Goethe, Faust. Seconde partie de la tragédie. Edité par Jean-Louis Barbèges (Gallimard)
Les œuvres complètes de Johann Wolfgang Goethe, Premier ministre de Weimar, couvrent un peu plus de quarante volumes. Et son Faust, œuvre de toute une vie, domine tous ses autres écrits. On peut parler du couronnement de toute une œuvre C’est aussi une œuvre qui fait partie du patrimoine culturel de l’humanité car la pièce de théâtre qui porte ce nom emblématique FAUST, incarne la tragédie qui peut être le lot de toute vie humaine. C’est la douloureuse distance qui peut séparer la réalité de l’idéal, le vice de la vertu et le péché de l’acte méritoire. On a souvent souligné le caractère quasi liturgique de cette œuvre nourrie de tant d’idées théologiques chrétiennes mais aussi de tant d’auteurs du paganisme grec. On a aussi évoqué le personnage de Job qui finit par désespérer de tout comme le Faust de la vieillesse , enfoui sous des donnes de livres qui ne réussirent pas à lui délivrer le fin mot de l’existence humaine. Mais Goethe nous étonne quand on lui demande la teneur de son message, l’idée de base qui gît au fondement de on œuvre ; il répond parfois ainsi : faut il vraiment qu’il y en ait une ? Et cette réponse, si étonnante soit-elle, est frappée au coin du bon sens. Il s’y trouve tant d’idées, tant de réminiscences et tant de postulats humains qu’on ne peut pas résumer cette œuvre
Goethe, Faust. Seconde partie de la tragédie. Edité par Jean-Louis Barbèges (Gallimard)
En ce qui concerne la Bible dont Goethe connaissait bien les récits, je parlerai de Job, certes, sous le rapport du sens de la vie, de l’assouvissement d’une soif de savoir, du sens de la souffrance, du rayonnement tardif de la justice divine, mais je renverrai plutôt au pessimisme de l’Ecclésiaste qui pose, lui aussi, les questions fondamentales. Certes, entre le sombre philosophe des écrits vétérotestamentaires, d’une part, et un grand écrivain éduqué par les doctrines chrétiennes de la damnation et de la Grâce, d’autre part, la différence est considérable. Mais il est indéniable qu’un rayon de religiosité éclaire toute cette tragédie. Car le mot tragédie doit être souligné, il s’agit bien d’une affaire qui se finit mal.
On connaît la problématique du Faust I : un éminent savant , parvenu aux confins du savoir de son temps, qui a presque tout étudié, tarde à se décider sur la nature de la vraie vie, si j’ose dire : est-ce la recherche de la science et de la vérité, donc une vie d’ascète et de renoncement, ou est-ce, au contraire, l’hédonisme, la recherche effrénée des plaisirs sensuels dont le plus irrésistible est évidemment le plaisir donné par la beauté d’une femme ? Entre ces deux pôles le cœur de Faus hésite encore. Mais la tentation sera plus forte que la retenue. Après bien des événements, le vieux savant aigri passe un accord avec le diable : la vente de son âme au diable contre un corps revigoré et une jeunesse éternelle. A preuve, la remarque sur le traitement administré à Faust, mentionné par la sorcière qui a confectionné ce breuvage dans sa cuisine : Quand ce breuvage sera entré dans ton corps, tu retrouveras Hélène dans toutes les femelles… On ne pas être plus précis ni plus cynique…
Mais cet acte, véritablement magique, vous tire du monde réel et vous confère des pouvoirs surhumains. On change de temporalité et de causalité puisque Faust, aidé du diable Méphistophélès transforme le monde réel à sa guise. Mais attention, la plupart du temps il s’agit d’idoles, c’est-à-dire de réalité illusoire, de pure magie. Du pur prestige. La comparaison de l’acte d’amour entre la belle Hélène et Achille, le plus vaillant de tous les guerriers grecs : Hélène dit, même si un fils naitra de cette étreinte d’amour, que sa relation avec le héros de la tragédie grecque se situe au-delà du monde réel. Traduisez : cela relève de l’irréalité et non du réel… On entre dans un autre univers, celui que le diable peut produire par ses sortilèges.
Goethe qui a mis près d’un quart de siècle à parachever cette œuvre traite, si je comprends bien, de la dichotomie qui traverse et martyrise tout être humain : comment vivre sa vie, comment réussir son passage sur terre ? Doit on faire confiance ou se laisser guider par le sentiment ou par le savoir, ? Qui mène la danse, le cœur ou l’intellect ?
La toute première intervention de Faust commence par évoquer les pulsations de la vie qui battent avec une ardeur nouvelle… et se terminent par ces deux vers : Médite cela et tu comprendras mieux que ce reflet doré c’est la vie… Le vieux savant qui se sent investi d’une vigueur nouvelle ne pouvait pas mieux commencer. Il se livre à une description vitaliste de tout ce qui l’entoure, à savoir une nature luxuriante, vivante qui exhale un sentiment de plénitude et d’énergie débordante. Il décrit les éléments qui se diffusent tout autour de soi. C’est tout le contraire d’une nature endormie, assoupie, qui se laisserait aller. Non point. Les eaux du torrent sont jaillissantes, le souffle du vent transforme l’eau en vapeur, tout est en éveil, un peu comme notre héros qui se sent rajeunir et découvre la vie. Celle-ci est mouvement, désir, envie de la croquer à belles dents. Et ce long monologue se conclut par une invite, citée juste plus haut : c’est bien cela la vie, qu’on médite sur ce qui se passe et on le comprendra mieux… On est bien loin des méditations purement intellectuelles, livresques, ici c’est la vie vibrante, le cœur battant du monde. Ce n’est pas le calme ni la sérénité d’un cabinet de travail où Faust a passé le plus clair de son temps. Il découvre en plein air ce qu’st la vraie vie lui qui s’est enterré sous un amas de vieux grimoires à tenter de trouver les secrets de l’univers et les trésors de la vie.
La vie ce n’est donc pas l’observation externe du botaniste ou d’un autre scientifique qui a une approche dictée par sa profession. La vie se vit, on ne la regarde pas faire. Or, elle est foisonnante et se contente de ce qu’elle est dans sa diversité et ses mouvements. Elle revêt un aspect différent selon le milieu producteur. C’est peut être la faute de Faust qu’il dénonce lui-même dans ce long passage. Il invite à la méditation qui lui a justement fait défaut pendant de longues années. Il est difficile de sérier les choses, de les ranger par catégories, de leur donner un nom, etc… La science de la nature n’est pas la nature. Connaître les émotions, l’amour, le désir, ne signifie pas les vivre.
Cette vie foisonnante de la nature a son équivalent dans l’être humain qui sait se mettre à son diapason. Elle revêt d’innombrables formes mais dépend d’une même source. Les arbres, les cours d’eau, le vent, les senteurs, la chaleur, le froid, l’humide, le sec, tout ceci conflue vers une même entité qui englobe tout le réel : la vie. On peut évoquer les deux arbres des premiers chapitres du livre de la Genèse : la vie et la connaissance doivent être unies et non séparées. Si vous les séparez, vous créez le Faust de l’impéritie, de la frustration et de l’échec.
Comme on le sait, le cas tragique du Docteur Faust n’a pas attendu Goethe qui ne fut pas le premier à le traiter, même si c’est bien lui qui lui adonné sa forme classique.. Il y eut d’autres essais bien avant lui, et notamment Christopher Marlowe qui exploita cette légende : un vieil homme, ayant étudié toutes les sciences, mais qui est agité par le démon de midi ne trouve rien de mieux à faire pour enfin profiter d’une existence sensuelle, que de s’allier au diable. Et remis en état, il tombe amoureux d’une femme, ce qui fait rire le diable Méphistophélès car il connaît par avance la suite tragique de toute cette affaire.
Cette révolte, car c’en est une ,semble être le lot de tout humain. Cela se finit mal, d’où le titre de tragédie. Aussi longtemps que Faust a su ou pu retenir son instinct et ne donner libre cours qu’à son intellect. Je le répète, Faust est présenté ici comme le parangon de la plus haute sagesse humaine, le dernier trait de la pensée. Il y a là quelque chose de prométhéen puisque cela finira mal et que l’homme, ambitieux, se heurte à une sorte de plafond de verre lorsqu’il veut transcender le temps, ni changer les lois de l’espace et revivre des situations appartenant au passé. On ne peut pas transcender sa nature Il y a aussi une impression assez effrayante, c’est le fait de vivre dans le royaume des ombres, ombres d’une humanité grecque héroïque, Hélène et Paris, Achille et tant d’autres figures de l’Antiquité grecque. Se font constamment face l’irréel, l’ombre, l’onirique et la désespérante réalité. D’où le recours au diable, à Méphistophélès qui par sa magie fait semblant d’honorer son pacte avec Faust devenu le symbole d’une humanité dévoyée.
Mais en est il responsable ? Ne dit il dans un échange d’une très haute vérité humaine cette phrase devenue proverbiale ; Deux âmes hélas battent dans ma poitrine (Zwei Seelen pochen ach, in meiner Brust…)
Il faut rappeler que Faust , prenant conscience de l’aspect limité et réduit de notre existence avait songé à y mettre un terme. Mais les scrupules hérités d’une culture chrétienne acquise dès l’enfance, le dissuadent de commettre un suicide. Il y a une certaine place occupée par la religion avec ses notions de damnation et de grâce, ce rappel de l’équité divine, cette menace d’avoir à rendre des comptes dans l’au-delà… Et pourtant, les rêves les plus fous se vivent dans ce Faust II : par exemple convoquer les âmes d’un lointain passé, leur redonner leur lustre et leur fraicheur de jadis lorsqu’elles étaient bien vivantes. Le cas le plus emblématique est bien celui d’Hélène, incarnation de l’éternel féminin. C’est à son sujet et à ce qu’elle représente que la sorcière dit cette phrase d’un cynisme absolu : en ingérant ce philtre d’amour (ou d’illusion ?) Faust va découvrir la belle Hélène en chaque femme… On n’est plus dans le monde des individualités spécifiques. Et en effet, peu de temps après Faust tombe amoureux de la pauvre Marguerite, condamnée par la suite pour infanticide.
Un dernier mot concernant la place de la religion dans toute cette affaire ; elle constitue une sorte de toile de fond. C’est l’ensemble de références auxquelles renvoie l’œuvre, clairement ou allusivement. Il y a même, sauf erreur de ma part,, une allusion à l’homuncule, sorte de golem, rattaché à la personne du Maharal de Prague, le grand Rabbi Loewe.
On peut dire que le Faust est une œuvre d’inspiration chrétienne, sans être parfaitement orthodoxe. C’est la culture chrétienne, pas la religion orthodoxe chrétienne Heureusement, sinon cette tragédie, si profondément humaine, n’aurait eu aucun avenir. Or, elle figure au nombre des chefs-d’œuvre philosophiques de l’humanité.