Comment peut-on vendre une église ?
Et pourtant, cette triste solution est souvent celle à laquelle doivent se résoudre maintes associations diocésaines lorsque les communautés villageoises, notamment rurales, se révèlent incapables d’entretenir les biens sacrés de la communauté chrétienne. Certes, aucun lieu sacré, une église en l’occurrence, ne peut être vendu sans l’autorisation de l’évêque local. Mais ce phénomène prend de l’ampleur ces derniers temps. Bien que n’entrant dans une église que pour écouter un concert de musique ou pour en admirer l’art architectural (comme je le fis à Bologne, par exemple, il y a quelques semaines), je trouve triste que l’Eglise soit amenée à se défaire de certains de ses édifices sacrés.
Et puisque je parle de sacralité, je dois dire un mot de la façon dont un édifice devient un lieu de culte, en d‘autres termes, comment un lieu devient saint ou sacré. Comment s’effectue la dévolution de la sainteté, de la sacralité à un lieu ?
J’avoue ne pas connaître dans les détails l’état de la question au sein de l’église catholique, n’était pas au fait du droit canon. Je sais, en revanche, que lorsqu’une église est cédée à une destination laïque ou profane, les acquéreurs s’engagent à en respecter au moins l’architecture et à ne pas pratiquer dans ce même lieu des activités déshonorantes ou dégradantes.
Dans le judaïsme talmudique, c’est encore plus précis. Tout d’abord, eu égard au style dépouillé des synagogues (en effet, aucune règle n’est prescrite quant à la construction de l’édifice ni à la disposition du mobilier, seule l’arche sainte doit être positionnée dans la direction de Jérusalem, vers l’est, mizrah), on peut prier n’importe où : l’essentiel étant d’atteindre le quorum religieux de dix hommes âgés de 13 ans révolus.
Quand les circonstances exigent de se défaire d’une synagogue, on peut le faire mais l’acquéreur doit s’engager à en respecter l’ancien caractère religieux, notamment en n’en faisant pas une tannerie, en raison de la mauvaise odeur qui embaumerait l’air et dégagerait des remugles, des relents de puanteur. La deuxième interdiction stipule qu’on ne peut pas en faire un lieu de plaisir, par exemple une maison close ou autre.
Pour le judaïsme, un lieu est sacré ou saint par destination, il le devient, il ne l’est pas nécessairement, dès l’origine. Tout lieu, s’il respecte certaines conditions, peut devenir sacré par vocation. C’est un peu différent dans le cas des églises.
Il n’en demeure pas moins triste de voir des églises devenir des Fast food ou autres… Je pense que cela correspond aussi à un phénomène de déchristianisation et de désacralisation, héritées d’une lointaine société de consommation qui a enseigné aux plus faibles et aux plus démunis intellectuellement d’acheter toujours plus, d’être fasciné par l’argent facile (des footballeurs incultes ou de vulgaires chanteurs de music hall, etc) et de ne croire qu’en l’avoir et non plus en l’être.
Je reconnais bien volontiers que ce type d e raisonnement est l’œuvre de ceux qui sont repus, bien au chaud dans des quartiers cossus et bien protégés, mais tout de même !
L’église chrétienne, que j’aime mais qui n’est pas mon église, a rendu d’incommensurables services à l’humanité, lui apprenant à mourir en lui expliquant qu’en quittant ce monde on ne sombre pas dans le néant, elle lui a aussi enseigné, dans le sillage de la synagogue, à aimer son prochain et à protéger les faibles. Autant de conditions qui sont indispensables pour le vivre ensemble.
Même un juriste aussi peu casher que Carl Schmitt a reconnu dans un ouvrage oublié (mais traduit en français : Politische Theologie) que les idéaux républicains actuels étaient en réalité des théologoumènes sécularisés.
Chaque village, chaque bourg de France a sa Place de l’église. Elle doivent continuer d’exister.