De la Métaphysique à la métapolitique :
Réflexions (désabusées) sur une campagne électorale
Enfin rentré d’Espagne dont le soleil et le chaleur humaine me manquent déjà cruellement sous la brume parisienne, je jette un coup d’œil inquiet sur la pile de journaux qui m’attendent. J’écoute aussi la radio, même si à Salamanque j’ai écouté sur l’I phone l’interview de N.S. sur RTL, comme si j’y étais. Mais pour le reste, j’en étais réduit aux bulletins de France 24.
Je dois dire d’emblée que le repos et la distance par rapport au débat politique m’ont permis de jeter un regard nouveau sur ce qui se passe, et en particulier les débats, les confrontations et les promesses des uns et des autres à l’intention des électeurs. Cette distance m’a quelque peu dégrisé, même si ceux qui me lisent régulièrement savent de quel côté penche mon cœur… Eh bien, aujourd’hui, même sur ce point je suis un peu désabusé, même si je ne donnerai pas mon suffrage à des candidats qui promettent monts et merveilles.
Gravement déçu par le niveau des débats, toutes ces promesses qui virevoltent sous nos yeux, ces candidats qui se contredisent matin et soir, qui ne disent pas la vérité sur l’état réel des finances publiques (à l’exception de François Fillon qui avait eu le courage de dire publiquement qu’il était à la tête d’un Etat en faillite), j’ai tenté de mobiliser ce que j’ai appris de l’histoire des systèmes politiques et la direction des affaires publiques depuis l’Antiquité. Dans le seul but de m’orienter théoriquement.
Platon et Aristote ont, à des degrés divers, enseigné que la cité devait être régie par des hommes de qualité, honnêtes et dévoués à l’intérêt général. Platon, notamment, qui constitue le fondement indispensable à toute notre histoire politique, enseigne que ces dirigeants doivent former des disciples apes à prendre la relève afin que la cité ne soit pas livrée à elle-même, sans loi ni règle. C’est seulement après avoir assumé leur tâche jusqu’au bout qu’ils partent, à la rame, vers les îles des bienheureux où ils finiront leur vie dans la méditation et la préparation à la vie éternelle.
Quel idéalisme platonicien, tempéré par le pragmatisme d’un Aristote qui, ayant été le précepteur d’Alexandre le grand, avait une meilleure intelligence des voies de ce monde et de la réelle nature humaine.
Les Grecs avaient établi une relation indispensable entre la Métaphysique et la Politique : ils considéraient que l’art de gouverner les hommes, la manière d’organiser la vie en société, devaient s’appuyer sur des connaissances qui dépassent les chemins du monde physique : en somme, que les hautes spéculations ne devaient pas être coupées de notre existence quotidienne. Et que la société était une sorte de débouché pour la Métaphysique. C’est pour cela qu’ils parlèrent du macrocosme (l’univers) et du microcosme (homme, univers en miniature). Ils érigèrent même comme modèle souhaitable pour l’homme parfait, la macroanthropos, l’homme complet, parachevé…
On peut dire que l’authentique vocation de la politique consiste à ne pas mentir, à penser le vrai et à faire le bien au bénéfice de tous. Face à la Métaphysique, les Grecs ont donc aussi inventé la Métapolitique, une science aux visées élevées, même si Athènes elle-même n’a pas toujours suivi ce chemin vertueux.
Mais aujourd’hui que voyons nous, qu’entendons nous ? Tel candidat se contredit matin et soir, tel autre dit avoir concrétisé toutes ses promesses, telle autre se plaint de ne pas avoir toutes les signatures pour avaliser sa candidature…
Tel débat télévisé (que j’ai entrevu à Madrid) tourne à la mascarade devant quelques millions de téléspectateurs, et chaque matin que D- fait donne l’occasion aux uns et aux autres de dire un certain nombre de choses censées entretenir artificiellement un débat dépourvu d’une réelle consistance.
Une chose demeure sûre et certaine : quel que soit l’heureux élu (et nous pensons bien que ce sera celui qui a le plus d’expérience du pouvoir, quoiqu’en disent les sondages actuellement), la tâche sera ardue. Et, en toute honnêteté, le challenger de gauche n’est pas vraiment prêt.
Hier à Madrid, ville joyeuse et à l’atmosphère toujours festive, j’ai entendu le président du conseil espagnol dire que la situation était préoccupante…
C’est aussi cela, l’art de la politique, utiliser des épithètes que chacun peut comprendre et interpréter à sa façon. Mais c’est aussi un risque grave que Fr Schiller dénonçait déjà dans sa célèbre pièce de théâtre, Die Räuber, les brigands en écrivant : Die Nichstwürdigen werden mit List regieren…
La ruse est devenue un mode de gouvernement.
Maurice-Ruben HAYOUN
TDG du 1er mars