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La demande de pardon du président polonais aux Juifs…

La demande de pardon du président polonais aux Juifs…

Je reviens donc sur la Pologne et sur les accusations d’antisémitisme endémique qui jalonnent l’histoire de cette nation, la plus catholique entre toutes. En effet, les éditoriaux publiés ici-même n’ont pas manqué d’attirer l’attention de certaines autorités polonaises qui ont réagi. Modérément, certes, car les articles n’étaient pas excessifs et s’en tenaient, je crois pouvoir le dire, à la matérialité des faits.

Et ce matin tôt, qu’est ce que j’apprends au saut du lit ? Que l’actuel président de l’Etat de Pologne, en raison d’un anniversaire, demande pardon aux Juifs de son pays, chassés en 1967/68 du pays en raison de leur surreprésentation même dans les rouages du parti communiste au pouvoir, et dans la vie culturelle nationale, en général. Et cela m’a rappelé des souvenirs personnels.

Au début des années soixante-dix, je fréquentais assidument la Bibliothèque Nationale, située rue de Richelieu pour rédiger ma thèse de IIIe cycle et ensuite ma thèse de doctorat d’Etat. Je venais chaque matin dans la salle de lecture du département des imprimés et en fin d’après-midi, j’étudiais les manuscrits hébraïques de mon auteur Moïse de Narbonne (1300-1362) le commentateur juif le plus profond des œuvres de Maimonide et d’Averroès. Et non loin de moi, se trouvait un vieux monsieur, tout aussi assidu lecteur que moi qui a fini par attirer mon attention. Je demandais à une personne de mes amis qui était cet homme… La réponse vient rapidement, accompagnée d’une invitation à prendre un café en sa compagnie.

La demande de pardon du président polonais aux Juifs…

Cet homme, qui n’est probablement plus de ce monde, était un juif polonais, ancien dirigeant de l’agence de presse polonaise, qui avait été, en dépit de son adhésion au régime communiste, contraint de quitter et ses fonctions et son pays, accusé de cosmopolitisme, en d’autres termes on lui reprochait une sorte de double allégeance, à son pays et à un autre pays, Israël. Or, nous étions à quelques mois de la fin de la guerre des sx jours et la Pologne, membre du Pacte de Varsovie, suivait servilement la politique étrangère de Moscou, grand ami et allié des pays arabes vaincus par Tsahal.

Ce monsieur qui était un érudit, savait parfaitement l’hébreu et avait une formation académique, se nommait Samuel Kerner et a laissé de grands travaux scientifiques sur l’histoire des juifs de France dans la collection Franco-judaica. Cet érudit, chassé de son pays du jour au lendemain me conta ce qui lui était arrivé. Alors que lui-même et tant d’autres juifs servaient fidèlement leur patrie polonaise et s’étaient même illustrés dans les rangs du parti communiste, on en fit des boucs-émissaires lorsque le mécontentement populaire devint menaçant en raison de l’incurie économique. On chercha donc des coupables et les juifs avaient cristallisé sur eux, sans jamais s’être mal conduits, tout le ressentiment de la population polonaise.

Aujourd’hui, nul ne conteste plus que l’antisémitisme atavique de ce pays avait su se donner libre cours afin de dévier des dirigeants, responsables de la gabegie et de l’impéritie communistes, la légitime colère du peuple qui ne recevait toujours pas la juste récompense de ses gros efforts en vue de bâtir un avenir radieux du socialisme.

Samuel Kerner n’avait pas de haine envers son ancienne patrie mais il me dit clairement qu’il n’avait jamais prévu qu’on lui aurait reproché ses origines juives dans une patrie du socialisme… Ne disait-on pas (August Bebel) dans ces milieux, la fameuse phrase suivante : l’antisémitisme est le socialisme des imbéciles ? Tout le patriotisme de ces hommes et de ces femmes -on disait même que certains très hauts dirigeants communistes avaient des épouses juives- fut réduit à néant du jour au lendemain. Et certains de ces exilés contraints trouvèrent asile en France où ils s’intégrèrent sans mal au monde académique dont ils faisaient partie. Polyglotte, ce qui était le cas de Samuel Kerner, ils parlaient et écrivaient l’allemand, le russe, l’anglais, le polonais, l’hébreu et le yddish. Sans même parler de la langue française qui a toujours été très usitée en Pologne, dans les milieux de la grande aristocratie et de la bourgeoisie : la sœur d’Ernest Renan Henriette y avait fait, à ce titre, de longs séjours.

On le voit, les bonnes choses finissent par arriver, il suffit simplement de tenir. Mais voilà quand j’ai connu Samuel Kerner, je n’avais que 22 ans alors que lui en avait le triple. Ce qui signifie, en clair, qu’il a dû passer à l’éternité depuis un certain temps… Il n’est donc plus là pour recevoir cette demande de pardon à laquelle il avait bien droit. Mais cela n’enlève rien au geste du président polonais. Existe-t-il un arrière-plan inavouable à cette soudaine requête, à cette venue à résipiscence ?

Je l’ignore, sincèrement, mais je doute qu’en politique les intentions soient toujours pures et désintéressées. Mais faisons lui crédit et illustrons à son égard le célèbre adage talmudique : celui qui vient se purifier, aidons le dans son entreprise ( ha-ba lehitthéer messaye’im lo). Mais cet appel au pardon et à la clémence était déjà présent dans la littérature prophétique d’Israël : celui qui cache ses fautes ne réussira pas mais celui qui les reconnait et s’en sépare, sera gracié. C’est le verset que la liturgie de Kippour répète maintes fois. Et d’ailleurs, Goethe dans son Faust l’a adapté à son grand’ œuvre : celui qui fait des efforts pour progresser, celui là nous le gracierons : Wer strebend sich bemüht, den werden wir erlösen

Mais n’est-ce pas un intelligent contre-feu que le président allumé pour se tirer de cette mauvaise passe que constitue la loi sur l’Holocauste ? Ce que j’avais imaginé s’est produit : les USA par la voie de leur Secrétaire d’Etat ont haussé le ton et les Polonais savent ce que cela signifie : l’exemple suisse est éloquent et très instructif, or les Polonais ne font pas le poids dans cette confrontation à venir. L’initiative présidentielle est à la fois habile et adroite.

Mais au blocus aérien, économique et bancaire, je préfère Goethe et le Talmud. Faisons lui confiance…

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