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Sur les traces d’Ernest Renan (1823-1882) avec François Hartog (Gallimard)

Sur les traces d’Ernest Renan (1823-1882) avec François Hartog (Gallimard)

Renan, l’homme le plus haï mais aussi le plus adulé de France, n’est jamais entièrement oublié, tant il fait partie à la fois de la conscience mais aussi de la légende nationale. Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’auteur de la Vie de Jésus, était présent dans la bibliothèque privée de toute bonne famille française qui se respectait. Et notamment grâce à deux ouvrages qui connurent une célébrité des plus durables : la Vie de Jésus, d’une part, et Souvenirs d’enfance et de jeunesse, d’autre part. Le premier rompait frontalement avec un catholicisme un peu étroit et virant carrément au cléricalisme, comme le prouveront les armes employées par une certaine église pour réduire ses adversaires doctrinaux au silence, tandis que le second , si empreint de tendresse et de sincérité, relatait les grandes étapes d’une vie, dédiée à la science et à la recherche de la Vérité, même, ou plutôt, surtout, en matière de religion.,

Rappelons rapidement quelques faits pour nous rafraîchir la mémoire : Renan, que ses adversaires appelleront plus tard Rhénan pour lui reprocher sa coupable germanophilie intellectuelle, naquit dans un milieu breton misérable à Tréguier. Orphelin de père à l’âge de cinq ans, il reconnaîtra plus tard n’avoir pas eu d’homme dans son entourage auquel s’identifier et devoir son éducation et sa socialisation à trois femmes : sa mère, sa sœur Henriette et sa tante. La famille dispose de très peu de ressources et Renan évoquera avec amour la mémoire de sa défunte sœur, à laquelle il doit en partie sa réussite dans la capitale. Un jour, alors qu’il tentait de cacher le trou de son gilet, sa sœur fondit en larmes en le regardant faire… C’est dire dans quelle misère noire vivait cette famille monoparentale, dans une Bretagne réputée par sa pauvreté endémique et son attachement viscéral au catholicisme.

Sur les traces d’Ernest Renan (1823-1882) avec François Hartog (Gallimard)

Un jour, Henriette qui vivait chichement comme enseignante à Paris, envoya un courrier urgent à son petit frère : il devait empaqueter ses pauvres vêtements et prendre le train pour Paris où elle lui avait trouvé une bourse d’études. Cet appel fut providentiel, ce que reconnaîtra dans son autobiographie le futur professeur d’hébreu et d’araméen au Collège de France et futurmembre de l’Académie française. Sitôt arrivé à Paris qu’il découvre comme s’il débarquait sur la planète mars, on le présenta à l’abbé Dupanloup, le futur évêque d’Orléans, qui, il le regrettera bien amèrement plus tard, lui ouvrit les voies de la culture et de l’érudition. Le jeune Breton s’adonnera exclusivement à l’étude des textes religieux mais toujours sous la férule de l’église catholique, ira ensuite, après le petit séminaire de Saint Nicolas du Chardonnet, au grand séminaire d’Issy les Moulineaux (où cette même rue porte désormais son nom) ; c’est là que le doute ronge son cœur. Il écrira dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse cette phrase qui fait penser à une réplique de Faust de Goethe : … J’appris l’hébreu, j’appris l’allemand, et cela changea tout.

Etudiant doué, gagné par une irrépressible avidité de savoir, je jeune séminariste découvre d’un coup, qu’il vit une crise spirituelle et religieuse des plus graves et dont il ne sortira pas indemne… Que devait il faire ? Se couler dans le moule d’un catholicisme dogmatique, dictant à ses adeptes ce qu’ils tenait pour vérité d’Evangile ou se lancer librement dans cette recherche, devenue son unique raison d’être et de vivre ?

Nous lisons une nouvelle phrase dans ses Souvenirs… une phrase qui nous émeut à fois par son sens mais aussi par sa beauté stylistique. Il décide de quitter son abri paroissial et loue une chambre, juste en face de l’église, dans un petit hôtel : Lorsque je descendis les marches de l’église Saint-Sulpice pour ne plus les remonter en soutane… De là date la fracture, l’irréparable cassure avec une église qui l’avait pourtant pris sous ses ailes, l’avait nourri, logé, éduqué, bref cette institution qu’il quittait l’avait fait et il lui tournait le dos en découvrant que les textes bibliques, ne disaient pas, selon lui, l’enseignement du magistère.

Renan n’a guère besoin d’un nouveau défenseur, même si en 2008 je fis paraître aux éditions Arléa, un livre intitulé Renan, la Bible et les Juifs. Comme le montre excellemment l’auteur de ce très instructif essai de moins de cent cinquante pages, cet homme a toujours été attiré par le paradoxe, le doublement, le double sens, sans aboutir, toutefois, à la duplicité. Il se peut même qu’il ait largement confondu église et cléricalisme. Il reconnaît avoir quitté l’église mais point Jésus ni l’Evangile. Pour lui, la foi pouvait avancer main dans la main avec la vérité de la philologie.

La philologie, voilà le maître-mot de l’esprit et de l’œuvre de Renan. Il faut nous resituer dans le contexte de l’époque : un catholicisme rigoureux, imputant à Jésus tous les dogmes dont il est en réalité, le seul auteur, selon Renan, n’hésitant pas à afficher un cléricalisme déclaré, dénonçant, voire même excluant de ses rangs le moindre point de vue contestataire, excommuniant tout ce qui ressemblait de près ou de loin à la moindre critique biblique. Or, en Hollande, mais surtout dans l’Allemagne voisine, la haute critique faisait des pas de géant. La philosophie hégélienne elle-même, malgré les indéniables penchants de son fondateur pour Jésus et ses enseignements, frappait des formules que le croyant moyen ne pouvait pas reprendre à son compte : Dieu est, sans être, tout en étant… Pour le philosophe accompli, l’affaire est entendue : Dieu est, il existe, mais son mode d’existence transcende la catégorie de l’être. Il n’est donc pas soumis aux règles ontologiques dont sont tributaires tous les êtres existants.

C’est dans cette mer si profonde que plongeait désormais le jeune ex-séminariste qui suivait avec avidité les cours d’hébreu et d’araméen (la langue originelle de Jésus) au Collège de France. Il voulait, disait-il, s’enfoncer dans la philologie hébraïque. Mais pourquoi donc ? Par la bonne raison que le XIXe siècle tant allemand que français était largement positiviste. On croyait à la Vérité avec une majuscule, on pensait que la science tenait en sa main l’avenir de l’humanité. De fait, les trois concepts-clés développés par l’auteur dans ce beau livre, ne sont autres que la religion, la nation et l’avenir.

Renan a beaucoup écrit et encore plus parlé. Il aimait discourir, il aimait parler, il disait lui-même, par autodérision, qu’il se rattrapait ainsi car l’église ne voulait pas de ses sermons. Renan a admiré autant l’histoire d’Israël que celle de la Grèce antique. On se souvient de sa Prière sur l’Acropole, de son Histoire du peuple d’Israël, de ses Origines du christianisme. Sans oublier des conférences devenues célèbres comme Le judaïsme comme race et comme religion, Qu’est ce qu’une nation ? La réforme intellectuelle et morale de la France, après la défaite de 1870.

Mais sans l’Allemagne et ses grands érudits (David Strauss, Heinrich Ewald, etc…) Renan n’aurait pas été Renan. Lors d’un article écrit en l’honneur de Victor Cousin il alla jusqu’à dire qu’à certains moments de son histoire la pensée française avait besoin d’être fécondé par le génie allemand.

Renan a profondément marqué notre enseignement supérieur. La quatrième section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes lui doit sa naissance puisqu’elle met en avant la science philologique. C’est encore lui qui parla de sciences religieuses et de philologie sacrée.

Enfin, E. Combes ne peut pas ne pas avoir pensé au philosophe-historien de Tréguier quand vint l’heure de la loi de 1905. A maintes reprises, ses partisans demandèrent le transfert de ses ossement aux Panthéon. L’église et les catholiques s’y opposèrent…

Mais l ‘héritage de Renan est immortel, et ce n’est pas le moindre mérite de ce livre d’y avoir contribué ; même si dans certaines de ses affirmations conjecturales l’enthousiasme le disputait parfois à la rigueur philologique.

Sic transit…

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