Au moment même où je tente de mettre la dernière main à cette série sur la grande romancière suédoise, Prix Nobel de littérature en 1909, Selma Lagerloef, je réalise que sans ce drame sanitaire, sans ce confinement, je n’aurais jamais lu ce livre…
Faut-il y voir un signe, un message ? Je le crois sans y croire vraiment : j’ai toujours été préoccupé, même pendant mes années d’étudiant, par la question de la divine Providence et les problèmes annexes de cette théorie ou croyance. Sommes nous, comme le prétend Heidegger, geworfen (jetés dans ce monde), indifféremment, indistinctement, sans projet initial ni objectif à atteindre, sommes nous comme ces Epicuriens dont parle le Talmud qui croient qu’il n’existe (leyte din we leyte dayan) ni juge ni justice ici-bas ? Et les Sages les vouent aux gémonies…
Je ne m’éloigne pas du sujet et vous allez voir dans quelques lignes qu’en fait, je ne l’ai guère quitté : ce roman presque initiatique, ce roman à clef où règne une certaine atmosphère, où chacun, par piété profonde, veut lire un signe du divin, adressé aux habitants de la terre, oui ce monde, cette culture scandinaves enseignent la foi en une Providence réelle qui, souvent, confie à d’humaines mains, le soin de peser sur le destin des hommes et de l’orienter.
Il y a dans ce roman des héroïnes et des personnages principaux : l’héroïne est au premier chef la ville de Jérusalem vers laquelle les êtres les plus pieux se rendent en pèlerinage afin, justement, de mettre leurs pas dans ceux du Christ. Et la ville de Jérusalem nous apparaît parfois, dans ce roman, comme une entité délétère, menaçante, puisque son climat, notamment en raison des chaleurs torrides et du manque d’eau provoque de nombreux décès. Il y a ici une sorte de duplicité : ville sainte maia aussi ville menaçante !
Et d’ailleurs, dans les toutes dernières pages, alors que tout semble rentrer dans l’ordre, on enregistre un dernier décès, comme si la mort avait, elle aussi, un rôle à jouer dans cet univers si profondément empreint de valeurs et de religiosité protestantes.
A ce sujet, je ferai la remarque suivante : les Juifs revendiquent à bon droit et à juste titre, un attachement unique et spécifique à la cité du roi David qui en fit le sanctuaire unique et les seuls lieux saints du judaïsme. Et voici que nous suivons des Suédois de religion protestante qui laissent tout derrière eux, à l’exemple du patriarche Abraham, pour être plus proches de leur Sauveur. Et cette leçon d’ouverture et de tolérance m’a rappelé une phrase très dense d’Emmanuel Levinas : … il y a nous, mais il y a aussi les autres ! mais dans son esprit comme dans le mien, une telle déclaration ne porte pas atteinte à la souveraineté pleine et entière d’Israël sur sa capitale.
Un détail me frappe quand je reconsidère le livre : tous les pèlerins, tous les membres de la colonie sont des paysans, des hommes et des femmes simples et authentiques, nul philosophe, nul grand intellectuel parmi eux. Et tous semblent animés d’une foi naïve qui lit ce qui leur arrive à travers le prisme de la religion et de la foi absolue en Dieu.
Même les pires choses, même les malheurs les plus cruels, comme les sombres prédictions du conte sur les défauts congénitaux des enfants à naître, tous ces drames sont acceptés et considérés comme une mise à l’épreuve décrétée par la divinité. C’est ce que les religions nomment l’abandon confiant à Dieu . Une nouvelle fois, c’est l’exemple classique du patriarche Abraham qui ne vacille ni ne chancelle jamais, même dans le chapitre 22 du livre de la Genèse qui exige de lui le sacrifice de son fils qu’il mit tant de temps à avoir. Souvenons nous du verset du chapitre 15 du livre de la Genèse : Abraham crut (héémin) en Dieu et celui-ci le lui imputa en justice. C’est le père de la foi absolue, Abraham, qui est le fondateur du monothéisme.
Mais cette fois naïve qui brille aussi par sa grande crédulité, est sensible à des contes, à des légendes, qui accordent au mal et aux malheurs sur terre une certaine place ; je pense évidemment aux sombres prédictions concernant l’infidélité du héros Ingmar qui laisse son grand amour (Gertrude) se consumer de remords , dans le seul but d’épouser une riche héritière, Barbro…
Ingmar effectue un vaste retour sur soi, si j’osais, je dirais qu’il fait son tikkoun, il restaure l’harmonie cosmique qu’il avait gravement endommagée par son inconduite envers une femme qui l’aimait d’un tendre amour. Lui aussi laisse tout derrière lui et se rend à Jérusalem. Sur place, il entame une introspection qui va le conduire à jeter sur le papier tout ce dont il s’accuse. C’est un premier pas. Puis il se rachète en empêchant que des profanateurs déterrent une nouvelle fois une pauvre femme. Dans la lutte il perd un œil. Et comme par magie, tout s’éclaire alors que précédemment tout s’assombrissait, l’enfant que l’on croyait aveugle et idiot, est jugé absolument sain et normal par un médecin compétente, Barbro accepte de redevenir l’épouse d’ingmar. Et pour tout arranger dan cette bonne société protestante, un pasteur n’est jamais très loin.
En somme un hayy end. Et par les temps qui courent, nous en avons bien besoin !