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Une critique du théologico-politique ?

Une critique du théologico-politique ?

 

 Une critique du théologico-politique ?

 

Je viens de réécouter l’émission de Christophe Barbier sur RadioJ concernant l’ouvrage de notre consœur, la philosophe Géraldine Mühlmann, au sujet de sa critique de ce qu’elle nomme le théologico-politique.

 

Que signifie une telle expression qui n’est pas à prendre dans le sens que lui a donné le polisseur de verres d’Amsterdam. Il s’agit ici de la prise en compte de notions, d’un ensemble d’idées philosophiques intégrant une partie du patrimoine religieux. Plus finement encore : il s’agit de reconnaître à la spéculation sur la nature,, la foi, le monde et l’homme, une certaine place, notamment au niveau des origines. J’appelle cela la genèse religieuse du politique, mais je pense à l’inverse de Madame Mühlmann. Je pense, au contraire, comme mon ami Jean-François Colosimo, l’auteur, entre autres, de Aveuglements, à la cécité volontaire ou involontaire qui a animé notre civilisation et notre culture  depuis le siècle des Lumières,  bien plus en France que de l’autre côté du Rhin.

 

Selon l’auteure, il serait erroné de penser qu’un fonds  religieux archaïque (au sens premier du terme : très ancien et non dépassé ou suranné) sert de soubassement à une pensée qui réinstalle des idées d’inspiration religieuse ou fidéiste dans le chapitre examinant nos origines, notamment dans le domaine de la culture et de la foi.

 

Je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses, même si la thèse de notre consoeur   est bien présentée, clairement définie et suscite une discussion nous permettant de voir clair au fond de nous-mêmes.

 

L’aspect le plus faible de cette approche des choses tient à la transcendance, son rôle, sa présence ou son absence en chacun d’entre nous, et j’ajoute qu’il peut s’agir d’une transcendance  qui ne se déploie pas forcément sur un fond religieux puisqu’en France on a tendance à envelopper ce terme (religieux, religion) dans un halo d’impureté, de dangerosité et voire même d’irrationalité. Héritage lointain de la Révolution...

 

Je trouve tant d’auteurs de grande qualité qui ont professé une opinion contraire : au Moyen Âge déjà, des penseurs chrétiens, juifs et musulmans ont opté en toute liberté pour un aspect constructif de la tradition croyante, religieuse ; ces penseurs (Albert le Grand, Averroès, MaImonide, Thomas d’Aquin, et leurs innombrables commentateurs) ont même créé ce que les Allemands ont appelé la Religionsphilosophie... J’ajoute pour ceux qui l’ignorent que la religion est enseignée en Allemagne dans les lycées comme toutes les autres disciplines académiques. Or les grands penseurs germaniques qui ont marqué de leur sceau la philosophie allemande ont tous reçu une formation théologique poussée : Fichte, Hölderlin, Hegel ont fréquenté le Stift de Tübingen. Un autre exemple : même un penseur aussi profond que Hegel a accordé au théologique une part non négligeable dans sa philosophie de l’Histoire.

 

Il me parait impossible de faire une croix sur le théologico-politique, tel que le conçoit l’auteure... Je pourrais citer une multitude de penseurs sérieux qui lui donneraient tort mais je me concentrerai sur les plus connus.

 

Un commentateur juif très pertinent, qui a étudié de près les textes de Maimonide et de Averroès, j’ai nommé Moïse de Narbonne ()30-1362) a émis une idée qui résume tout mon propos : la religion, au sens le plus large du terme est la première éducatrice de l’humanité... Ce qui place la Révélation face à la Raison qui ne parvient pas à entrer  aussi profondément à  cause du Tremendum que constitue la foi.

 

Après le Moyen Âge, je citerai Sören Kierkegaard (1813-1855), le célèbre penseur danois (il récusait le terme de philosophe) le grand adversaire de Hegel ; il considérait que la quête de la vérité devait être conduite sous la bannière de la foi, que celle-ci n’était pas une étape parmi d’autres, mais bien le terminus de la spéculation. Il se voulait un chevalier de la foi et allais jusqu’à prôner une suspension d e l’éthique... En d’autres termes, il estimait  que l’ordre donné par Dieu à Abraham d’immoler son propre fils, tant désiré, ne violait pas la loi et relevait d’hommes situés au dessus nettement de l’humanité ordinaire. Il suffit de lire Crainte et tremblement pour s’en convaincre.

 

Ce vieux fonds de pensée religieuse va se retrouver dans la Politische Theologie de Carl Schmitt qui pense que toutes les valeurs civiles de l’Occident judéo-chrétien sont d’anciennes valeurs originellement religieuses sécularisées ou laïcisées. Ce qui conforte la thèse de Madame Mühlmann, même si elle récuse cette filiation.

 

Le dernier philosophe d’importance qui s’inscrit en faux contre l’auteure, n’est autre que le philosophe judéo-allemand , Franz Rosenzweig (ob. 1929), auteur de l’Etoile de la rédemption et qui introduit un zeste de théologie dans la philosophie. Il nomme cette méthode le Nouveau Penser (das neue Denken).  Cela consiste à instiller une dose de théologie dans le raisonnement philosophique général. Cette preuve d’une reconnaissance positive du fonds théologique  inhérent à la pensée humaine a même trouvé un écho favorable chez un penseur comme Martin Heidegger. Je rappelle que ce philosophe avait jadis caressé le projet de devenir un ecclésiastique...

 

Un dernier point à citer : si nous devions adopter la thèse générale de l’auteure, il faudrait consentir à un sacrifice insupportable pour notre culture ; il faudrait sacrifier le judéo-christianisme auquel des gens aussi différents que Michel Onfray et tant d’autres   adhèrent. On ne peut pas renoncer au Décalogue sans faire vaciller toute notre culture.

 

Je pense aussi à notre héritage biblique : que serait l’humanité occidentale sans l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques et le livre de Job ? Ces textes ont balisé la voie menant à nos valeurs morales actuelles. J’évite le terme spiritualité puisque notre consoeur s’en méfie... Elle n’a pas dit pour quelles raisons.

 

Il me reste à saluer mon éminente conoeur  pour cette belle contribution à un débat toujours d’actualité...

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