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Andrej Umansky, La Shoah à l’Est: regards d’Allemands (Fayard)

Andrej Umansky, La Shoah à l’Est: regards d’Allemands (Fayard)

On croit généralement que, plus d’un demi siècle après la victoire des alliés sur la barbarie nazie, on a tout vu, tout compris, tout entendu sur le génocide le plus incroyable de tous les temps qu’est la Shoah : eh bien, la lecture de ce livre d’Andrej Umansky vous administre la preuve du contraire. Il reste encore tant de choses à découvrir. C’est l’horreur sans fond, sans nom. L’innommable, l’inénarrable, l’horreur à l’état brut. J’admire ceux qui pourront lire intégralement cet ouvrage si solidement documenté du début à la fin : tous ces interrogatoires d’acteurs de l’Holocauste, tous ces compte rendus de procès remontant aux début des années soixante, ces souvenirs qui ont hanté la mémoire de tous ces criminels, tout ceci est insoutenable. Pourtant, il faut en parler et en rendre compte. J’ai du mal, à présent, à imaginer que certains collégiens ou lycéens issus de certaines banlieues tiennent des discours négationnistes ou révisionnistes, allant jusqu’à affirmer que toutes ces horreurs sont une pure invention des Juifs…

Andrej Umansky, La Shoah à l’Est: regards d’Allemands (Fayard)

 

Le livre est bâti sur des archives non encore publiées. Il se décompose en trois parties : les bourreaux, ceux qui procédèrent à cette sinistre Shoah par balles dont le père Desbois a révélé l’existence avec force et détermination, les petites mains (sic), à savoir les chauffeurs, les cuisiniers, les régisseurs, bref tout ce personnel administratif qui vaquait tranquillement à ses occupations alors qu’à un simple jet de pierre de là on procédait à des exécutions de masse, et enfin, et ce ne sont pas les plus incroyables, les spectateurs (sic) ceux qui trouvaient convenable d’assister à toutes ces exécutions et au cortège d’horreurs qui les accompagnaient : rejeter dans la fosse les victimes tombées en arrière au lieu de sombrer directement dans la fosse, marcher dans des cervelles écrabouillées suite au tir d’une balle dans la tête, etc… L’horreur absolue.

Les témoignages se ressemblent et évoquent tous la même folie meurtrière, perpétrée à l’allemande, systématiquement, konsequent durchgeführt, les ordres étant les ordres, Befehl ist Befehl… Certes, on lit que certains officiers généraux de la Wehrmacht, l’armée régulière, comme le maréchal von Rundstedt, écœuré par de telles horreurs , avait interdit à son armée de prendre part à de telles exactions barbares, de prendre des photos ou d’en parler autour d’eux, Ce scrupule l’honore mais ses ordres ne furent pas suivis : cette Wehrmacht qui a tenté de se refaire une virginité sans jamais y parvenir de manière convaincante, a bel et bien prêté main forte aux escadrons de la mort, les sinistres Einsatzgruppen dont la fonction principale était l’extermination des Juifs en priorité, suivi de l’éradication des commissaires politiques de l’armée rouge, lesquels étaient, pour la plupart, d’origine juive. Plus de deux millions de Juifs furent exécutés sur le territoire soviétique occupé par les armées nazies.

Comment de telles archives, si accablantes pour les bourreaux et leurs familles, souvent complices de ces méfaits inimaginables, ont elle été retrouvées et exploitées par notre historien ? Le plus souvent il s’agit de lettres dont le contenu ne fut pas regardé avec soin par la censure militaire ; il y a aussi les photographies que ces criminels avaient plaisir à prendre des victimes de leur barbarie. Ne pas oublier les journaux intimes que certains tenaient soit pour se souvenir soit pour soulager leur conscience.

Passons succinctement en revue la première catégorie, celle des tireurs qui pouvaient massacrer jusqu’à deux ou trois mille juifs en une seule journée. Je renvoie à ce sujet aux expressions de Hannah Arendt dans ses écrits : usines de mort, death factory, fabrication de cadavres… Et ce qui m’a paru nouveau ici, en tout cas pour le non spécialiste que je suis, ce sont les descriptions, les témoignages faits sous serment dans le cabinet de juges allemands d’instruction. IL y eut aussi, mais dans une moindre mesure, des dénonciations, des lettres anonymes, des photographies compromettantes incriminant les auteurs de ces cruautés où la vie d’un Juif, du fait même qu’il était juif, ne valait rien…

Il y a le cas d’une femme allemande, mariée à un Juif, qui dut subir toutes les vexations de la Gestapo en raison de cette union honteuse… Après bien des péripéties, elle survécut à la guerre mais parvint à mettre en accusation le chef SS, responsable de la disparition de son mari, battu à mort.

Certains de ses bourreaux, dont tous ne furent pas nécessairement condamnés à des peines de prison ou tout simplement à la peine de mort, ont déposé devant les magistrats sans être accablés par le remord : on a obéi aux ordres, sinon on noua aurait punis et d’autres auraient eu moins de scrupule et auraient fait le travail à notre place. Ce fut un univers à l’inhumanité la plus affreuse, au point que même des soldats, acteurs des massacres, se demandèrent après cela, comment de tels massacres avaient été possibles…

Imaginez des hommes, des femmes et des enfants, quel que fût leur âge, depuis des nourrissons pressés contre leurs mères jusqu’aux vieillards ayant du mal à se déplacer, qui doivent se déshabiller au bord d’une fosse commune, frappés de sidération au point de ne pas esquisser le moindre mouvement de résistance ou de tentative de fuite, sont abattus d’une balle dans la tête ou fauchés par des rafales de pistolets mitrailleurs… Et l’un des tireurs qui confie, comme cela, sans trop s’en faire : ceux qui criaient le plus fort étaient les enfants !! Il y a des épisodes qui sont à classer parmi les plus révoltants : une jeune femme est tuée d’une balle dans la tête mais le nourrisson qu’elle tient serrée contre elle, dans sa chute, est vivant. Qu’à cela ne tienne : un SS, amoureux du travail bien fait (sic) lui loge une balle dans la tête. Les mots me manquent pour caractériser cette attitude infrahumaine. Ce sont ces criminels qui étaient les Untermenschen, ce ne sont pas ceux qu’ils qualifiaient de ce terme.

Un autre fait qui est littéralement incroyable : Un SS qui s’apprête à servir dans une unité de tueurs reconnaît parmi les Juifs raflés un homme qui se trouve être son dentiste. Il échange quelques mots avec lui ; le dentiste demande : est ce tout ceci est vraiment nécessaire, sous entendu ce massacre ? Il fut criblé de balles comme tous les autres…

Mais comment la culture allemande, a t elle pu produire de tels monstres ? Elle a produit les meilleurs philosophes, comme Hegel, et les meilleurs écrivains comme Goethe ; mais cela n’a pas suffi à endiguer les flots de barbarie qui ont fini par engloutir cet humanisme. L’aporie est éternellement insoluble, insurpassable.

Un dernier exemple prouvant que les crimes du nazisme ne seront jamais dépassés : les SS avaient beau avoir prêté serment de fidélité à Hitler et à son idéologie, ils n’en demeuraient pas moins habités par des besoins et des envies. Un témoin raconte que certains SS couchaient avec des déportées très jolies. Ces pauvres femmes suppliaient qu’on ne les fusille pas le lendemain… Mais vous deviniez la suite.

Il était question plus haut de la catégorie des spectateurs venus assister aux exécutions comme on se rend au théâtre ou au concert. Un bourreau conduisait son fils de neuf ans avec lui sur le lieu du supplice. En gros, son lieu de travail… Devant le juge qui l’interroge, l’adulte raconte ce qu’il a vu alors qu‘il avait neuf ans : une femme et son bébé bougeaient encore malgré leurs blessures : mon père les releva et tira une balle sur la mère et sur son bébé…

Faut-il désespérer de Dieu qui connut une terrible éclipse durant la Sjoah ou plutôt de l’homme, responsable de telles ignominies ?

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