Noémie Halioua, L’affaire Sarah Halimi, Le Cerf, 2018
Voici le premier coup d’essai d’une jeune journaliste de moins de trente ans qui s’est lancée dans une passionnante enquête sur un meurtre abject qui a tant défrayé la chronique et même troublé l’ordre public, en France, à de nombreuses reprises. Noémie a fait ses premières armes comme rédactrice en chef d’Actualité Juive ; depuis peu d’années elle a rejoint l’équipe de I24News à Jaffa et me paraît promise à un brillant avenir.
Noémie Halioua, L’affaire Sarah Halimi, Le Cerf, 2018
Ce livre sur cette horrible affaire est le premier à paraître en France, nul doute qu’il sera suivi par bien d’autres. On peut dire que pour ses débuts Noémie n’a pas choisi une enquête facile. Mon propos dans ce compte-rendu est dépourvu de toute prétention, je me contenterai de résumer l’abondante matière contenue dans ce petit livre, sans omettre ma propre émotion au sujet d’un crime particulièrement odieux. Ni oublier les réactions indignées provoquées par un jugement qui soulève tant de questions. Et ce n’est qu’un euphémisme.
Le ton du livre est grave sans être solennel. Le récit n’est pas restitué sur un style victimaire, même lorsque se présente à nous la digne silhouette du frère de la victime qui demande justice. Mais ce n’est pas une justice vengeresse, c’est une demande humble et légitime émanant d’un frère indigné par le sort réservé à sa pauvre sœur de son vivant mais aussi post mortem. Car, sans vouloir réactiver la polémique – et avec tout le respect dû à l’institution judiciaire- il faut bien reconnaître que des questions se posent concernant la nature de la décision finale : le meurtrier aurait subi l’abolition de son discernement au moment des faits. Ce qui le rendrait pénalement irresponsable. Cette décision en a heurté plus d’un si j’en juge d’après le nombre de manifestants l’autre dimanche, place du Trocadéro.
Mais par delà la querelle des juristes, avocats contre magistrats, il y a le contexte de plus en plus inquiétant dans ce pays : est-ce que les citoyens juifs de ce pays sont à l’abri de tels actes ? Comment se fait il qu’aucun voisin n’ait réagi alors que la victime poussait de hauts cris en raison des coups que son agresseur lui portait en récitant des versets coraniques. Noémie relate l’accueil glacial réservé par la gardienne au frère venu montrer les lieux du crime à Noémie. Certes, il y a une autre famille qui se montre plus accueillante, témoigne de son respect pour la victime et proteste contre cette déformation inacceptable de la religion musulmane…
Tous les lecteurs de ce petit livre si bien écrit apprécieront les chapitres décrivant l’évolution de ce quartier de Belleville où vivait la victime, une véritable maghrebisation qui refusait de se fondre dans le paysage ambiant mais voulait, au contraire, imposer ses pratiques quotidiennes et son mode de vie. On sent ici les inquiétudes qu’inspire cette évolution incontrôlée qui fait planer une incertitude de plus en plus pesante sur le pays dans son ensemble.
Plus rassurant est le chapitre où Noémie évoque pour nous l’enfance, l’adolescence de Sarah Halimi qui va se ranger sous la bannière de l’orthodoxie mais sans jamais en épouser les travers ni l’intolérance. Tous les témoins qui l’ont connue attestent qu’elle était une bonne nature, dévouées aux autres… Rien d’étonnant qu’elle ait choisi de devenir médecin. Au plan de la vie familiale, Sarah a dû, par la suite, élever seule ses enfants et se montrera une grand mère attentive à tous les désirs de ses petits enfants. Je lis qu’elle dirigeait une sorte de crèche, toujours à l’écoute des parents. Dans ce chapitre, Noémie a rendu vie à Sarah qui évolue alors sous nos yeux. Et l’on se demande pourquoi le sort a permis une telle fin, si injuste, si cruelle mais qui était pourtant prévisible en raison de l’environnement…
Quand on lit et relit les détails de ce meurtre sans nom, on reste interdit. Comment une telle barbarie est elle possible à quelques encablures de Notre-Dame… Et un bref retour en arrière permet de constater que ce n’est pas la première fois e cet an-ci qu’un membre de la communauté juive subit un tel martyre. Je n’aurai pas la cruauté d’en fournir la liste, mais ce qui est frappant, c’est que dans chaque cas, certains trouvent des excuses au tourmenteur. Je ne sous entend pas que la France est un pays antisémite, mais il faut répéter avec force que dans notre pays un nouvel antisémitisme a eu le front de relever la tête. Nier que Sarah Halimi a été assassinée parce qu’elle était juive, c’est la mettre à mort une seconde fois.
Notre France bienaimée a changé, une véritable épée de Damoclès plane au-dessus d’elle. Une des populations les plus anciennes envisage sérieusement de migrer vers d’autres cieux en raisons d’incertitudes de plus en plus menaçantes : les juifs, français à part entière depuis de si longs siècles, se demandent s’ils vont finir leurs jours sur les bords de Seine ou… ailleurs, notamment en Israël, le pays des Juifs.
Deux écoles de pensée s’affrontent ; l’une pense que tout est fini, fichu, les autorités du pays sont incapables de rétablir la situation, la France serait de moins en moins française, peu désireuse de sauvegarder l’héritage d’une France si ancienne, et fille aînée de l’Eglise. Le départ s’impose donc, selon ce parti.
L’autre école se retranche derrières les innombrables vicissitudes de l’histoire juive où , à la dernière minute, lorsqu’on s’y attend le moins, brille soudain une lueur d’espoir. Un peu comme si Dieu, du haut du fermement, prenait pitié de son peuple et condescendait à l’épargner. Cette opinion devient de plus en plus minoritaire et se fait traiter de visionnaire ou de messianiste..
Je ne cache pas mon attachement à ce pays, même si j’adhère de toutes les fibres de mon être à la vie et à la culture de France. Mais voilà, il faut tenir compte du principe de réalité : la France combat de moins en moins fortement le nouvel antisémite. Mais les juifs, eux, l’ont compris, et c’est ainsi que les banlieues sont devenues presque judenrein. Parler des territoires perdus de la République n’est plus un mythe mais une bien triste réalité.