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Comment faire la fête dignement ?

Comment faire la fête dignement ?

Les fêtes dites de fin d’année clarifient assez bien la relation actuelle entre l’héritage judéo-chrétien de nos sociétés occidentales et l’évolution des temps modernes. Dans un univers où le socio-économique, la finance, ou l’argent, prend une place de plus en plus prépondérante, quel espace impartir à la notion même de fête ? Une place qui ne fera pas le sacrifice de la spiritualité.

Depuis de très nombreuses années on fait aux fêtes de fin d’année le même reproche : le commerce, l’attitude consumériste, la réclame et les intérêts des industriels, ont largement supplanté le sens, éminemment religieux, de toutes ces fêtes, devenues, hélas, le rendez-vous de la grande consommation en tous genres. Désormais, le fait de célébrer un événement de nature originellement religieuse, notamment pour les chrétiens, est passé sous les fourches caudines des prescripteurs publicitaires qui jugent si vous allez manger une dinde ou un chapon, du foie gras, une bûche, des macarons, boire du champagne et ou du vin rouge, etc… Les menus de fêtes ont totalement éclipsé la fête en elle-même. On a l’impression que, bien que vaincu, chassé par la grande porte, le paganisme, la fête païenne, est revenue par la petite ou même par la fenêtre, tant l’aspect du plaisir gustatif a nettement pris le dessus sur tout le reste.

Comment faire la fête dignement ?

 

 

Ce ne sont pas là des considérations d’un esprit chagrin, jamais content, et toujours prompt à bondir sur chaque occasion de regimber, non point. Il s’agit simplement de recadrer les choses et de permettre que la consommation n’occulte pas le sens profond de la fête. Regardons cela de plus près.

Noël est censé commémorer la naissance de Jésus que les chrétiens considèrent comme le Messie, le Sauveur de l’humanité. A l’origine, c’était une humble commémoration religieuse. N’oublions pas que la crèche est à l’opposé d’un palace cinq étoiles et que c’est cet esprit d’humilité et de foi naïve et profonde qui a animé cette célébration. Mais aujourd’hui, les appels à la consommation ont entièrement occulté la nécessité de s rendre à la messe de minuit. De Noël on ne dit au chrétien moyen que ce qu’il doit boire et manger ; on lui laisse le choix, ou plutôt on le lui impose à coup de messages publicitaires entre la dinde, le chapon et le foie gras. Et cela est si omniprésent qu’on a l’impression d’être rejeté, exclu du courant majoritaire si l’on n’a pas sacrifié au rite sacro-saint de cette consommation fléchée.

Pensez donc ! Même les médecins de garde la nuit de Noël savent, par expérience, qu’ils seront appelés au cœur de la nuit au chevet de personnes souffrant, non pas de maladies graves, mais d’indigestion, de gueule de bois, etc… car on leur a d it que c’était ainsi qu’il fallait faire la fête. Mais ce message n’est pas vraiment celui de l’Evangile mais plutôt des industriels alimentaires. Le paganisme, l’esprit de la fête païenne, a repris le dessus, remplaçant la communion et la méditation par la consommation. Les fêtes religieuses ne sont pas orgiaques…

Je le redis : il n’est pas question de priver les enfants de leurs cadeaux, ni les familles du plaisir de se réunir autour d’un repas de fête, il importe uniquement de rappeler que l’homme n’a pas qu’un estomac, il a aussi un esprit et un cœur.

Un traité talmudique dont le nom m’échappe présentement fait un jeu de mots avec deux termes, très proches l’un de l’autre, mais dont le sens est diamétralement opposé : édéhém (avec un aleph, le coup de glotte) qui signifie un triste événement, un drame, une perdition, et ‘édéhém (avec un ayin, une lettre gutturale) qui signifie la fête, la commémoration d’un événement heureux. Terme qui adonne l’Aïde en langue arabe. En fait, par ce jeu de mots, le Talmud établit une équivalence entre la déchéance morale et la fête païenne où les êtres donnent libre cours à la veulerie, aux passions, ne reculant devant aucune bassesse. C’est toute la différence entre la haute tenue de la fête religieuse et l’orgie si chère aux païens.

Soyons clairs : il n’est pas question de rabaisser la valeur de Noël, naissance de Jésus, ni du premier janvier, jadis signalé dans les almanachs de nos parents par le terme suivant : circoncision, terme qui a totalement disparu depuis, montrant bien que l’origine des fêtes est oubliée… Alors que l’aspect mercantile, lui, va en se renforçant.

Cette commémoration consumériste a si fortement prévalu au sein du groupe social que même des membres de la communauté juive se joignent à ces joyeuses agapes et tentent de faire de la fête de hanoukka un ersatz de Noël, le foie gras en moins. Mais on s’offre des cadeaux, des friandises, etc… Les sociologues parlent de mimétisme social

Mais cela peut se comprendre dans le cas présent car c’est le même principe qui est à l’œuvre : c’est le fête des lumières, la victoire du jour sur la nuit, la prévalence des forces de la vie et de la joie par rapport à la tristesse de l’obscurité et de ténèbres. C’est humain, et donc largement compréhensible. Pensons à Saint Irénée à Lyon, vers la fin du IIe siècle de notre ère.

Mais le symbole qui gît au fondement même de ces fameuses fêtes est ignoré de presque tous et ces même fêtes sont devenues le symbole de la consommation contrainte et sans retenue. Pensons non pas à nous qui avons les moyens mais à celles et à ceux qui n’en disposent pas et qui souffrent de ne pas pouvoir faire comme les autres. Ce mimétisme frustrant désacralise complétement la fête, tant chez les uns que chez les autres.

Je m’étonne, année après année, que l’église catholique ne reprenne pas les choses en main, qu’elle ne réaffirme pas le sens premier de ces fêtes qui constituent sa première raison d’être. Après tout, elle est à la base de la société française et même européenne. On a l’impression que le caractère religieux de ces célébrations s’est évaporé, que le matérialisme règne en maître et que ce décalage ira croissant. Le prêtre, l’homme de religion a baissé les bras, a démissionné devant le commerçant ou le boutiquier…

Quand on voit ces grands déplacements de population, cette véritable transhumance, on se prend à rêver : d’une part, on salue ce regroupement des familles, cette joie de se retrouver auprès d’êtres chers, mais d’autre part, on se défend mal de l’impression que tous ces mouvements sont dictés par je ne sais quelle puissance cosmique niant la volonté individuelle. Je reprends l’image de Heinrich Mann dans son roman (Der Untertan, Le sujet), celle d’une immense pâte humaine pétrie par une force cosmique à laquelle rien ne résiste. Et qui dicte son oukase à tous…

La fête en tant que telle doit regagner en nous cet espace intérieur qu’elle a perdu. Cela présuppose, certes, une qualité de vie appréciable, une certaine aisance mais aussi la conscience que l’homme ne vit pas que de pain…

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