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Peut on doit on chercher la motivation des mitswot? II

La pensée juive antique, telle que consignée dans le Talmud, fut reprise comme base de discussion par les générations ultérieures. Comme l’espace imparti ici n’est pas illimité, concentrons nous sur quelques rares citations talmudiques :

Sanhédrin fol. 21b : Pour quelle raison les motifs de la Torah n’ont pas été révélés ? Parce que leur révélation dans deux cas fut une pierre d’achoppement pour un grand homme. C’est évidemment Salomon qui était visé. En dépit de sa très profonde sagesse (Dieu conféra à Salomon la sagesse), le fils du roi David se laissa séduire par des femmes étrangères qui peuplaient son harem ; ce qui conduisit Dieu à mettre prématurément un terme à ses jours…

 

Un autre passage talmudique (Avoda zara fol. 35a) énonce ceci : Les sages d’Eréts Israël ne dévoilaient les raisons de leurs ordonnances qu’après une période de douze mois, craignant qu’en récusant les motivations, on en vienne à ne plus pratiquer l’ordonnance… Un autre sage va encore plus loin, en affirmant que les préceptes sont des décrets divins, comparables à des décisions du roi : les préceptes n’ont pas à être discutés ni élucidés.

Au cours de leur longue histoire, jalonnée de persécutions et de conversions forcées, les juifs ont dû se défendre aussi contre la calomnie et la caricature. Ils ont dû répéter haut et fort que leurs lois n’étaient ni absurdes ni méprisables. Ils étaient donc contraints, en certaines circonstances, de se pencher sur les motifs de certains préceptes. Mais en principe, une loi divine est réputée insondable puisque la sagesse divine ne peut se comparer à celle de simples mortels. Qui peut élucider l’intention ou la volonté de Dieu ? C’est entre ces deux balises ou ces deux écueils que toute la pensée juive ultérieure va devoir naviguer, optant soit pour une motivation des commandements ou au contraire pour l’obéissance pure et simple…

Que faire, dans ce cas, de la voix de la conscience morale ? Faut-il en tenir compte ou faut-il obéir aveuglément aux commandements divins ? En somme, c’est la problématique kantienne : autonomie ou hétéronomie du sujet moral ? Mais certains penseurs de différentes époques répondaient, qu’à y regarder de plus près, les commandements divins ne heurtent jamais l’éthique ni la conscience morale. Il existerait une sorte de convergence entre ces deux sources de l’éthique universelle car un ordre moral immanent au monde existe.

La Bible elle-même n’adopte pas une attitude univoque, parfois elle donne une motivation expliquant l’objet du préceptes, mais parfois aussi,  elle s’en abstient. Quelques exemples : Exode 12 ;26 explique pourquoi on fête la Pâque. Lévitique 23 ; 43 motive la cabane de la fête de Soukkot. Nombres 15 ;40  explique la raison des franges rituelles qui rappellent les lois de Dieu. Deutéronome 17 :16 explique que le roi ne doit pas accroître le nombre de ses chevaux afin de ne pas être tenté de ramener le peuple en Egypte… Exode 23 ;9 interdit de maltraiter un étranger au motif que les Hébreux furent eux-mêmes étrangers en Egypte. Enfin, Deutéronome 4 ;6 dit que les nations rendent hommage à la sagesse du peuple d’Israël dont les lois sont justes et bien fondées.

Mais très nombreuses sont les lois qui sont fondées sur des déclarations sibyllines comme : car je suis Dieu, car je suis l’Eternel votre Dieu… Vous serez saints car je suis saint… Et cela, en guise de toute explication. C’est toute la difficulté de traduire justement le terme hébraïque (mais aussi sémitique) kadosh et ses dérivés.

Contrairement à une opinion largement répandue, les talmudistes n’ont pas manqué d’exercer leur sagacité et leur sens critique sur l’opportunité même d’avoir des commandements et de devoir leur obéir…

Il y a tout d’abord ce passage classique qu’on a du mal à interpréter logiquement tant son sens littéral est déroutant : Shabbat fol. 88a : Le Saint béni soit il a menacé de renverser le Mont Sinaï sur les Hébreux. Si vous acceptez la Torah, très bien, sinon ce sera ici votre tombeau… Le Talmud profite d’une citation du rouleau d’Esther (9 ; 27) pour dire qu’enfin les juifs ont accepté la Torah et l’ont mise en pratique (qiyyémou we-qibbélou ).

Mais il semble que la vraie sensibilité talmudique se révèle dans la citation suivante, bien que d’autres dicta contradictoires soient fréquents. Kiddushin fol. 31a : Plus grand est celui qui accomplit les commandements qui lui ont été prescrits (metsouwwéh) que celui à qui ils ne furent pas prescrits (mais qui les accomplit tout de même)… Cela veut simplement dire que celui qui obéit à la Tora sans se poser de questions ni ratiociner, est, au plan de la sensibilité religieuse, plus éminent que celui qui fait d’abord comparaitre le commandement devant le tribunal de la raison… En d’autres termes, il place la Révélation au-dessus de la spéculation philosophique.

Le passage suivant (Béréshit rabba § 44,1) est bien plus critique car il pose une question frontale : Quelle importance pour le Saint béni soit il qu’on égorge une bête par la nuque ou par le cou ? Les commandements ont été donnés pour mettre les créatures à l’épreuve. Ce qui est une manière originale de répondre à la question posée.

A elle seule, cette déclaration mériterait de substantiels développements, mais l’espace nous manque pour le faire… Reportons nous à un autre passage, attribué à Yohanan ben Zakkaï, le vrai fondateur du judaïsme rabbinique : Le grand maître répond à un païen qui qualifie de sorcellerie l’action de chasser les mauvais esprits par des aspersions d’eau… Le sage répond sur un mode polémique, arguant que les païens en font tout autant avec leurs fumigations dans le même but : éloigner les maléfices ! Après le départ du questionneur, les disciples du maître, qui ont assisté l’échange, le prient de s’expliquer plus sérieusement et d’aller au fond des choses. De dévoiler le fond de sa pensée. Et voici la réponse de rabbi Yohanan ; Par votre vie ! Ce n’est pas le mort qui rend impur, c’est un décret du roi des rois. Le Saint béni soit il a dit : j’ai décrété, j’ai légiféré… Si on s’en tient à ceci, alors toute motivation des préceptes est vaine…

Berachot fol. 33b aborde une question encore plus troublante : est-il permis d’élucider rationnellement les préceptes ? Le cas de Deutéronome 22 ; 6-7 est très bien choisi car il s’agit du fameux nid d’oiseau. Certains osent trouver à cet acte incompréhensible (prendre les oisillons et laisser la mère en liberté) une manifestation de l’infinie miséricorde divine. Le Talmud va jusqu’à préconiser de réduire l’intervenant au silence s’il émet une telle explication. Conclusion : on ne sait pas, on ne saura jamais ce qui a motivé cette loi biblique.

Pour clore ce passage consacré au Talmud : on ne parvient pas à dégager une image univoque concernant cette épineuse question. Toutefois, l’opinion majoritaire semble opter en faveur du refus d’élucider les préceptes, au motif que cela reviendrait à humaniser Dieu et à lui prêter des sentiments propres à ses créatures.. En principe, une action divine est, par essence, insondable. La comprendre, oui, l’expliquer, non.

La période hellénistique est largement dominée par la figure tutélaire de Philon d’Alexandrie, même si d’autres personnalités, moins connues, y ont aussi laissé leur empreinte. Philon a parlé des lois spéciales et de leur interprétation dans au moins trois de ses ouvrages. Il fait massivement appel au symbolisme allégorique et veut montrer à tout prix que les préceptes divins se situent dans le prolongement de la nature, qu’ils visent un idéal élevé et atteignent leur point culminant dans la sagesse de la divinité elle-même. Certains chercheurs allemands dont Edmund Stein avaient tenté de retrouver des traces du midrash dans les ouvrages grecs de Philon. Mais cet essai n’a pas abouti, même si la proximité chronologique des deux littératures, philonienne, d’une part, midrachique, d’autre part, est indéniable. Au plan thématique, c’est plus difficile : même lorsqu’on rapproche l’idée (commune aux deux corpus ?) de l’abolition (battel réstonekha) de la volonté humaine face à la volonté divine. Il n’est pas inutile de rappeler le respect inné des Grecs pour les traditions et les lois anciennes. Vénérer ce que les ethnies considéraient comme leur héritage national ne leur posait aucun problème. Ce facteur a été déterminant pour les lois bibliques.

Dans cet ordre d’idées, rappelons que Heinemann avait traduit du grec en allemand la fameuse Lettre d’Aristée où il est aussi question de la traduction des Septante. Un mot également du livre IV des Maccabées, qui tresse des couronnes à la loi de Moïse dispensatrice de nobles vertus : tempérance, justice, piété, etc… Enfin, la Tora respecte l’ordre naturel des choses, elle ne contredit pas la nature mais tente d’élever l’homme au-dessus de sa propre condition.

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