Chers Amis,
Demain soir, à 18h15 je présenterai D- voulant, le superbe manuscirt hébraïque de la Fondation Bodmer, dans la bibliothèque de la Fondation, route de Guignard à Cologny. Il faut s'inscrire auprès de la Fondation.
Le livre que j'ai introduit sera mis en vente sur place et a été édité par les Presses Universitaires de France.
le manuscrit hébreu n° 81 de la Fondation Martin Bodmer
de Genève (Cologny)
La bibliothèque Martin Bodmer de Cologny compte dans son fonds une magnifique haggadah (275mm x 195mm) de la fin du XVe siècle, réalisée par le célèbre scribe et enlumineur Joël ben Siméon ( Feibush Ashkénazi). Cette haggadah avait appartenu au début du XXe siècle à C. Fairfax Murray avant d’être acquise, lors d’une vente aux enchères à Londres, par Martin Bodmer le 9 décembre 1958
Qu’est ce que la fête de Pessah ? Qu’est-ce qu’une haggadah et quelles sont les différentes versions existantes de ce récit de la sortie d’Egypte ? Quelle place occupe dans le calendrier liturgique juif cette fête de Pessah qui n’était, à l’origine, qu’une simple occasion de réjouissance agraire, une sorte de comices agricoles?
Pour bien appréhender l’importance et la signification de ce remarquable manuscrit hébraïque de la haggadah de Pessah, le récit de l’Exode, il convient de répondre préalablement à ces questions. On comprendra alors le soin apporté à de tels textes qui faisaient partie du patrimoine religieux de tout foyer juif, tant à l’époque médiévale qu’aujourd’hui. Au plan de la sociologie religieuse, il suffit de relever ce fait déterminant : certaines familles juives, particulièrement observantes, sans être vraiment orthodoxes, refusaient de donner leur fille pour épouse à un prétendant qui ne saurait pas lire … la haggadah de Pessah et ne pourrait donc pas tenir son rang lors de cette mémorable veillée !
Un mot, cependant, du texte que nous avons sous les yeux : cette magnifique haggadah illustrée, qui n’était évidemment pas le bien commun de tous les foyers juifs de l’époque, porte dans son colophon le nom d’un scribe-copiste et enlumineur célèbre, Joël ben Siméon Feibusch Ashkénazi, vivant au milieu du XVe siècle. Originaire de Cologne[1], il quitta cette métropole rhénane à la suite d’un décret d’expulsion des juifs et trouva refuge dans la capitale morave, Bruenn[2], qu’il dut, de nouveau, abandonner pour rejoindre l’Italie du nord où il ouvrit un important atelier réunissant copistes et enlumineurs. Voici ce que Joël écrit textuellement au folio 11a en gros caractères carrés (et non pas en utilisant l’alphabet cursif de Rashi[3]) :
Je suis Joël ben Siméon -que sa mémoire soit une bénédiction- appelé Veibush[4] Ashkénazi, originaire de la ville de Cologne, sise sur les bords du Rhin
le manuscrit hébreu n° 81 de la Fondation Martin Bodmer
de Genève (Cologny)
Comme on le verra plus bas, sa version de la haggadah richement illustrée et enluminée, se veut très complète, puisqu’elle contient non seulement la version liturgique intégrale mais comporte aussi, dans son introduction, des instructions précises pour la préparation du vin casher et des pains azymes (matsot).
Judaïsme et image
On a longtemps confondu l’interdiction de se forger des idoles et d’adorer des images (icônes) avec une prohibition pure et simple de l’art. Ce qui a conduit à un débat académique sur l’existence réelle ou supposée d’un art juif. Laissons aux spécialistes le soin de revenir sur une question qui n’est plus disputée depuis bien longtemps… Il est évident que si l’on trouve tant de manuscrits hébraïques richement illustrés, voire somptueusement enluminés, c’est que les artistes de l’époque, notamment médiévale, avaient su faire le départ entre leur art, parfaitement licite, et l’interdit énoncé en Exode 20 ;4-5. Il est, certes, prohibé de se faire une idole ou une image de ce qui est dans les cieux en haut et de ce qui est sur la terre en bas à des fins cultuelles, d’adoration et de vénération. C’est ce qui est stipulé dans le verset suivant : tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les adoreras point. La volonté de rapprocher l’art du culte synagogal remonte à des époques très éloignées, notamment à la vieille synagogue de Dura Europos (Syrie) dont les motifs picturaux sont les plus connus ou à d’autres lieux de culte de la Galilée des Ve-VIe siècles dont les décorations au sol et sur les murs sont devenues célèbres.
Au cours du Moyen Age, les artistes-peintres, chrétiens ou juifs, exerçaient leur art sur les manuscrits destinés à un usage privé ou communautaire. Ces artistes semblent avoir eu une prédilection pour l’illustration et la décoration des livres de prières[5], des haggadot et des Bibles. Les commanditaires étaient toujours issus de riches familles qui avaient les moyens de s’offrir de tels manuscrits. Il semble que l’Orient ait précédé l’Occident dans ce domaine. Selon les spécialistes de codicologie et des enluminures, des manuscrits hébraïques décorés, illustrés et pourvus d’enluminures font leur apparition vers la fin du XIIIe siècle.
Apparemment, les fonctions de scribe ou de copiste et celles d’illustrateur ou d’enlumineur étaient soigneusement séparées, même si notre copiste, le célèbre Joël ben Siméon, écrit dans le colophon d’un manuscrit conservé au Jewish Theological Seminary de New York (Institut des microfilms de Jérusalem n° 8279), qu’il a lui-même transcrit, vocalisé et enluminé une haggadah achevée en 1454. Hormis ces heureuses exceptions, le copiste laissait en blanc les espaces réservés au travail de son collègue enlumineur, chrétien ou juif, après avoir pris possession de la peau d’animal servant de support à son travail. En effet, les juifs n’étaient pas admis dans les guildes et l’excellente qualité de certaines enluminures accrédite le recours à des mains chrétiennes dans la préparation de ces haggadot.
Le scribe judéo-médiéval le plus connu n’est autre que notre Joël ben Siméon, qui était actif aussi bien en Allemagne, son pays d’origine, qu’en Italie. On dit qu’il avait pour habitude d’ouvrir des ateliers d’écriture là où il séjournait et y employait des compagnons qui effectuaient sous sa direction des copies et des illustrations de manuscrits hébraïques. De lui nous possédons neuf colophons et il affirme être l’auteur des enluminures de deux d’entre eux.
Dans une étude très instructive sur d’autres copies de la haggadah que nous devons à Joël, notamment celles se trouvant à Nuremberg et à Washington, Evelyn M. Cohen[6] nous présente ses conclusions sur le travail de Joël qui a utilisé parfois les mêmes figures et illustrations dans la haggadah Bodmer. L’auteur trouve que le scribe-enlumineur avait de grandes qualités artistiques mais savait aussi faire preuve d’espièglerie et d’ironie assez mordante. E. Cohen relève que face au paragraphe qui parle des herbes amères dans la haggadah, l’enlumineur a pris une initiative plutôt étonnante puisqu’il représente le chef de famille, le récitant, les herbes amères dans la main droite et la main gauche pointée en direction de son épouse. La légende non écrite mais qui serait selon E. Cohen, lourdement suggérée, serait : j’ai à ma table des herbes amères en permanence, pas seulement lors des veillées pascales… Cette interprétation un peu étonnante est à prendre cum grano salis. En tout état de cause, non voyons apparaître un Joël ben Siméon plein de ressources et n’hésitant pas à commettre quelques facéties.
Les juifs ne représentent jamais Dieu et respectent dans leur culte un aniconisme intégral. Mais cela n’interdit nullement de représenter certains motifs aggadiques (ne pas confondre Aggada, l’exégèse homilétique de la Bible et haggadah, le récit de la sortie d‘Egypte) qui servent d’amplification ou de commentaires imagés à des épisodes bibliques, afin de leur conférer une certaine expressivité, destinée aux femmes et aux enfants de l’époque. Certaines haggadot, voire certaines Bibles, contiennent des motifs eschatologiques, par exemple la lutte à mort des deux monstres marins dont parlent les Ecritures, Léviathan et Béhémot. Ici aussi, c’est l’aggada talmudique qui avait donné le ton puisque l’on peut y lire (Baba Batra folio 74b) les détails d’un festin eschatologique offert par Dieu en personne aux Justes défunts et qui se compose de la chair du Léviathan. La fête se tient sous un chapiteau fabriqué avec la peau de ce même Léviathan (‘oro shél léviathan).
Plus on se rapprochait du XVe siècle et plus on affectionnait les images de la fin des temps : on représentait le Messie chevauchant une ânesse et annonçant une rédemption prochaine. Des trois types de textes hébraïques décorés et illustrés, ce sont incontestablement les haggadot qui sont les plus largement représentées. Précisons, de nouveau, que les premiers manuscrits enluminés proviennent d’Orient et que c’est seulement vers la fin du XIVe siècle que le monde séfarade a commencé à s’engager dans la même voie.
Comment expliquer ce phénomène ? Probablement par la nature même de cette fête qui revêt un intérêt capital dans la piété juive et dans la conservation du judaïsme. C’est aussi, comme nous le notions rapidement plus haut (mais nous y reviendrons plus loin) une fête essentiellement familiale à laquelle tous participent : le chef de famille en faisant fonction de récitant, la mère de famille en préparant les mets et en disposant les espèces requises dans le fameux plateau du séder et même les enfants auxquels le second paragraphe de la haggadah est réservé, celui qui consiste à s’interroger sur la spécificité de cette veillée pascale : ma nichtana ha-layla ha-zé mi-kol ha-leylot : mais qu’est-ce qui distingue cette nuit de toutes les autres nuits ? Comment retenir durablement l’attention des femmes et des enfants autrement que par des images leur permettant de suivre le récit du chef de famille (magguid), encore un terme construit sur la même racine trilitère que haggadah…
Dans la plupart des haggadot, et notamment dans celle de Joël ben Siméon, on commence par représenter des scènes illustrant les préparatifs de la fête (la recherche du levain dans la maison, la préparation du vin, des galettes azymes, du harossét, sorte de pâte à base de dattes ou de pommes, de vin doux, de noix et de raisins de Corinthe, qui figure symboliquement le mortier des travaux forcés en Egypte.)
En conclusion de ce point, on peut dire que les illustrations des haggadot se réfèrent à des scènes du livre de l’Exode ainsi qu’à des thèmes de la haggadah elle-même, par exemple les quatre fils auxquels la Tora s’adresse : le sage (qui accepte volontiers les directives de la tradition), l’impie (qui rejette tous les enseignements et quitte la communauté d’Israël), le naïf (qui ne demande qu’à s’informer et qu’on doit aider) et enfin l’ignorant (qui ne sait pas poser de questions et auquel on rappellera le verset de l’Exode qui commande de transmettre l’histoire de la sortie d’Egypte). Cette présentation des quatre fils, censés symboliser les quatre attitudes à l’égard de la tradition juive et de son événement (ou mythe) fondateur, l’Exode, constitue l’essence même du message : nul ne doit oublier qu’il fut esclave en Egypte et que c’est Dieu (et nul autre, comme le souligne maintes fois le texte de la haggadah) qui l’en a extrait d’une main forte et avec bien des prodiges…
Les deux traditions, séfarade et ashkénaze, ne diffèrent pas vraiment ; elles s’écartent l’une de l’autre quant aux chants liturgiques placés à la fin de la haggadah : mais ces hymnes ne sont pas, à proprement parler, obligatoires. Chez les séfarades, on peut lire un très beau poème didactique, rédigé en langue araméenne vulgaire et illustrant la toute-puissance providentielle de Dieu. Le titre ou plutôt le refrain de ce poème est assez évocateur et ne pouvait manquer de captiver les enfants et de stimuler leur imagination : un chevreau, un chevreau que mon père m’avait acheté à deux sous… Et face à chaque épisode de ce poème on trouve dans les haggadot l’illustration de toutes les étapes[7], sauf, assurément, celle qui marque l’entrée en scène du Saint béni soit-il (pour reprendre la désignation divine utilisée par la haggadah). Mais un artiste aussi polyvalent que Joël travaillait pour les deux communautés à la fois : ashkénaze (Allemagne et Moravie) et séfarade (Italie). Dans les deux cas il a conservé le même style pictural. Nous y reviendrons dans le paragraphe consacré au contenu théologico-religieux de la haggadah.
La haggadah Bodmer présente une caractéristique qui la singularise, sans que cela lui confère le statut d’une exception rarissime : sa première partie suit le rite italien, séfarade, et la seconde le rite allemand, ashkénaze. Mais soulignons-le une nouvelle fois : les différences ne sont pas significatives, puisque le corps du récit est, dans les deux cas, le même. De toutes les haggadot attribuées à Joël aucune ne présente un tel mélange des deux rites. En fait, il s’agit de quelques variantes textuelles dans la liturgie du samedi matin dont certains textes sont repris dans les haggadot de Pessah.
Qu’est-ce que la fête de Pessah ?
La Bible hébraïque divise les fêtes juives en deux grandes catégories : les fêtes austères ou solennités de tichri, le premier mois de l’année liturgique, qui sont : le nouvel an (rosh ha-shana) et le jour des propitiations (yom ha-kippourim), mieux connu sous le nom de jour du grand pardon. La tradition juive parle dans le cas présent des solennités de tichri.
La seconde catégorie comporte les trois fêtes de pèlerinage, ainsi nommées car les habitants de la terre d’Israël étaient invités à se rendre au temple de Jérusalem afin d’y offrir des sacrifices et d’y célébrer ces mémorables moments. Voici ce qu’on peut lire dans la Bible :
Trois fois par an, tu me fêteras… Tu observeras la fête des azymes… Puis, fête de la moisson, des prémices de tes travaux… puis fête de la récolte, à l’issue de l’année… Trois fois par an, tout le sexe mâle de chez toi, se présentera au devant de Dieu (Exode 23, 14-17
La tradition juive, aussi bien écrite (la Bible) qu’orale (le Talmud et le Midrash), parle de trois fêtes auxquelles on se rend à pied ou on monte à Jérusalem (shelosha regalim). D’où ce nom de réguel qui signifie pied en hébreu. Ces fêtes, qui, contrairement aux précédentes, n’ont rien d’austère, bien au contraire, sont :
a) la fête des cabanes ou tabernacles (soukkot), allusion à l’épisode de la traversée du désert lorsque Dieu abrita le peuple d’Israël sous des huttes.
b) la fête de Pessah, la fête des azymes, allusion au pain non levé que les Hébreux, chassés d’Egypte, durent consommer, en raison de leur départ précipité.
c) la fête de la Pentecôte (shavou’ot), qui a lieu, selon la Bible, sept semaines après le départ précipité d’Egypte, et qui est mise en relation avec le don de la Tora et la théophanie du Sinaï.
Ces trois fêtes constituent des moments de réjouissance pour un peuple de bergers et de cultivateurs, puisqu’elles correspondent exactement aux périodes des moissons et des grands rassemblements champêtres.
De ces trois fêtes, la plus importante historiquement, la plus familiale aussi, est incontestablement celle de Pessah, la Pâque, au cours de laquelle on lit la haggadah, récit de la sortie d’Egypte. Après la chute du second temple en l’an 70 de notre ère, le culte synagogal s’est substitué au culte sacrificiel, la caste sacerdotale a perdu le contrôle des cérémonies religieuses au profit d’une nouvelle classe dirigeante, celle des érudits des Ecritures (talmidé hakhamim) qui, au cours de la période médiévale, donnera naissance aux rabbins. Ces érudits des Ecritures, véritables instituteurs d’Israël comme Homère et Hésiode le furent pour la Grèce antique, ont forgé une conscience religieuse nouvelle du peuple juif qu’ils dotèrent d’une carapace défensive, censée conjurer le danger d’une disparition pure et simple. Pour y parvenir, ils ont exercé leur grande ingéniosité exégétique sur tous les versets de la Bible, formant ainsi un imposant corpus traditionnel, appelé le Talmud[8]. Ces textes sont un véritable depositorium du vécu et du penser d’Israël en exil, sa mémoire multiséculaire qui lui a permis de préserver le noyau, l’essence de ses croyances..
A la chute du temple de Jérusalem, il fallut réorganiser le culte juif qui n’était plus centré autour du sanctuaire. Comment faire pour que la religion juive survive à la pulvérisation de son ancien centre névralgique situé au cœur même de la cité du roi David ? Comment faire pour que chaque foyer juif devienne une sorte de mini sanctuaire, un temple domestique ? Les docteurs des Ecritures ont trouvé la solution : créer un corpus liturgique qui accompagne toutes les fêtes et les solennités en lieu et place des sacrifices offerts au temple de Jérusalem.
Toute religion, et surtout le judaïsme, entend purifier ses adeptes des souillures du péché. C’est la fonction principale du jour des propitiations qui constitue le point culminant de l’année liturgique juive. Bien que le judaïsme ne reconnaisse guère la notion de péché originel, pourtant ébauchée par le Psaume 51 ; 7 (voilà que j’ai été enfanté dans la faute, et dans le péché ma mère m’a conçu...), il insiste sur cette idée de purification qui permet de se rapprocher de la sainteté de Dieu. Jadis, c’était le culte sacrificiel qui accordait au peuple la rémission de ses péchés, désormais, cette fonction indispensable incombait aux prières. Comme pour les autres fêtes, Pessah requérait le sacrifice dit pascal qui ne pouvait plus s’effectuer au temple puisque celui-ci avait été détruit. Il fallut, là encore, trouver une solution de substitution. Le récit de la sortie d’Egypte, la haggadah, devait y suppléer.
Pourquoi les docteurs des Ecritures ont-ils accordé à cette fête de Pâque, à Pessah, une telle importance ? Cette attitude répondait à une nécessité vitale : Il s’agissait de consacrer la naissance d’Israël en tant que peuple (‘am). Ce ramassis d’anciens esclaves qui s’étaient enfin donné un chef en la personne de Moïse et qui, après tant de vicissitudes, s’engagèrent dans une longue traversée du désert n’étaient plus les mêmes après la théophanie du Sinaï : désormais animés d’une vision et porteurs d’un projet, ils voulaient s’établir dans cette Terre de promission que Dieu leur avait attribuée. Partant, la sortie d’Egypte, l’Exode, devenait le premier événement national de ce peuple en tant que tel. Auparavant, ce n’était qu’un agrégat de rebelles comme on peut s’en convaincre en parcourant le second livre de Moïse, l’Exode. Telle est l’importance de la fête de Pessah et de sa haggadah qui rappelle chaque année aux juifs leur ancien statut d’esclaves en terre d’Egypte et leur dette à l’égard de Dieu, auteur de leur survie et artisan de leur libération.
Pour bien ancrer dans le cœur du peuple cette conscience nationale nouvelle, la Bible a institué cette fête de Pâque, Pessah en hébreu, qu’elle a reliée à cet exode, même si originellement, comme nous le notions plus haut, il s’agissait d’une fête de la moisson et des vendanges. Ce qu’Ernest Renan nomme avec justesse «le sérieux judaïque» et la «rabbinisation» du judaïsme préexilique, exécutée par le courant piétiste (ou religieux) se reflète dans cette législation : au lieu de laisser à l’Israël ancien ses joies simples, cette jouissance des bienfaits de la nature, du plaisir des sens (Cantique des Cantiques), les représentants du courant charismatique et religieux ont entièrement théologisé l’histoire d’Israël pour en faire un édifice intégralement religieux où le seul agent vraiment efficace, le factor primus, ne pouvait être que Dieu. Tous les secteurs de l’existence devaient être imprégnés de cette croyance fondamentale ; nous devons tout à Dieu dont nous sommes les créatures.
L’économie même du Pentateuque reflète fidèlement cet enchâssement de l’histoire dans un moule théologique : déjà le livre de la Genèse, que nous pouvons considérer avec notre éminent collègue Albert de Pury comme une sorte de prologue patriarcal, contient tous les ingrédients qui vont servir, quoique dans un tout autre esprit, dans le livre suivant, celui de l’Exode : l’épisode tumultueux vécu par le patriarche Abraham en Egypte, creuset du peuple hébreu, où un Pharaon, non identifié, enlève son épouse pour son seul plaisir, les plaies (nous disons bien les plaies) qui s’abattent sur lui pour l’empêcher de déshonorer la matriarche, tous ces faits du livre de la Genèse préfigurent ce qui va se passer dans le livre suivant, celui de l’Exode où l’Egypte (une Egypte imaginaire, assurément) va subir de plein fouet l’ire divine. Dans sa promesse faite à Abraham, Dieu avait prévenu que ses descendants seraient retenus captifs et esclaves des Egyptiens, et donc du Pharaon, durant quelques siècles ; mais qu’après cet esclavage en terre étrangère, les enfants d’Israël quitteraient honorablement ce lieu de rétention, comblés de bienfaits et jouissant de la sympathie d’un peuple égyptien enfin compatissant.
Ces détails contenus dans le livre de la Genèse préparent le lecteur à ce qui va suivre, à savoir l’Exode et le rejet des mœurs égyptiennes considérées comme la quintessence de l’impureté dont le peuple d’Israël doit se tenir éloigné. La littérature prophétique emboîtera le pas à cette tendance «égyptophobe» qui n’empêche pas, toutefois, de considérer l’Egyptien comme un congénère digne de respect car « tu fus toi aussi hôte au pays d’Egypte...»
Un seul événement semble ne pas consonner avec nos développements[9] : l’enterrement en grande pompe du patriarche Jacob dont le fils réputé mort, Joseph, était devenu entre-temps vice- roi d’Egypte. Mais dès les premiers versets du livre de l’Exode, cette égyptophilie a totalement disparu pour laisser place à une image foncièrement négative du pays des Pharaons. Et c’est précisément dans ce livre de l’Exode qu’est prescrite l’observance de la Pâque :
Tu observeras la fête des azymes : tu mangeras des azymes pendant sept jours, à la date du mois d’Aviv, car en lui tu es sorti d’Egypte (23 ; 14)
Mais paradoxalement, on y parle de la fête des azymes et non de Pessah, qui désigne spécifiquement le sacrifice pascal. Quelle est la raison de la fusion de ces deux fêtes en une seule, alors qu’elles remontent sûrement à deux célébrations paysannes? La proximité temporelle a incontestablement favorisé leur fusion en une seule célébration. Les cultivateurs, les paysans, ont jeté une sorte de passerelle ou établi un lien entre les deux rassemblements qui ont fini par se confondre. On ne comprendrait pas, autrement, que le sacrifice pascal ait, à lui seul, donné son nom à cette fête, passée dans l’histoire comme la semaine où la consommation exclusive du pain azyme est prescrite.
La fête de Pâque est donc la résultante de deux célébrations, celle des azymes et celle du sacrifice pascal. La Bible a choisi pour désigner ce dernier événement le terme Pessah dont elle nous fournit une étymologie populaire, comme elle l’avait fait précédemment pour Moïse lui-même, faisant dire à la princesse égyptienne qui l’avait sauvé des eaux : « car je l’ai pêché (mechi-tihou) des eaux…». Entre Moshé (nom biblique de Moïse) et mechi-tihou (je l’ai pêché), on reconnaît aisément la même racine trilitère. Pour Pessah, la Bible hébraïque recourt au même procédé en disant que Dieu, lors de la plaie des nouveau-nés, a «enjambé» (passah) les habitations des Hébreux pour ne faire périr que les fils des Egyptiens. Le signe de reconnaissance de ces habitations était la tache de sang sur le linteau des portes. Ainsi, Dieu ne pouvait pas faire de confusion.
Les chapitres XII et XIII du livre de l’Exode informent le lecteur très précisément de la fusion de ces deux pratiques prescrites : la consommation du pain azyme et celle de l’agneau pascal.
Au dix de ce mois, qu’ils se procurent chacun un agneau… on prendra du sang et on en mettra sur les deux jambages et sur le linteau des maisons dans lesquelles on le mangera… Et voici comment vous le mangerez ; vous aurez les reins ceints, vos sandales à vos pieds, votre bâton dans votre main et vous le mangerez à la hâte… C’est Pessah pour Dieu !... Je passerai par la terre d’Egypte en cette nuit-là et je frapperai tout premier-né en terre d’Egypte… je verrai le sang et je sauterai (u-passahti) au delà de vous… Sept jours durant vous mangerez des azymes. Dès le premier jour vous ferez disparaître le levain de vos maisons car quiconque mangerait du pain levé, du premier jour au septième jour, cette personne-là sera retranchée d’Israël.
Au premier mois, au quatorzième jour du mois, au soir, vous mangerez des azymes jusqu’au vingt et unième jour du mois, au soir. Sept jours durant il ne se trouvera pas de levain dans vos maisons… Lors donc que vous entrerez dans le pays que Dieu vous donnera… et que vous observerez cette pratique, il arrivera que vos fils vous diront : quelle est cette pratique pour vous ? Alors, vous leur direz : c’est le sacrifice de Pâque pour Dieu qui a sauté (acher passah) au-delà des maisons des fils d’Israël en Egypte, quand il frappa l’Egypte et sauva nos maisons (Exode 12 ; 3-289).
On voit que ce long chapitre XII donne des détails abondants sur cet exode dont on retrouvera la narration dans la haggadah. Quant aux pains azymes, les matsot en hébreu, on retrouve au verset 39 de ce même chapitre leur origine : ils firent cuire la pâte qu’ils avaient emportée d’Egypte en galettes azymes, car elles n’avaient pas levé, quand ils avaient été chassés d’Egypte ; ils n’avaient pu s’attarder et n’avaient même pas fait de provisions pour eux. Et le chapitre XIII insiste davantage sur la mémoire du peuple d’Israël qui a un devoir de transmission aux générations à venir. Le livre du Deutéronome dont on sait qu’il récapitule les législations précédentes, d’où son nom, reprend la même prescription : trois fois par an, tout le sexe mâle de chez toi se présentera au devant de moi, ton Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi : à la fête des Azymes, à la fête des Semaines et à la fête des Tabernacles (16 ;16).
Pessah est donc la fête de la libération[10] du peuple d’Israël. Tous les livres bibliques, tant ceux qui constituent le Pentateuque que ceux qui forment la littérature prophétique et hagiographique, se réfèrent au passé d’esclave d’Israël. Même le Décalogue stipule dès le début : Je suis l’Eternel ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves… (Exode 20 ; 2). Je suis l’Eternel votre Dieu qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte, pour être votre Dieu… (Nombres 15 ; 41). Cette idée est aussi reprise dans le livre du Deutéronome: Garde-toi d’oublier l’Eternel qui t’a fait sortir du pays d’Egypte... (6 ; 12-13) Même le livre du Lévitique n’est pas en reste en soulignant la servitude passée : car ce sont mes serviteurs que j’ai fait sortir du pays d’Egypte… (25 ; 42).
Les scripteurs bibliques ont veillé à ce que certains récits, comme le livre de Josué ou le livre des Rois, portent une mention de cette célébration de la Pâque par la consommation des pains azymes : Ils firent la Pâque au quatorzième jour du mois, au soir, dans les steppes de Jéricho… Et ils mangèrent, le lendemain de la Pâque, des produits du pays, azymes et graines grillées. Mais la référence la plus importante se trouve dans le deuxième livre des Rois en raison de la fameuse réforme du roi Josias qui eut lieu en 622 av. notre ère : ce monarque auquel tous les espoirs étaient permis mais qui mourut sous les flèches de l’armée égyptienne du Pharaon Néchao en 609 av. notre ère, à la bataille de Méguiddo, avait procédé à une importante réforme religieuse : la centralisation du culte dans le temple de Jérusalem. Ceci présupposait la destruction de tous les autres sanctuaires et la mise à l’écart des prêtres des autres cultes. Et pour mesurer l’enthousiasme et l’exultation des représentants de la tradition yahwiste la plus stricte devant une telle réforme, il convient de citer ce qui est dit dans ces versets : le roi (Josias) donna ordre à tout le peuple en disant : faites la Pâque en l’honneur de l’Eternel votre Dieu, comme il est écrit dans ce Livre de l’Alliance. C’est qu’il n’avait pas été une Pâque comme celle-là depuis les jours des Juges qui jugèrent Israël, ni durant tous les jours des rois d’Israël et des rois de Juda ; ce fut seulement en la dix-huitième année du roi Josias que fut faite pareille fête en l’honneur de l’Eternel à Jérusalem… Il n’y eut pas avant lui de roi qui, comme lui, revint à l’Eternel, de tout son cœur et de toute son âme… (II Rois 23 ; 21-23). On mesure en lisant ce dernier passage avec quelle satisfaction les prêtres ont enregistré ce retour vers une pratique pascale plus orthodoxe. Le texte ajoute même que jamais il n’y eut un Pessah aussi casher, aussi conforme aux règles, que sous le roi Josias.
Même de retour du premier exil en Babylone sous la conduite d’Esdras et de Néhémie, la Pâque n’est guère oubliée : on se purifia, on consomma les pains azymes ainsi que l’agneau pascal en présence de tous les anciens captifs de Babylonie : et les enfants de la déportation célébrèrent la Pâque le quatorzième jour du premier mois car les prêtres et les Lévites s’étaient purifiés ensemble… et ils immolèrent la Pâque pour tous les enfants de la déportation, et pour leurs frères, les prêtres et pour eux-mêmes.… et ils célébrèrent avec joie la fête des pains sans levain, pendant sept jours, car Dieu les avait réjouis et avait disposé en leur faveur le cœur du roi d’Assyrie…(Esdras, 6 ; 19-22)
Pour parachever cette présentation des références scripturaires à Pessah, mentionnons quelques passages des Evangiles où l’on voit Jésus, en bon juif respectueux de la tradition qu’il était, célébrer la Pâque avec ses disciples. Ainsi Marc 14 ; 12-26 et Luc 22 ; 7-37.
Qu’est-ce que la haggadah ?
On a vu plus haut, selon l’Exode (ch. 12), l’obligation qui est faite aux pères de répondre aux questions des fils sur les prescriptions pascales. Le texte biblique dit we-higgadta, tu relateras, tu narreras, tu raconteras à ton fils… On reconnaît sans peine la racine trilitère du verbe H G D au hif’il, c’est-à-dire au factitif dont le substantif donne le terme haggadah. C’est le récit, la narration de ce qui est censé s’être passé en cette mémorable nuit du 14 nissan, premier mois de l’année liturgique juive.
Au cours de cette veillée pascale qui s’étend sur deux soirées, le chef de famille récite la haggadah devant tous les convives. Cette récitation, strictement codifiée et comportant une série de bénédictions et d’actes rituels symboliques, s’appelle le séder. Ce qui signifie l’ordre, le déroulement de la veillée pascale (séder leyl Pessah). On peut se demander pourquoi deux soirs ? A l’origine, il n’y avait qu’une seule veillée, mais après la chute du premier Temple, une partie des Judéens fut conduite en captivité en Babylonie : pour être sûr que les habitants d’Israël et les déportés en Babylonie fêteraient au moins une fois en commun la veillée pascale, on fut conduit à dédoubler cette célébration. Mais aujourd’hui, en Israël, les rabbins ont supprimé la seconde veillée qui n’existe plus qu’en diaspora.
La fête dure sept jours dont les deux premiers sont rigoureusement fériés, c’est-à-dire qu’aucun travail n’est permis. Ensuite, ce sont les jours dits de demi-fête, en hébreu hol ha-moéd. Avant que la fête proprement dite ne reprenne les deux derniers jours.
Toutes les haggadot (pluriel de haggadah) comportent des conseils et des instructions concernant les préparatifs d’une si grande et si longue fête. Or, comme la Bible prescrit l’éloignement de tout levain, il fallut traduire en actes pratiques, voire même codifier ces prescriptions bibliques assez vagues.
La tradition rabbinique a disposé que vingt-quatre heures avant la veillée, c’est-à-dire le séder, chaque chef de famille doit procéder à la recherche du levain (bedikat haméts) dans sa maison, afin de voir si le nettoyage a été bien fait et si le levain et tous ses dérivés ont été éloignés de chez lui, pour être en stricte conformité avec les commandements bibliques. A la nuit tombée, le père de famille dispose dans chaque pièce de son habitation des petits morceaux de pain soigneusement emballés qu’il recherchera avec ses enfants à la lueur d’une bougie : cette procédure, essentiellement pédagogique, est censée symboliser la recherche attentive du levain, le haméts. Le lendemain matin, après le petit déjeuner, on procède à l’incinération de ces petits bouts de pain ou de levain en récitant une prière en araméen (langue du premier paragraphe de la haggadah) qui stipule que tout dérivé de levain en ma possession, que je l’aie ou non vu, soit aussi insignifiant que la poussière de la terre (ke-‘afra de-ar’a).
Dans le Deutéronome il est stipulé qu’on ne verra point chez toi de levain, dans toute l’étendue de ton pays, pendant sept jours (16 ; 4). Que font les mères de famille ou les personnes chargées de mener à bien ce qu’on peut nommer le grand nettoyage de printemps ? Il ne suffit pas d’éloigner le levain, de tout ranger dans une cave ou dans un box, notamment la vaisselle ordinaire du reste de l’année, les couverts, les coupes etc…, il ne faut pas que ces dépendances soient votre propriété, relèvent de vous pendant la durée de la fête, faute de quoi la tradition rabbinique, responsable de tous ces règlements talmudiques, considérera que vous ne vous êtes pas acquittés de votre devoir et qu’une certaine quantité de levain et de ses dérivés est encore présente chez vous. Les rabbins proposent donc une sorte de fiction juridico-légale qui consiste à réaliser la vente temporaire virtuelle de ce box ou de cette remise pendant la durée de la fête. On signe donc un papier avec un partenaire non-juif qui assume la propriété du levain durant la fête.
Quant à la nouvelle vaisselle, celle destinée à Pessah spécifiquement, elle ne doit apparaître dans la maison qu’une fois le nettoyage effectué. Si on n’en possède point, alors il faut immerger couverts et assiettes dans de l’eau bouillante. Si on ne dispose pas d’une autre batterie de cuisine, il faut passer casseroles et marmites au feu afin d’être certain qu’aucune trace même infime de levain (haméts) n’y subsiste…
Le plateau du séder, la veillée pascale
Cette célébration qui dure sept jours nécessite un grand nombre de préparatifs. Aujourd’hui, les pains azymes sont fabriqués dans des usines de l’industrie agro-alimentaire travaillant sous un strict contrôle rabbinique, mais au Moyen Age, à l’époque de Joël, les particuliers fabriquaient eux-mêmes leurs galettes, soit à titre strictement individuel soit pour un groupe de familles. On doit aussi préparer un plateau, appelé le plateau du séder, qui contient au moins les trois ingrédients indispensables et dont les noms résument à eux seuls toute la fête. Les voici dans l’ordre dans lequel ils sont récités par tous les convives à l’unisson, à la suite du récitant : Pessah (la viande de l’agneau pascal), matsa (les pains azymes, au nombre de trois), maror (les herbes amères). La tradition ashkénaze recourt généralement au raifort dans les pays nordiques, d’Europe centrale et orientale où, contrairement aux pays méditerranéens, la nature est moins généreuse. Le texte hébraïque précise que celui qui n’aura pas prononcé ces trois mots ni ingéré les trois aliments qu’ils désignent est réputé ne pas avoir célébré la fête de Pessah conformément aux rites prescrits.
Outre ces trois aliments incontournables, le plateau contient cette pâte décrite plus haut, le harossét, de l’eau salée ou mélangée à du vinaigre, un œuf dur (qui renvoie au commencement, ab ovo) et d’autres légumes et fruits qui relèvent plus du coloris local que de la tradition stricto sensu. [11]
Les quatorze étapes de la veillée pascale
Dans la haggadah de Joël, comme dans toutes les autres, l’ordre est immuable, même si le contenu de certaines prières peut varier. Voici les quatorze points de la veillée qui est, en tout état de cause, divisée en deux parties principales dont la première est la plus étendue. La césure se fait à l’occasion du dîner proprement dit afin de permettre aux enfants et aux personnes âgées qui ne peuvent rester réveillés durant tant d’heures (parfois au-delà de minuit) de ne pas aller se coucher sans s’être restaurés !
Le premier acte consiste en la sanctification (kadèsh), c’est-à-dire la récitation d’une bénédiction sur la coupe de vin. La tradition recommande de consommer ce soir-là quatre verres de vin afin d’être très joyeux ! Cette coupe du kiddouch est donc la première des quatre. Dans sa haggadah, Joël souligne que chaque coupe de vin bue par les convives doit être précédée par une bénédiction : quatre verres, donc quatre bénédictions. Joël semble accorder une certaine importance à cela.
Immédiatement après y avoir trempé ses lèvres, comme tous les convives, le récitant va se laver les mains mais sans prononcer de bénédiction, il ne le fera que plus tard, juste avant d’entamer le dîner pascal proprement dit. Ce second acte se nomme le lavage (rehats) des mains.
Pour effectuer le troisième acte, on prend un morceau de céleri ou de persil que l’on trempe dans de l’eau salée. Pourquoi ce légume ? Probablement pour symboliser le bouquet d’hysopes (Ex. 12 ; 23) que les Hébreux ont trempé dans le sang du sacrifice afin d’en badigeonner le linteau de leurs portes. Mais chaque école talmudique, chaque groupe traditionnel a tendance à trouver le symbolisme qui l’inspire le plus.
Dans le plateau du séder, il y a trois matsot ; le chef de famille se saisit de la matsa du milieu qu’il rompt en deux parties, un peu comme Dieu a scindé la Mer rouge afin que le peuple d’Israël puisse la traverser à sec. Mais on cache sous la nappe de la table l’une des deux parties de cette galette azyme. Dans la tradition séfarade de rite judéo-arabe, située à des années-lumière de Joël, les convives entonnent alors un hymne qui célèbre ce miracle de la Mer rouge lors de la sortie d’Egypte. Comme il y avait, nous dit la tradition, douze tribus, Dieu a aménagé un nombre de couloirs correspondants ; l’hymne se clôt sur l’espoir d’un retour rapide à Jérusalem.
Le cinquième acte marque le début de la récitation de la sortie d’Egypte. Nous y reviendrons par le menu, plus bas. Mais c’est bien là la pièce de résistance de la soirée, puisque tous les événements marquants de cet événement fondateur sont évoqués et abondamment commentés, depuis l’esclavage jusqu’aux dix plaies d’Egypte en passant par les miracles déployés par Dieu pour sauver son peuple.
Comme on va dîner dans quelques instants, non sans avoir au préalable consommé les herbes amères, le morceau du sacrifice pascal et le pain azyme, on se lave les mains et on récite la bénédiction correspondante. C’est la sixième étape.
On sort la première partie de la galette azyme pour dîner, c’est le signal que tous peuvent consommer librement et à volonté les matsot. Nous en sommes à la septième étape.
Le huitième acte consiste à consommer des herbes amères que le chef de famille mêle à du harossét, cette fameuse pâte, pour en adoucir le goût.
La neuvième étape apparaît un peu comme une redondance, car on s’en réfère à Hillel l’Ancien, l’ancêtre du judaïsme rabbinique qui était l’incarnation de la vertu : on lie ensemble (c’est le sens du terme hébraïque korékh) l’herbe amère, la galette azyme et le harossét que l’on ingère sous cette forme, à l’instar de ce que faisait l’illustre et vénérable vieillard.
On dîne, c’est ce que la tradition nomme dans la haggadah shulhan ‘orékh, c’est-à-dire dresser la table pour le repas.
A la fin du repas, on reprend la partie du pain azyme que l’on avait enfouie sous la nappe et on en distribue un morceau à chaque convive. Comme ce pain azyme avait été caché, on nomme cette étape de la veillée, tsafoun, qui signifie ce qui était caché. Nous en sommes à la onzième étape. Dans la haggadah Bodmer, il est spécifié qu’après avoir goûté un morceau de cette galette azyme, on ne prend plus de nourriture. Il ne reste plus que les deux coupes de vin.
L’action de grâces après le repas, en hébreu la birkat ha-mazone, marque la fin de cette longue première partie du séder.
La treizième étape, l’avant-dernière, est marquée par la reprise de la récitation, mais cette fois-ci, il ne s’agit plus de la sortie d’Egypte proprement dite mais des Psaumes 113 à 118 qui constituent le hallel[12] (louanges ; ce terme se trouve aussi dans hallel (ou) yah. C’est un hymne triomphal adressé au Dieu libérateur et providentiel).
La dernière étape se nomme nirtsa, ce qui signifie que la veillée s’est déroulée comme il se devait et que les prières ont été agréées. Car il ne faut pas oublier que des prières générales clôturent les deux parties principales de cette haggadah où les orants implorent Dieu de hâter la venue du Messie ainsi que leur retour en terre d’Israël. Puisqu’il a bien voulu sauver leurs ancêtres de la maison de servitude, il fera preuve de miséricorde en sauvant aussi leurs lointains descendants.
Le contenu théologico-religieux de la haggadah
A l’époque de la rédaction de la haggadah de Pessah, le petit peuple ne comprenait plus vraiment l’hébreu, devenu la langue des érudits, mais simplement l’araméen qui était du reste l’idiome de Jésus. C’est la raison pour laquelle le premier couplet de la haggadah est récité dans cette même langue et commence ainsi : ha-lahma ‘anya di akhalou abhatana be-ar’a de mitsrayim : voici le pain de misère que nos ancêtres mangeaient en terre d’Egypte. La suite est une invitation lancée à tous ceux qui sont faim ou soif : ils peuvent venir se restaurer en ces soirées de veillée pascale. En terre d’Israël, tout un chacun pouvait s’adresser jadis à n’importe quelle maison pour y célébrer la Pâque. Nous possédons l’exemple de Jésus et de ses disciples à Jérusalem.
Le couplet suivant, déjà mentionné, consiste en des questions qu’un enfant ou le benjamin de l’assemblée pose pour connaître ce qui distingue cette soirée de toutes les autres. Les développements qui suivent ne sont en réalité qu’une réponse circonstanciée à cette importante question. Toutefois, les longues réponses du chef de famille ne sont pas la reconstitution de la sortie d’Egypte proprement dite, mais l’idée que s’en fait la tradition juive et qu’elle souhaite nous transmettre. C’est toute la différence entre la mémoire et l’histoire. La haggadah nous transmet l’idée juive de l’histoire, celle qui est dirigée par un seul être, Dieu : en fait, elle illustre une seule idée, la présence et l’intervention de Dieu dans l’histoire universelle, et singulièrement dans celle de son peuple.
En demandant spécifiquement que chaque individu, à chaque génération, se considère comme étant lui-même sorti d’Egypte, la haggadah invite à revivre l’histoire : chaque juif incarne la mémoire de son peuple en revivant à titre personnel son événement fondateur auquel il doit s’identifier : la sortie d’Egypte. Au fondement de l’identité juive de toutes les époques gît le même principe : le souvenir de la maison de servitude. C’est dans ce creuset que Dieu a choisi de faire naître son peuple, de le renforcer au cours d’une longue et épuisante traversée du désert, qui a fait office de sélection naturelle.
On peut considérer la haggadah de Pessah comme le tout premier midrash (commentaire homilétique) du livre de l’Exode. Mais contrairement aux adeptes de l’Eglise primitive[13], les docteurs des Ecritures prennent tous les détails de la Bible au pied de la lettre et les amplifient à l’envi. La littérature patristique a préféré soumettre tout cela à une exégèse allégorique qui a spiritualisé le contenu concret de la haggadah. Un seul exemple, d’une importance capitale, caractérise fort bien cette tendance : la matsa, le pain azyme est considéré comme le symbole, l’incarnation de la modestie et de l’humilité des croyants en Dieu, ceux qui, à l’instar des Hébreux au bord de la Mer rouge, ont placé leur espoir en Dieu qui a fini par les sauver de mains du Pharaon. Le pain levé renvoie, lui, au cœur de l’homme arrogant qui se gonfle d’orgueil et qui s’imagine, dans son infinie vanité, que tous les bienfaits dont il jouit ici-bas sont dus à son mérite exclusivement, alors que c’est de Dieu que nous recevons tout.
Le paragraphe le plus important de la haggadah commence ainsi : Esclaves nous étions au Pharaon dans le pays d’Egypte. Et l’Eternel notre Dieu nous en fit sortir d’une main puissante. Le ton est aussitôt donné : si Dieu n’était pas intervenu en faveur des Hébreux, ils seraient encore des esclaves. C’est pourquoi toutes leurs générations doivent s’imprégner (kol ha-marbé le-sapper) de cette sortie d’Egypte. Les sages se demandent dans quelles proportions il convient de commenter cet événement, le plus important de tous : la haggadah donne quelques exemples. Les sages étaient en train de célébrer la Pâque et de lire la haggadah jusqu’au petit matin, à l’heure où il faut s’arrêter pour réciter le Shema’ Israël (Ecoute Israël). Ils avaient donc passé toute la nuit à méditer cette fameuse sortie d’Egypte. Un autre exemple, bien plus édifiant, nous est fourni aussitôt après : rabbi Eliézer ben Azaryah, éminent docteur des Ecritures, reconnaît son ignorance et rend hommage à un de ses collègues, Ben Zoma, qui a interprété comme il fallait la réminiscence scripturaire suivante : tous les jours de ta vie ! Qu’est-ce à dire ? Eh bien cela signifie tous les jours mais aussi toutes les nuits. Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à la venue du Messie ! Donc aussi longtemps que le monde est monde.
Après cette interprétation dialectique des Ecritures, la haggadah place l’épisode des quatre fils auxquels s’adresse la Tora : le sage, l’impie, le naïf et celui qui ne sait pas poser de questions. Dans la définition donnée de chaque représentant du peuple juif, la tradition marque nettement ses préférences qui se retrouvent d’ailleurs dans les illustrations peintes par Joël ben Siméon dans cette haggadah Bodmer.
C’est tout naturellement que le sage se soumet aux commandements de la Tora dont il revendique l’héritage. Cet homme sait qu’il n’est pas issu d’une génération spontanée mais représente, au contraire, l’état d’une tradition séculaire. Il s’enquiert donc des lois, des règles et des préceptes que Dieu a transmis à son peuple. C’est l’attitude la plus responsable, la plus élogieuse aux yeux de la tradition.
Procédant par séquence antithétique, la haggadah oppose à cet idéal traditionnel l’impie qui rejette tout au point de se dissocier de la communauté d’Israël. Le texte écrit même qu’il a rejeté l’essentiel, donc qu’il a apostasié. Dans sa condamnation virulente de l’impie, la haggadah ajoute même que si cet impie avait fait partie de la génération sauvée d’Egypte, lui, en l’occurrence, n’aurait pas bénéficié d’un tel élargissement.
Fidèle à lui-même, le naïf se contente de dire : mais qu’est-ce que ceci ? Il suffit alors de lui répondre que Dieu a usé des grands moyens (miracles, prodiges) pour sauver son peuple.
Enfin, concernant celui qui n’est pas assez doué pour poser des questions, la haggadah propose de répondre à ses interrogations même s’il ne parvient pas à les exprimer. Comment ? En lui citant le passage du livre de l’Exode (ch. 12) qui recommande d’expliquer à son fils tout le déroulement de la sortie d’Egypte.
La haggadah fait ensuite allusion à l’idolâtrie des ancêtres, notamment de Térah, le père d’Abraham : en une phrase, on obtient un précis de l’histoire des Hébreux : je pris votre père Abraham de l’autre côté du fleuve, je le fis venir jusqu’en terre de Canaan, je multipliai sa descendance, je lui donnai Isaac, je donnai à Isaac Jacob et Esaü, je donnai à ce dernier la montagne de Séir en héritage tandis que Jacob et ses fils descendirent en Egypte…
Le récit de la haggadah se poursuit avec une vibrante bénédiction adressée à Dieu qui a tenu sa promesse : à savoir, celle faite à Abraham concernant l’esclavage, mais aussi la libération de son peuple, suivie de la punition de ses oppresseurs.
Les paragraphes suivants mettent l’accent sur la détérioration des relations entre les Hébreux, venus en Egypte pour échapper à la famine, et le Pharaon qui entend les réduire à l’état d’esclaves. On prend alors connaissance de la plupart des versets du livre de l’Exode exposant les travaux forcés et la grande misère du peuple d’Israël sur les bords du Nil. Une détresse à laquelle Dieu ne resta pas insensible, puisqu’il déversa sur le sol égyptien de multiples plaies qui vinrent à bout de l’opiniâtreté du Pharaon. Ce n’est qu’après que ce dernier consentit à les libérer.
Ces plaies retiennent toute l’attention des sages talmudiques dont les discussions sont reprises ici : combien de plaies se sont abattues sur l’Egypte : cinquante, deux cent cinquante ? Combien en Egypte même et combien en bord de mer ?
Ménageant adroitement les transitions, la haggadah présente alors un hymne de gratitude qui énonce tous les bienfaits que Dieu a accordés à son peuple. Ce beau poème, richement illustré dans la haggadah de Joël, est accompagné d’un refrain que les convives entonnent à la fin de chaque phrase : s’il nous avait fait sortir d’Egypte, mais n’avait pas exercé contre ce pays la rigueur de son verdict… cela nous aurait suffi (dayyénou).
Comme la fin du récit (du moins sa première partie) est proche, on rappelle que la reconnaissance du peuple d’Israël à l’égard de Dieu doit être éternelle. Mais la quintessence de Pessah, pour ainsi dire, est réservée au grand sage rabbin Gamaliel qui la fait tenir en trois termes (déjà évoqués plus haut) : pessah (sacrifice pascal), matsa (pain azyme) u-maror (herbes amères).
Une prière solennelle pour la rédemption et le salut du peuple d’Israël clôt cette importante première partie. En voici la traduction :
Béni sois-tu Eternel notre Dieu, roi de l’univers, toi qui nous as délivrés comme tu avais délivré nos ancêtres d’Egypte ; tu nous a conduits jusqu’à cette soirée où nous mangeons le pain azyme et les herbes amères. De même, puisses-tu O Eternel Dieu de nos pères nous accompagner en paix jusqu’aux prochaines fêtes ! Que nous nous réjouissions de la construction de ta cité et te servions dans l’allégresse ! Dans ton temple nous mangerons de tes offrandes et des sacrifices de Pâque dont le sang aspergera les parois de ton autel. Nous entonnerons un hymne à ta gloire pour notre rédemption et notre délivrance. Béni sois tu Eternel qui as rédimé Israël !
Il ne reste que deux coupes de vin à boire. La troisième précède immédiatement la seconde partie qui consiste en la lecture du hallel, ces Psaumes 113-118 qui exaltent le secours divin, sans lequel la rédemption n’aurait pu avoir lieu. Israël prie donc désormais pour la rédemption finale.
Après cette récitation des Psaumes, la haggadah comporte des cantiques provenant de la liturgie du samedi et des jours de fête. : nishmat kol hay tevarekh et shimkha (l’âme de tout être vivant bénit ton Nom)
L’acte final se dit, comme on l’a vu, nirtsa :
L’ordonnance de Pessah a été suivie à la lettre, conformément à ses règles et à ses commandements. Puissions-nous continuer à célébrer cette fête de Pessah à l’avenir comme nous l’avons fait cette fois ci !
O, toi qui es la source de la pureté, toi qui demeures dans les hauteurs, rassemble ce peuple que personne ne peut dénombrer.
Rapproche- les, conduis- les, délivrés, vers Sion, dans l’allégresse.
Les caractéristiques de la haggadah Bodmer
A l’instar de toutes les autres haggadot, celle-ci commence par expliquer le rituel de la recherche et de l’incinération du levain (bedikat u-bé’ur hamets), la veille du premier soir du séder. En guise d’illustration, on voit, face au petit paragraphe qui énonce les procédures à suivre et les bénédictions à réciter, un homme, vêtu d’un habit assez court et armé d’une sorte de fourche, incinérer le levain. Une autre indication est donnée qui a trait aux préparatifs de la fête de Pessah. Il s’agit de la règle du éruv qui signifie en hébreu mêler, mélanger. Dans le cadre de la fête ou du sabbat où toute activité est sérieusement réglementée, voire interdite, on appelle aussi éruv l’action de commencer la cuisson d’un plat avant le début des jours de fêtes permettant de cuisiner, alors que la halakha (la règle normative juive) interdit de le faire ces jours-là.[14]
Cette prescription rabbinique a trait aux sabbats et aux jours de fêtes au cours desquels il n’est pas permis de transporter quoi que ce soit d’un endroit à un autre. Mais comme il était indispensable de transporter de la nourriture d’une maison à une autre, ou d’un lieu à un autre, les sages ont mis au point une sorte de fiction juridico-légale qui abolit virtuellement les distances et les frontières, tout en n’enfreignant pas la loi. Cela s’appelle éruv tavhsilin (mélange des lieux et des moments de cuisson). Dans le commentaire de ce rituel, la haggadah précise que si la fête commence un jeudi et un vendredi, on procède alors à ce éruv dès le mercredi. La prière en araméen de cet éruv est reproduite in extenso.
Aux folios 76-77, il est question de la « casherisation » (ha’gala) des ustensiles, des couverts et des assiettes pour toute la durée de la fête : aucune miette de levain ou de ses dérivés ne doit subsister dans la maison ni dans la vaisselle. Un paragraphe entier est consacré à la préparation des pains azymes qui doivent être mis à l’abri de l’humidité, afin d’éviter tout danger de fermentation qui les rendrait impropres à la consommation durant la fête de Pessah.
Après l’explication des préparatifs de la fête, qui vont de la recherche du levain à son incinération en passant par le rituel du éruv, la haggadah en vient au cérémonial de Pessah proprement dit. Et là, il y une prescription rabbinique qui pourrait étonner quelque peu au cœur d’une fête religieuse: il faut boire les quatre coupes de vin en se penchant du côté gauche car, selon la tradition, c’était jadis la posture des hommes libres, contrairement aux esclaves. Les enfants d’Israël doivent donc, par cette posture, se souvenir de leur ancien statut d’esclaves et remercier Dieu de les en avoir affranchis. Le Talmud, généralement prolixe sur bien des rites, ne nous dit rien sur la provenance d’une telle coutume.
Au folio 11, on lit un titre en gros caractères: « les quatre coupes de vin de Pessah ». Pour chaque coupe prise séparément, on récite la bénédiction « qui a créé le fruit de la vigne », car chaque coupe a fait l’objet d’une prescription spécifique. Chaque coupe requiert un hymne en soi. De même que l’action de grâce après le repas est intercalée entre la première et la seconde coupe, ainsi la lecture de la haggadah et la récitation du hallel (Psaumes 113 à 118) sont intercalées entre les deux coupes restantes dont chacune requiert une bénédiction. Mais certains ne récitent la bénédiction que sur la coupe du kiddoush (sanctification)
Comme on l’a dit précédemment, Ernest Renan n’avait pas entièrement tort de se gausser un peu de ce qu’il nommait «le sérieux judaïque». Et Joël ben Siméon nous en donne un nouvel exemple en précisant qu’il faut réciter une bénédiction supplémentaire précédant celle qui sanctifie la coupe de vin. Il s’agit d’exprimer sa gratitude envers Dieu qui nous a maintenus en vie (shé-héhiyyanou we-qiyyémanu) et nous a ainsi permis de célébrer la fête cette année. Joël ajoute que cette action de grâce doit être récitée les deux soirs du séder et pas seulement le premier. Partant, lorsque le récitant sanctifie la première coupe de vin, il doit réciter cette bénédiction supplémentaire, laquelle est prononcée à chaque fête.
Pourquoi agit-on ainsi ? Cet hommage rendu à Dieu s’explique par les persécutions sanglantes dont les juifs étaient victimes au cours du Moyen Age, notamment lors de la fête de Pessah où les accusations de meurtre rituel étaient fréquentes : en effet, on soupçonnait les juifs d’enlever des enfants chrétiens afin d’utiliser leur sang (sic !) pour la préparation des pains azymes et du harossét. Cette accusation était particulièrement ignominieuse, puisque dès le livre de la Genèse la consommation de sang animal est strictement interdite aux juifs, a fortiori celle d’un être humain. Mais Joël n’y fait pas la moindre allusion.
A propos des quatre coupes, Joël précise qu’avant de boire chacune de ces coupes, il faut réciter la bénédiction : « qui a créé le fruit de la vigne » (boré peri ha-géfen). Ce qui ramène les bénédictions à cinq, si l’on y ajoute celle du récitant qui fait le kiddoush (sanctification). Mais ceci ne s’applique qu’aux deux premiers soirs et non aux cinq autres jours de la fête.