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Martin Heidegger, L’histoire de l’estre. 1. L’histoire de l’estre 2. A partir de l’histoire de l’estre. Gallimard, 2023

Martin Heidegger, L’histoire de l’estre. 1. L’histoire de l’estre 2. A partir de l’histoire de l’estre. Gallimard, 2023

Martin Heidegger, L’histoire de l’estre. 1. L’histoire de l’estre 2. A partir de l’histoire de l’estre. Gallimard, 2023

 

Se plonger dans la lecture attentive de ce petit ouvrage (petit par la taille mais gigantesque par sa profondeur spéculative) m’a rappelé mes jeunes années estudiantines au cours desquelles nos maîtres en Sorbonne nous enseignaient que la philosophie est grecque aux deux tiers et allemande pour le dernier. Heidegger qui a publié son œuvre majeure Sein und Zeit en contemporain de deux grands philosophes juifs (1927) (Rosenzweig et Buber) : L’étoile de la rédemption, et Je et Tu, avait coutume de dire que lorsqu’un Français se mettait à philosopher, il s’exprimait automatiquement en allemand. Cette remarque n’est pas très délicate ni très amicale, mais elle s’impose. Et plus encore quand on tente de comprendre les méditations du philosophe allemand  dans ce volume sur l’histoire de l’estre. Dans ce livre il y a des notions grecques à chaque page et on ne peut pas les assimiler sans la lenteur nécessaire pour saisir de son mieux les analyses des sciences de l’estre.

 

Il est intéressant de se pencher un instant sur les raisons de cette dilection germanique pour la réflexion philosophique.

 

Certes, il convient tout d’abord de s’intéresser à ce tropisme allemand. Parmi tous les principes explicatifs qui se présentent à notre esprit, il y a, me semble-t-il, la place occupée par la Bible dans la vie culturelle   allemande : le creuset de la langue allemande a été le projet luthérien de la traduction biblique : dans le château de la Wartburg où il avait  trouvé refuge, le moine  occupait ses jours et ses veilles à transposer la version latine de la Bible en langue allemande. Et mû par le désir d’aboutir au message véridique de la Bible hébraïque, sans déformation théologique occasionnée par les travers d’une exégèse non-philologique, Luther n’hésitait pas à solliciter des rabbins locaux qui, le cas échéant, l’éclairaient de leurs lumières. La langue allemande est une langue née dans le giron biblique. On y parle de Dieu, de ses anges, de la Création, du bien et du mal, de la théodicée, de la destination de l’homme, de l’au-delà etc.., tous thèmes à consonance religieuse. Et des livres comme Job et l’Ecclésiaste font partie de la littérature sapientiales, livres de la sagesse, partant de la pensée philosophique. Et je n’oublie pas que Heidegger lui-même avait songé à devenir prêtre avant d’opter pour la philosophie...

 

Tant l’’idéalisme allemand que ses adversaires n’auraient jamais pu naître sous d’autres cieux. Les pays germaniques furent ravagés par la guerre de trente ans qui était tout bonnement une guerre de religion. De telles contestations religieuses, de tels débats, laissèrent une empreinte profonde dans l’âme allemande. Même le Siècle des Lumières, l’Aufklärung, a fait preuve d’une grande tolérance à l’égard des philosophèmes sur les bords du Rhin, alors qu’en France on eut un Voltaire qui se jura d’écraser l’infâme. Un tel slogan eût été impensable de côté-ci du Rhin.  Les plus grands penseurs allemands comme Hölderlin, Hegel, Schelling, Oetinger et quelques autres sont passés par le Stift de Tübingen avant d’entamer la longue carrière philosophique que l’on connait. Nulle part, ailleurs qu’en Allemagne, ne pouvait naître une telle arborescence. Sans vouloir porter atteinte à l’orgueil national, nous avons dû, en France, nous contenter de moralistes tels que Pascal et Malebranche. Depuis le début, l’âme germanique avait affiché sa prédilection pour les débats philosophico-religieux. J’ajouterais que les linguistes allemands ont été parmi les tout premiers savants à étudier de très près les langues sémitiques. Pour illustrer cette tendance, mon vénéré maître Georges Vajda m’avait dit un jour, en guise de boutade,  que la langue allemande était la première des langues sémitiques (sic). Façon de dire que la littérature secondaire dans ce domaine précisément était presque exclusivement écrite dans la langue de Goethe. Ce qui est absolument vrai. Le Réformateur a été le principal artisan de cette évolution.

 

Dans le présent ouvrage, Heidegger se demande comment la pensée occidentale a évolué pour devenir ce qu’elle est depuis plus de deux millénaires et demi.  De l’Ionie à Iéna... Ce que nous y lisons ressemble à des méditations désordonnées tout en demeurant centrées autour de la notion fondamentale du Sein et du Dasein. Lisons cette déclaration de l’auteur :La philosophie entendue comme  ce que tel ou tel a bien pu échafauder,  n’est pas du ressort de la présente méditation. Nous voila prévenus.

 

Mais il se pose les bonnes questions, comme qui sommes nous ? Où sommes nous ? Voici une autre citation fort instructive : Qui sommes nous ? A supposer que tout bonnement que nous soyons. L’auteur va plus loin et dit ceci : Qui tranche quant à l’estre ? Ou bien serait-ce à l’estre lui-même qu’il revient de trancher quant à chaque «qui» et à chaque questionnement qui peut bien se présenter ? Mais comment donc ? Qu’est-ce que l’estre ? Comment demande-t-il à être dévoilé et amené à sa vérité ? Qu’est-ce que la vérité ? Nous sommes encore à mille lieues de ces questions.

 

A la fin de ce même premier chapitre, Heidegger revient sur cette notion centrale qu’est la philosophie en ces termes : Que la vérité demeure infondée en son essence plénière et que l’homme revendique du «vrai» sans vérité aucune, cela l’homme historial le concevra-t-il un jour comme l’absence de fondement sur laquelle repose toute l’histoire d’à présent ?

 

Heidegger aime parfois s’exprimer par des métaphores poétiques, y compris dans les contextes les plus complexes. Témoin cette citation : l’homme est un étranger -errant- au sein de l’histoire de l’estre et le décompte historique n’arrange  rien, qui vient de surcroit le duper.  On trouve aussi chez lui l’image suivante : l’homme est le berger de l’estre.

 

Un tel ouvrage si technique ne peut pas recevoir de conclusion ni de résumé commode. En outre, le lien unissant les différents cahiers ers n’est pas vraiment apparent. Mais je trouve hautement intéressantes les réflexions sur la Seconde Guerre mondiale, rédigées entre 1939 et 1940. Et félicitations aux traducteurs qui se sont fort bien acquittés de leur tâche.

 

 

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