De l’esclavage aujourd’hui et jadis…
Les journalistes œuvrent parfois, mais pas toujours, en faveur d’une meilleure sensibilisation aux problèmes de notre temps. Ce n’est pas toujours le cas, ils concourent le plus souvent à gonfler des nouvelles qui n’en sont pas ou diffusent des informations qui ne méritent pas une telle ampleur. Mais depuis quelques jours, ces images de CNN montrant un abject marché aux esclaves en Libye nous ont ouvert les yeux.
C’est très bien, pour une fois un scoop qui n’est pas une tromperie sur la marchandise. Il convient à présent de ne pas instrumentaliser ces révélations et d’agir afin de mettre un terme à ce honteux trafic d’êtres humains : après plus de deux millénaires de judéo-christianisme , après l’humanisme, les Lumières de Cordoue à Berlin, la création de l’ONU succédant à la Société des Nations, on a toléré de telles choses qui signent une inacceptable dégradation de l’image de l’homme. Au seul motif de la couleur de sa peau. Souvenons nous de Voltaire qui condamnait, en vain, le commerce triangulaire, et attirait ironiquement l’attention des esprits éclairés en disant en substance ceci : mais avec une couleur de peau comme celle-là on ne peut qu’avoir une âme noire……… Et pourtant, cela n’a pas suffi.
Je me souviens d’une visite que je fis il y a une bonne quinzaine d’années à Dakar à l’invitation du gouvernement sénégalais. Je fis une conférence sur le talmud dans les locaux de la chambre de commerce, devant de grands chefs religieux enturbannés. L’idée fut exprimée de me faire visiter l’île de Gorée, point de départ africain le plus près des rivages du Nouveau Monde. Je m’y rendis en effet dès le lendemain et je visitai sous la conduite d’un guide la maison de l’esclave. Par delà les mises scènes, destinées au touriste de passage, je n’ai jamais oublié cette visite.
Mais ce qui me frappe aujourd’hui, c’est l’émotion feinte de nos gouvernements européens qui étaient au courant de ces marchés aux esclaves, de ces viols, de ces meurtres, bref de toutes ces horreurs, et qui ne réagissent qu’aujourd’hui car la nouvelle s’est répandue aux quatre coins du globe.
Pourtant, nous disposons en Europe de la Bible et de ses prescriptions vétérotestamentaires concernant l’inaliénable dignité humaine. Les mythes fondateurs de la religion d’Israël s’en réfèrent justement à la condamnation de l’esclavage : les Hébreux, retenus en Egypte après plus de deux siècles d’esclavage, sont libérés par l’intervention divine ! Ce n’est pas le fruit du hasard si l’histoire du judaïsme antique fait fond sur cette problématique. Le midrash, allié et compagnon inséparable de la Torah, fait même dire à Dieu la phrase suivante, brève mais Ô combien dense : ce sont mes esclaves (les enfants d’Israël) et non point des esclaves au service d’autres esclaves. Ceci constitue la plus belle déclaration ou proclamation concernant l’inaliénable dignité humaine.
Interprétant les tout premiers versets du livre de la Genèse, le Talmud s’interroge sur un point intéressant : pourquoi Dieu n’a t il créé qu’un seul ADAM et pas plusieurs, puisqu’il en avait le pouvoir, suite à sa toute-puissance ? La réponse arrive dans toute sa clarté : Dieu n’a créé qu’un seul ADAM primordial afin que nul ne puisse ne puisse dire à son voisin qu’il procède d’une lignée supérieure, d’Adam numéro 1 alors que les autres seraient de la ligné d’un Adam numéro 7 ou 18 !
Cette exégèse coupe l’herbe sous les pieds de toute théorie raciste ou ségrégationniste.
Mais quittons un instant le domaine des idées et des théories pour nous diriger vers la vie concrète, les relations pragmatiques, la vie de tous les jours. La blessure non cicatrisée de l’esclavage est encore vive, même de nos jours. Souvenons nous du livre qu’une ancienne garde des sceaux de la République française a publié il y a quelques années. Certains passages sont glaçants et nous invitent à l’examen de conscience, même si l’auteur en question est parfois excessive.
J’ai écouté hier soir l’actuel ministre de l’éducation nationale condamner une réunion syndicale réservée aux non blancs, c’est-à-dire dédiée à des Africains, au motif qu’ils sont les seuls à pouvoir comprendre de quoi il s’agit. Le ministre a dit en substance : en voulant combattre le racisme, on adopte soi-même une attitude qualifiée de raciste… Ce n’est pas faux.
Mais comme ce marché aux esclaves (n’oublions pas Daesh qui vendait les femmes Yazidis) s’est passé dans un pays musulman, je me souviens d’une longue étude publiée par Bernard Lewis sur la question. Il y était question de la shu’ubiya.
Ce qui se passe aujourd’hui montre que nous devrions respecter un peu plus les commandements et les préceptes d’un lointain passé. Les choses changent mais pas la nature humaine.
Je vous propose de méditer sur ce vers de Charles Baudelaire : Le cœur des villes change plus vite que le cœur des hommes… Mais les anciens prophètes d’Israël l’avaient précédé lorsqu’ils font dire à Dieu qu’il nous donnera un cœur de chair pour remplacer un cœur de pierre…