Eric Zemmour et son dernier livre, Le suicide français
Je n’ai pas lu et ne pense pas le lire vraiment, car de toutes parts on en parle, sur les radios, dans les journaux et sur les télévisions. Je sais à peu près ce qu’il contient. Pendant cinq ans j’ai suivi presque chaque semaine ce cher Zemmour sur On n’est pas couché de Laurent Ruquier et connais bien ses idées qui n’ont pas changé depuis. Je ne les partage pas toutes, mais simplement quelques unes.. Alors, je n’ai pas lu le livre car j’ai d’autres choses à faire, je n’ai pas l’intention de le lire car j’ai mieux à faire et pourtant je m’arroge le droit d’en parler ainsi que de son auteur ! Ce n’est pas logique…
Si, ça l’est. Car l’auteur est un personnage du monde politico-médiatique qui s’est forgé un renom et s’est taillé une place que bien des confrères lui envient, ce qui apparaît nettement dans leurs critiques si peu amènes, frôlant parfois des territoires aux contours un peu inquiétants. En fait, l’époque qui couronne périodiquement de tels personnages couronne les journalistes et les call girls ou simplement des vedettes du foot ball. Au moins, même s’il a échoué à maintes reprises au concours d’entrée à l’ENA et a raté une carrière de haut fonctionnaire dont il rêvait, Zemmour a au moins fait quelques études à la Fondation des sciences politiques, ce que ni Zidane ni Zlatane n’ont fait..
Partant, je préfère Zemmour même si je ne vois en lui qu’un simple journaliste, un peu au-dessus de la moyenne, mais un simple journaliste qui tente de passer pour un philosophe ou un historien. On est loin des Raymond Cartier, des Raymond Aron etc…
Alors comment s’explique ce succès que je ne lui envie guère et pour lequel j’aurai même tendance à le féliciter ? Ma réponse est : c’est l’époque qui favorise l’émergence de tels ouvrages et de tels personnages. Aujourd’hui, on veut tout faire simplement et vite, ce qui est impossible pour des esprits sérieux. On ne va pas au fond des choses, on sautille sur les problèmes. Mais voilà où sont les esprits sérieux, circonspects, attentifs aux détails, ayant scrupuleusement lu tous ceux qui ont écrit sur leur sujet avant eux ? Ils ont disparu ou s’ils existent encore ils sont devenus invisibles et inaudibles car les télévisions et les radios les ignorent. Et pourquoi ? Parce que l’audience de tels savants n’existe plus.
Alors analysons les raisons du succès ou du tintamarre autour d’Eric Zemmour ? Dois je répéter que je l’en félicite puisque chaque époque a ses gourous et qu’au fond lui n’a fait qu’appliquer une certaine idée du métier qu’il pratique. Et le public aima cela car il confond souvent les nouvelles du monde avec l’information spectacle. Aujourd’hui, la moindre mise en examen, la moindre catastrophe ici ou ailleurs, le moindre enlèvement, le moindre braquage de bijouterie, etc fait la une des journaux qui ne donnent plus d’informations mais font la chasse aux scoops !
Eric Zemmour l’a très bien compris. Avec l’esprit méthodique qui le caractérise, il a rapidement décelé les failles du système et a réponse à tout devant ses contradicteurs, lesquels, il faut le reconnaître, sont nettement malicieux et jaloux du succès d’un confrère qui les dépasse. Non pas par le talent mais par l’ingéniosité et le goût de la provocation. Il me semble même qu’ici, l’élément biographique peut servir de principe explicatif général : il y a la famille, la transplantation, l’adaptation à une société un peu nouvelle, et il y a aussi, ne le nions pas, un certain courage qui se confond avec ce goût du défi et de la provocation : en nageant à contre)courant, on se fait forcément remarquer.
Même si la comparaison est imparfaite, cela me rappelle un vieux souvenir : en 1977, jeune doctorant que j’étais, je lisais à mes heures perdues Le testament de Dieu de BHL. Evidemment, je ne pouvais pas être d’accord avec un auteur qui parlait élégamment de choses qu’il ignorait parfaitement. Mais une campagne de presse inouïe a fait le reste . Je me souviens très bien des critiques fondées de vieux doctes, tombées en désuétude, car ces savants n’avaient pas vu qu’on changeait d’époque et que ce n’était plus un déshonneur de lancer un tel ouvrage comme une marque de savonnette (Pierre Vidal-Naquet)… Qui, dans ce peuple de France qu’on dit en déclin, se souvient de ce militant anti-colonialiste, ce grand historien et helléniste de l’EHESS ? En revanche, nul n’ignore qui est BHL… Mais voilà, après une période de purgatoire, PVN resurgira parce qu’il a une œuvre et ne s’est pas contenté de diffuser des tracts…
Un dernier exemple, plus noble cette fois, puisque tiré du Guide des égarés de Moïse Maïmonide (1138-124) qui déplorait l’avachissement intellectuel et l’ignorance crasse de son temps : Si, dit-il, tu tentais d’arracher à sa torpeur un homme (il s’agit évidemment de la léthargie engendrée par l’ignorance et l’inculture) et que tu lui posais la question suivante : veux tu connaître les mystères de la création ? Veux tu connaître la vérité sur l’essence divine ? Aimerais tu aussi connaître le fin mot de la destination de l’homme, etc ? Cet homme, répond Maimonide, dirait : 0h, oui, je veux, je veux absolument. Et Maimonide de conclure ainsi : mais si vous lui dîtes ceci : auparavant, il faut que tu apprennes la grammaire, la logique, les mathématiques, les science propédeutiques, la physique, la métaphysique et enfin de compte l’éthique. Si tu persévères dans ces études qui te prendront des années et des années tu connaîtras tout. Le feras tu ?
Vous devinez quelle fut la réponse… Si vous avez trouvé la bonne réponse vous comprendrez le phénomène Zemmour pour lequel, dois je le répéter, je ne nourris aucune animosité.