L’âme de la France
On a l’habitude de lire ce genre de titre dans la littérature et la philosophie allemandes, la deutsche Seele. Il ne faudrait même pas dire l’âme française car cela renverrait à autre chose. L’âme de la France, c’est plus parlant. Et cela précise et les enjeux et l’arrière-plan, son contexte historique et culturel. Que l’on n’y voie aucune référence, même dissimulée à Charles Mauras. Je préfère, vous le savez bien, Ernest Renan. Il s’agit simplement de se faire l’écho de toute une population qui ne se reconnaît plus chez elle en France, en raison de cette bourrasque qui s’est abattue sur la vie paisible d’antan, une vie que les gens qui se plaignent, menaient chez eux, sans avoir à subir ce qu’ils ressentent comme une véritable invasion étrangère.
Faisons une sorte d’inventaire : à quand remonte vraiment ce sentiment qui étreint des centaines de milliers, voire des millions de Français de souche qui ne reconnaissent plus leur France, la France de toujours et qui devient aujourd’hui la France d’hier ? Il semble que cela a débuté au lendemain de la décolonisation. Les liens entre les pays colonisés d’Afrique du nord et d’Afrique noire étaient si forts que le divorce ne fut jamais total. Il y a même une blague d’assez mauvais goût qui a circulé, que je cite, sans la reprendre à mon compte : la France a divorcé de cette Afrique mais on lui a imposé la garde des enfants… Ce discutable mot d’esprit veut dire que la France a conclu un marché de dupes, elle a obéi à la volonté des pays colonisés de vivre librement chez eux, mais elle n’a pas compris qu’elle perdait sur les deux tableaux : elle perdait son empire mais ouvrait la porte bien grande à tous ceux qui voulaient venir habiter chez elle.
Les premières décennies furent assez calmes, les gens qui venaient en métropole ne voulaient qu’une chose : travailler sur place, envoyer de l’argent à leurs familles restées au pays. Bref, contribuer honnêtement au développement du pays et vivre dignement. Peu de temps après, on vit apparaître des revendications comme une nourriture appropriée, une tenue vestimentaires spécifique, bref l’importation en métropole de mœurs et de pratiques qui n’avaient rien à voir avec la laïcité et la culture, voire la civilisation judéo-chrétienne de la France.
Au milieu des années soixante-dix intervint une mesure qui est aujourd’hui dénoncée de toutes parts, le regroupement familial. Prise en soi-même, cette décision était très humaine, très généreuse et visait à rendre plus harmonieuse l’existence d’hommes seuls, éloignés de leurs proches demeurés dans le pays d’origine. Par malheur, les moyens matériels d’insertion n’ont pas suivi. On a parqué tous ces gens dans des banlieues éloignées de tout, dans de grands ensembles déshumanisés, leurs enfants et petits enfants en conçurent après coup des sentiments de haine à l’égard du pays d’accueil qui ne les a pas intégrés comme ils l’auraient souhaité. C’est là que se situent les racines de cette haine d’une certaine France, ressentie par les membres de la seconde et de la troisième génération.
Ce terrain fertile de frustrations, parfois même de désespoir a été cyniquement exploité par des idéologues qui ne concevaient pas de vivre dans une société où la règle laïque sépare le religieux du politique. En effet, parlez avec un arabo-musulman dans sa langue et comptez les références récurrentes à Dieu, Allah, à la volonté divine, au bon vouloir divin etc… Une attitude mentale intrinsèquement différente de ceux d’entre nous qui ont plus étudié Voltaire et Renan que la Bible et le Coran.
La crise économique a durci les positions de deux camps ; on a vu apparaître des revendications religieuses qui édifiaient une identité dont la religion était l’épine dorsale. Le Français moyen commençait, à tort ou à raison, à se sentir étranger chez lui. Le contrecoup électoral ne tarda pas à survenir : Marine Le Pen succéda à son père et parvient à se hisser au second tour de l’élection présidentielle. Et si elle s’était, en ce temps là, émancipée de la pesante tutelle de Fl. Philippot et de sa souveraineté monétaire, elle aurait dépassé les quarante pour cent.
Or, l’axe central de la campagne du FN se résume à deux termes liés entre eux, l’immigration et l’insécurité. Je ne reviendrai pas sur les questions d’identité heureuse ou plutôt malheureuse, mais je dois rappeler que cette âme de la France semble s’éloigner de plus en plus du pays et de ses habitants. Ecoutez les conversations aux terrasses des cafés, dans les restaurants, les halls d’immeubles, à la boulangerie, dans les supermarchés, presque partout où les gens peuvent se rencontrer et échanger, et vous verrez combien le mal est profond.
Le terrorisme a causé un tort inouï à toute idée d’intégration. Par ailleurs, des personnages importants de l’Etat se sont mis à parler ouvertement de la disparation de l’homogénéité de la société française. Ce qui était une façon polie ou diplomatique de dénoncer une islamisation du pays. Allez voir ce qui se passe dans la France méridionale où le FN a réussi à faire élire des députés : les gens ne se cachent même plus pour réclamer des mesures… Certains rappellent avec nostalgie qu’il est révolu le temps où l’on parlait de la France comme de la fille aînée de l’église… Aujourd’hui, poursuivent ils, les nouveaux venus ne veulent plus de crèches ni de sapins de Noël dans les écoles, les lycées ou les mairies ; ils ne veulent plus de cours d’histoire sur la Shoah (et je félicite en passant le nouveau ministre de l’éducation nationale pour ses courageuses mesures) ; certaines élèves arrivent avec leur tchador jusqu’aux portes des établissements scolaires…
Mais tout espoir n’est pas perdu : des femmes françaises issues de la communauté musulmane ont tiré la sonnette d’alarme. J’ai été sidéré de voir la virulence de leurs propos. Elles accusent les autorités d’hier et d’aujourd’hui de laxisme, d’absence de courage…
Mais il faut se garder de procéder à des amalgames. Toutefois, certains signes sont alarmants, notamment le nombre de gens fichés S et les tentatives d’attentats en France, sans même parler de la mort dramatique de ces deux jeunes filles à Marseille. J’adresse à leurs parents mes condoléances les plus sincères.
La France a une âme, elle doit la retrouver, elle doit la défendre. Elle n’en restera pas moins la patrie des droits de l’homme, une terre d’asile dans toute la mesure du possible