pour rendre culte au Dieu unique devait montrer que cette nouveauté théologique était à la mesure de la révolution monothéiste (Ex. 14).
Kippour est aussi le jour au cours duquel on lit à la synagogue le livre du prophète Jonas qui ne compte qu’un seul chapitre où Dieu, contre l’avis de son émissaire, se révèle être synonyme d’amour et de bonté. Jonas, ce prophète un peu impatient qui quitte, le cœur léger, une ville promise à la destruction et entend être, de loin, le témoin de sa ruine. Dans son insondable naïveté, Jonas avait tout prévu, excepté la nature conciliante et charitable d’un Dieu miséricordieux.
Petite Histoire de la philosophie juive (Ellipses, octobre 2008)