La victoire de l’Algérie au Brésil : les dessous d’une allégresse populaire dans les rues de Paris.
Ceux qui eurent la malchance de se retrouver hier dans le périphérique de Paris ou place Maillot ont été pris dans des embouteillages monstrueux où des Maghrébins ou des Français issus de l’immigration ont défilé bruyamment avec des drapeaux de l’Algérie, leur pays d’origine. En soi, cela n’a rien de dérangeant mais quand on réfléchit à tête reposée sur les réponses des manifestants aux journalistes qui les ont interviewés, on se rend compte que la nature de cette allégresse est tout autre que celle, généralement ressentie par des amateurs de sport ou de bon football…
Il y a là une contradiction et aussi une source de malaise : d’un côté, les intéressés se plaignent de ne pas être intégrés dans la société française qui a accueilli leurs parents, voire leurs grands parents, d’un autre côté, dès que leur patrie d’origine réalise quelque chose, ils se reconnaissent et s’identifient à elle sans réserve. Que se serait il passé si c’était la France qui avait été en compétition avec son ancienne colonie ? On se souvient d’un certain match de football au grand stade de France où le Premier Ministre de l’époque, Lionel Jospin, avait été un peu secoué par des supporters déchaînés…
En soi, cela n’a rien de choquant et personnellement cela ne me dérange guère, mais quand j’entends ce qu’en disent ces bons Français moyens, éberlués de voir cette floraison de drapeaux étrangers dans les rues parisiennes, on peut se poser quelques questions.
Mais le philosophe voudrait plutôt méditer sur certaines déclarations recueillies en arabe à Alger : les gens ont dit que c’était une victoire pour les musulmans du monde entier !! Mais le sport ne connaît pas d’appartenance confessionnelle ni de dénomination religieuse. Lorsque l’équipe de France (qui n’est pas une équipe française) remporte une victoire dans les stades, nul ne se réclame de sa religion ni de son ethnie..
Cette victoire, chez le supporteur moyen, avait des goûts de revanche : mais contre qui et sur qui, sur quoi ?
Dans mon esprit, j’ai rapproché cela des pages intelligentes que Amin Maalouf développe dans son livre, Les désorientés. Les uns trouveront que l’auteur est réaliste, d’autres qu’il est pessimiste. Etant lui-même un libanais chrétien, c’est-à-dire un arabo-chrétien, il sait très bien de quoi il parle. Et à présent, je comprends mieux ce qu’il veut dire, lorsqu’il évoque les humiliations, les échecs et le ressentiment accumulés par tous ces peuples au cours de leur histoire. Cela a créé une déchirure qu’il est très difficile de guérir.
Selon moi, le sport doit rapprocher les hommes et leur permettre de se dépasser tout en respectant des règles de loyauté et d’estime mutuelle. Quand on gagne ou quand on perd dans un sport quelconque, on n’a pas à s’estimer grandi dans un cas ou humilié dans un autre. Cette discrépance entre Orient et Occident ne date pas d’hier. Certes, la colonisation est passée par là. Certes, les humiliations subies, consciemment ou inconsciemment par les grands pères, sont jugées injustifiables ou insupportables par les petits enfants. Tout le problème est là ; mais on peut tout faire avec du ressentiment, sauf un mode de vie ou une politique.
Il ne suffit pas d’habiter dans un pays, il faut aussi y vivre, s’identifier à son histoire et lier son propre destin au sien. Cela peut être difficile lorsqu’on a un contentieux avec lui ; mais dans le meilleur des cas, il faut dépasser ce différend en bâtissant un avenir.
Les sportifs ne sont pas des revanchards aigris mais des bâtisseurs qui construisent un monde à la foi nouveau et meilleur.