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Maimonide enseigné à Beyrouth?

Le Guide des égarés de Maimonide, enseigné à l’Université américaine de Beyrouth

Comment l’ai je appris, et pour quelle raison ? J’ai décidé de partager avec vous cette évolution assez extraordinaire bien qu’elle ne soit pas la fin du conflit, car une hirondelle ne fait pas le printemps. Cette histoire de Maimonide enseigné à Beyrouth a une préhistoire qui eut lieu en France, très exactement à l’Université d’Aix en Provence.

Il y a un peu plus de deux ans, un collègue arabisant m’a prié de participer à un jury de thèse de doctorat dont le sujet est le suivant : La prophétologie dans le Guide des égarés de Maimonide. J’ai évidemment accepté, étant le spécialiste de Maimonide, ce que n’étaient pas mes collègues du jury. Et le collègue d’Aix m’a expliqué qu’il s’agissait d’un jeune Palestinien, né à Amman où son père, enfant, avait émigré en quittant le village arabe de sa naissance, au moment même de la création de l’Etat d’Israël.

J’ai évidemment maintenu mon accord et reçus quelques jours plus tard par DHL, depuis Amman, un volumineux paquet de plusieurs centaines pages, en français, sur le sujet. Au même moment je reçus par mel une demande très respectueuse du candidat.

J’ai évidemment rédigé un rapport très favorable, étonné que j’étais de voir un jeune Arabe, de surcroît palestinien par ses parents, choisir dans une université française un sujet de thèse «juif».

Je rappelle pour ceux qui ne le savent pas que Maimonide (1138-1204) , de son nom d’état civil Moussa ben Maimoun ibn Abdallah al kortoubi al israeli, était un écrivain judéo-arabe car dans le Moyen Age juif de son temps, la langue philosophique était l’arabe qui avait récupéré tout les legs intellectuel et spirituel de l’hellénisme tardif. Ce qui veut dire que pour Maimonide et la totalité de ses devanciers, tout le corpus aristotélicien avait été traduit, présenté et commenté par des auteurs comme al-Farabi, Avicenne et Averroès, sans oublier ibn Badja et ibn Tufayl. Et Maimonide, né dans la sphère culturelle, linguistique et philosophique de cette civilisation arabo-musulmane, en fut imprégné. Quand il quitta sa ville natale sous la pression et la menace de la secte fanatique des Almohades il se réfugia avec sa famille à Fès où il suivit les cours d’un disciple d’Ibn Badja, l’un des plus remarquables philosophes musulmans du XIIe siècle. Cette imprégnation de Maimonide par la culture arabo-musulmane a même mis en circulation un mythe, celui de sa prétendue conversion momentanée à l’islam, conversion qui n’eut évidemment jamais lieu. Un élément absolument incontestable plaide pour cela : chacun sait que les juifs ne se font pas de cadeaux entre eux, et si tel avait été le cas, les adversaires de Maimonide lors des controverses suscitées par son enseignement, n’auraient pas hésité une seconde à le compromettre à tout jamais… Rendez vous compte : l’auteur du Mishné Tora,, un apsotat, même repenti !! Une telle accusation n’a trouvé place que dans les cercles des historiens de la médecine arabe, jaloux de voir la place occupée par leur collègue juif très envié à la cour de Saladin. Maimonide était aussi le médecin traitant de la mère du roi, dite la sultane validée (al-soulatana al walida)… Cela pouvait aider !

Maimonide fait allusion à cette grave accusation calomnieuse qui a failli le coûter la vie. Il put bénéficier de l’intelligente clémence du roi qui débouta les accusateurs en disant qu’il ne devait pas y avoir d e coercition en matière de croyance religieuse..

Au cours de la soutenance à Aix, je demandai au thésard comment il avait pu accéder au texte de Maimonide, il me répondit ce que je viens d’expliquer : le Guide des égarés fut écrit en langue arabe avec des caractères hébraïques, lesquelles sont au nombre de vingt-deux : il lui a suffi d’apprendre ces caractères en un après midi, le reste coulait de source.

Et je dois dire que le jeune candidat connaissait son affaire et qu’il fut reçu docteur avec la mention très honorable. Cet nouveau docteur se nomme Abdul al-Hamid al-Kayyali. C’est lui qui vient de m’envoyer d’Amman cette nouvelle : on donne des conférences à Beyrouth sur le Guide des égarés de Maimonide. La nouvelle n’a pas manqué de me surprendre.

La conférencière qui s’en occupe note qu’alors que des avions de combat d’Israël survolent Beyrouth à intervalles réguliers, cela n’empêche pas els étudiants sunnites, chiites, ou druzes de suivre avec intérêt un penseur juif qui, il y a plus de 820 ans, rédigeait dans leur langue, l’arabe, langue du Coran, son œuvre philosophique majeure, l’œuvre la plus importante du Moyen Age juif. L’enseignante ne cache pas sa surprise de constater que dans ce cas particulier, les étudiants acceptent volontiers de dissocier la philosophie juive de leur puissant et encombrant voisin, tant il est vrai que la sagesse, l’intelligence et l’ingéniosité peuvent parfois (pas toujours) venir à bout de la haine et de la culture de mort.

Cet événement, car c’en est un, nous donne l’occasion de dire un mot de la fraternité linguistique entre ces deux langues, l’arabe et l’hébreu. L’hébreu compte un peu plus de 1500 racines, l’arabe plus de 3500… C’est Louis Massignon lui-même qui nous le dit.

Maimonide et ses devanciers (Ibn Gabirol, Juda Ha-Lévi) ont écrit leurs œuvres philosophiques ou spirituelles majeures en langue arabe : l’original arabe du Meqor Hayyim de Gabirol est perdu et le Cusari de Ha-Lévi fut lui aussi rédigé en langue arabe avant d’être traduit en hébreu par Juda ibn Tibbon, ancêtre d’une lignée de traducteurs.

Quant à Saadia Gaon, qui marque les débuts du rationalisme juif, son ouvrage Sefer Emounot vé déot donnait ceci en arabe originellement : Kitab al-amanat wal i’tiqadat

Si vous regardez la traduction française du Guide par Salomon Munk, vous verrez dans les notes que l’œuvre n’aurait pas existé sans les sources arabes. C’est encore plus évident si vous utilisez la traduction anglaise de Shlomo Pinès et les sources sont magistralement exposées dans l’étude de Léo Strauss, How to begin the study of the Guide ?

Je me demande ce qui peut bien se passer dans l’esprit de ces jeunes étudiants de Beyrouth, découvrant que leur puissant voisin en lequel ils voient le diable et la quintessence du mal a pour philosophe majeur, un homme qui parlait et écrivait leur langue, l’arabe, avant que ses successeurs ne procèdent à une ré-hébraïsation de la philosophie juive. Ce qui est logique et normal.

Plus proche de nous, un écrivain franco-libanais, nouveau membre de l’Académie Française, Amin Maalouf, a évoqué ce sujet dans on livre, Les désorientés. Il dit avec sagesse qu’il ne faut surtout pas rappeler aux Libanais chrétiens ou musulmans que Moïse Maimonide avait écrit son Guide des égarés en arabe avec le titre suivant : Dalalat al-Hayyirin, le Doctor perplexorum.  Soit ils n’admettront jamais ce  fait en leur croyance, soit ils en minoreront l’importance .

Le jour où l’esprit retrouvera tous ses droits, où la culture n’aura plus la portion congrue, ce jour là se réalisera la prophétie du vieux prophète hébraïque Isaïe qui parle d’une connaissance de l’Eternel qui occupera alors la première place comme l’eau couvre la surfaces des océans. Or, comme le dit le psalmiste, le principe de tes propos O Seigneur, c’est la vérité (Rosh devarékha émét)

Mais il a dit cela il y a un peu plus de 2700 ans. Et on attend toujours… Mais Maimonide, dans l’intervalle, s’est élargi à ceux qui furent aussi les siens, il y a tant de siècles, lui qui mourut en Egypte en 1204. Mais son œuvre lui survit.

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