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Bible et poésie de Michael Edwards, Editions de Fallois

Bible et poésie de Michael Edwards, Editions de Fallois

J’ai lu ce livre avec l’impatience que l’on devine et en un laps de temps assez court, non pas que le sujet ne fût pas important mais simplement en raison de mon vif intérêt pour la littérature biblique. Et j’ai perçu sous la plume de l’éminent auteur, le seul Britannique membre de l’Académie française, en plus de son attachement viscéral à une certaine forme de catholicisme, (il parle de sa conversion à cette religion), une véritable passion pour le sujet traité.

Ce livre est le résultat d’une série de conférences prononcées en différents lieux mais sa cohérence est tout à fait acceptable ; je me suis posé la question de l’intitulé du titre : Bible et poésie… Et pas Poésie biblique ni la Poésie dans le Bible. La raison est vite trouvée et nous vient des pages sagaces que l’auteur consacre au langage en général lequel possède plusieurs facettes dont certaines nous demeurent secrètes, comme le prouve, du reste, l’approche des kabbalistes juifs ou chrétiens, et aussi, on dirait même, surtout, les poètes. M. Edwards relève avec justesse que la première intervention du premier homme ne se fait pas n’importe comment (Dès que le premier homme ouvre la bouche, il le fait en vers…) Et la Bible qui se présente, tant chez les Juifs que chez les Chrétiens, comme la parole de Dieu, confère à la langue, de ce seul fait, une indéniable solennité, une sorte d’allusion à un état de langue presque adamique que nous aurions perdu, ce verbe qui a justement servi à Dieu lors de la création. Il y a là une nostalgie ou un espoir de cet univers divin disparu qui survit tant bien que mal dans un niveau de langue que l’on qualifie volontiers de poétique. Le verbe créateur, le logos, ne saurait s’apparenter à ce qui apparaît prima faciae du langage.

Bien que l’auteur dénie aux théologiens, aux philosophes et autres spécialistes le droit d’interpréter les Ecritures en substituant leurs propres idées à celles du texte commenté ou traduit, cela ne doit pas nous empêcher de rappeler que pour Johann Georg Hamann (1730-1790), le grand adversaire de la philosophie et de l’Aufklärung en général, quand la genèse parle de la création de l’homme par Dieu, cela signifie simplement qu’il le dota de la faculté de parler. Il lui donna le langage qui le distingue essentiellement de l’animal. Et ce même Hamann eut un excellent disciple qui n’est autre que Johann Gottfried Herder dont l’ouvrage Vom Geist der ebräischen Poesie n’a pas quitté mon esprit lors de la lecture de ce livre de M. Edwards.

Pourquoi, interroge l’auteur, tant de poésie dans la Bible ? Et il y a lieu de se poser la question tant les récits paraboliques, les apophtegmes, le machal et le nimchal constituent un genre omniprésent dans la littérature biblique. Mais l’auteur n’en parle pas car il confesse son ignorance de l’hébreu, ce qui ne le prive pas de faire certains rapprochements et comparaisons particulièrement bienvenus.

En lisant ses développements sur le caractère vivant, parlé de la Bible, je n’ai pu m’empêcher de penser à la traduction allemande de la Bible hébraïque par Martin Buber et Franz Rosenzweig qui insistaient, eux aussi, sur le caractère vivant et parlé des Ecritures qui sont là pour être récitées à haute voix… Or la poésie accomplit justement cet effet.

Et si je reviens sur cette fameuse conversion qui a changé du tout au tout le cours pris par la vie de l’auteur, c’est parce qu’elle lui a arraché des paroles particulièrement frappantes : la parole écrite redevint voix au moment où je l’entendis. C’est exactement ce que dirent les deux traducteurs allemands en livrant leur travail. Buber a dit expressément : Vous dites un livre, moi je parle d’une voix qui s’adresse à moi… La seule différence est que les deux savants juifs pensent à la parole du Dieu de la Bible hébraïque (que M. Edwards nomme constamment Ancien Testament par opposition à au Nouveau) alors que l’académicien pense exclusivement à Jésus-Christ. (Les mots même de la Bible vibrent de puissance et ne pas bâillonner cette puissance doit être le premier souci du traducteur… p 29).

Et nous nous trouvons là, grâce à cette phrase lumineuse, in medias res. M. Edwards s’interroge justement sur la compatibilité de la version originale et de la version traduite, surtout quand il s’agit du passage de l’hébreu ou de l’araméen, deux langues issues du sémitique nord et parlées par Jésus, vers la langue grecque dont le génie n’a rien à voir avec les deux cultures religieuses précédentes. Déjà l’original hébraïque offre certaines difficultés que Renan, titulaire de la chaire d’hébreu et d’araméen au Collège de France, qualifiait de quasi-insurmontables. Par exemple, la prédiction d’Isaïe qui parle d’une alma (le féminin de élém signifiant jeune homme) qui sera enceinte et accouchera d’un fils, Jésus, et où la théologie chrétienne veut voir la naissance virginale : tout dépend de la traduction : s’agit-il d’une jeune fille, d’une vierge (qui se dit betoula) ou d’une femme ayant déjà eu un relation sexuelle avec un homme… C’est dire l’importance cruciale d’une traduction exacte !

Un poète, grand amateur de textes poétiques, ne pouvait pas porter dans son cœur les interprétations théologico-philosophiques qui délaissent le sens obvie (quand il existe) pour se griser de gloses d’une autre nature. Même si j’ai consacré ma vie à l’étude des ces Religionsphilosophen du Moyen Age et de l’époque moderne ( de Maïmonide à Hermann Cohen, d’Al-Farabi à Averroès) je trouve la remarque de M. Edwards plutôt fondée : on ne peut prouver ni l’existence ni l’inexistence de Dieu… C’est sûr, mais on peut tout de même essayer et toute la culture européenne est né de cet effort à la fois désespéré et séminal.

La langue poétique marque aussi les limites de l’intellect humain quand il lui prend l’envie de tenir un discours sur Dieu. Maimonide le notait déjà au XIIe siècle dans son Guide des égarés, lui qui s’était évertué à réinterpréter dans un sens philosophique tous les homonymes bibliques les qualifiant d’anthropomorphismes inacceptables pour un monothéiste pur et dur. Le propre de la poésie, écrit M. Edwards, est plutôt de rendre sensible la nature corporelle du langage ; c’est très bien vu et s’applique parfaitement à la poésie dans la Bible. Sa nature inspirée la place en meilleure situation pour appréhender des réalités qui transcendent notre humaine condition.

Mais il y a un autre aspect qui est aussi mis en lumière par M. Edwards dans son livre : il s’agit de paraboles, des allégories et du discours figuré présents dans la littérature prophétique. Je ne multiplierai pas les exemples : voyez les tout premier chapitres du prophète Isaïe qui compare Israël à la vigne du Seigneur ou encore les passages où il vante la merveilleuse sagesse du Seigneur qui mène son monde comme l’agriculteur cultive son champ, avec science, persévérance et ingéniosité. Aucune opération ne doit endommager le champ et porter préjudice à quelque chose d’autre.

Et puis il y a les magnifiques livres dits sapientiaux (Proverbes, Ecclésiaste, Job ( sans oublier les Psaumes et le Cantique des Cantiques, ces deux derniers ouvrages étant largement traités dans ce livre.

La structure lexicale Cantique des Cantiques rappelle l’arabe qui parle du secret des secrets (Sar al-asarar) et le latin Canticum canticorum ou encore secretum secretorum pour désigner une forme au superlatif. Le génie de la Bible est d’avoir fusionné le fond et la forme au point que les paroles de sagesse semblent n’exister que sous cette forme. Lorsque les Proverbes s’adressent au sot comme un père s’adresse à un fils, il y a à la fois de la solennité et de la proximité, il n y a plus aucune distance. Le jeune homme interpellé semble très proche, nul doute qu’il fera siennes les paroles que le sage lui prodigue. Mais cette proximité à Dieu, conçu une divinité tutélaire, un Dieu d’amour, compatissant et miséricordieux, saute aux yeux quand on lit les Psaumes. Le sentiment religieux qui s’en dégage identifie son ou ses auteurs comme l’homme ou les hommes les plus religieux que la terre ait jamais portés. Lisez le Psaume 119, ce Psaume alphabétique le plus long de toute cette littérature (175 versets), il recourt à plus de cent-cinquante termes pour désigner les commandements divins ! Et ce Psaume 19 réputé pour cette fameuse harmonie des sphères, les mondes supérieurs qui entonnent des hymnes à la gloire du Dieu d’Israël… Et le Psaume 98 où les fleuves sont invités à battre des mains : n’est –ce pas un spécimen unique de poésie ? Et le Psaume 104 qualifié de Psaume cosmologique puisque il retrace en termes si concrets et si saisissants le récit de la création, les premiers pas de l’homme sur cette terre, vaquant à ses occupations, cultivant la terre et cherchant des moyens de se nourrir…

Quant au livre de Job ces quarante-deux chapitres n’ont pas fini d’intriguer les exégètes et les critiques : comment imiter le cri de Job sur son fumier qui dit : je te connaissais par ouï-dire mais à présent mon il t’a vu, c’est pourquoi je méprise (ma condition humaine)…

Il y aurait encore tant de choses à dire. Ce beau livre est très stimulant. Il faut le lire, il m’a appris aussi une chose qui est un enseignement de la Bible hébraïque et des Evangiles : la gloire ne doit pas être cherchée en soi mais bien en Dieu.

Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 11 mars 2016

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