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Charles Mopsik, Les deux visages de l’Un. Le couple divin dans la cabale. Albin Michel, 2024

Charles Mopsik, Les deux visages de l’Un. Le couple divin dans la cabale. Albin Michel, 2024

           Charles Mopsik, Les deux visages de l’Un. Le couple divin dans la cabale. Albin Michel, 2024

 

Je commencerai par saluer cet heureux événement que constitue la publication de cet imposant volume du regretté Charles Mopsik, portant sur un thème central qui l’a occupé sa vie durant. J’ai feuilleté ce beau livre afin d’en rendre compte dans les meilleurs délais. Mais je tiens à apporter une précision, d’emblée : recenser le livre d’un défunt  ne se fait pas selon les mêmes règles du vivant de l’auteur... En d’autres termes, je considérerai que l’auteur n’est plus là pour se défendre... Mais que l’on se rassure : le présent ouvrage brille par la richesse de sa documentation et la justesse de ses analyses. Le talmud nous enseigne qu’on ne dispute pas avec un lion mort…… A cet adage talmudique s’ajoute  un verset du Cantique des cantiques : dovév  sifté yeshénim, faire que les lèvres des gisants se remuent.. C’est qu’ils ne sont plus là pour défendre leur cause. On doit le faire ne leur lieu et place. C’est une è§glle d’éthique.

 

Le livre de Charles Mopsik s’ouvre sur des réflexions portant sur le mythe. Un terme qui n’existe pas vraiment en hébreu. Même si la Bible contient bien des mythes dans le récit des origines. Comme nous l’enseignait jadis (1967) Jean Pépin, le mythe va de pair avec l’allégorie. Cela constitue le couple mythos / Logos. Mais ce n’est pas très important, je croyais en lisant cela  qu’on allait s’en prendre à une idée controversée de Gershom Scholem de «remythologisation» du judaïsme par les kabbalistes en herbe. Quant à la bisexualité de l’Un, elle m’a rappelé une déclaration d’Ernest Renan selon lequel le terme déesse, s’il venait à exister en hébreu, serai un barbarisme.  Je pense qu’il était fondé à le dire.

 

Quelle angle adopter pour parler valablement de ce grand livre ? On perçoit nettement le fil rouge mais il nous attire dans tant de directions qu’il est très difficile, voire quasi impossible de suivre fidèlement son auteur.

 

Une phrase a suscité mon étonnement, la voici : Il est donc légitime  de parler de pensée mythique à propos de la cabale théosophique...

 

Je relève aussi une autre  indication concernant l’orientation de l’auteur :

 

Nous voudrions montrer l’inscription des conceptions des cabalistes du Moyen Âge relatives aux syzygies divines antérieures et mettre au jour en son sein la présence de thèmes semblables s ‘y présentant plus ou moins ouvertement, ce qui contribuerait à répondre aux accusations dont la cabale a si souvent fait l‘objet d’avoir introduit des idées étrangères dans la religion d’Israël..

 

Cette problématique est cruciale car il y a toujours eu, avec plus ou moins de véhémence, des résistances juives à la kabbale. J’en ai longuement parlé dans mon livre sur Le Zohar. Pour Mopsik, il s’agit de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui contestent l’historicité et la judéité des œuvres kabbalistiques. Je ne résiste pas à la tentation de citer une phrase d’un célèbre érudit germano-hongrois du XIXe siècle,, Wilhelm Bacher de Budapest, qui parlaitt de la kabbale comme d d’une tradition auto-proclamée : eine sich selbst benennende Kabbala... C’est-à-dire qu’elle s’est elle-même attribuée le titre de tradition originelle. Ce que contestaient les coryphées de la science du judaïsme., soucieux de se présenter comme des esprits rationnels, aptes à s’intégrer dans la société allemande de leur temps . pour ces juifs désireux de s’intégrer à  leur r milieu ambiant, la mystique était une régression de la  pensée et  desservait leur cause. Il fallait donc la déconsidérait et la mettre sous le boisseau. Toutes ces représentations remontaient à une époque très récente et non à une antiquité  lointaine.

 

La kabbale chrétienne, elle aussi, avait tout intérêt à rallier ce camp arguant de l’antiquité de la kabbale : cela faisait de RASHBY, le héros mystique du Zohar, un contemporain du... Christ et attestait de l’ancienneté des thèmes kabbalistiques. Chemin faisant, on donnait au christianisme ses lettrées de noblesse.. Présenter le judaïsme comme un champ traversé par divers courants, parfois même contradictoires, se situe au cœur même de l’entreprise mopsikienne : il s’agit de conférer une incontestable authenticité à la kabbale en tant que prolongement naturel des sources juives anciennes, ce qui ne manque pas de pertinence, même si le jugement doit être assorti de guillemets et d’une meilleure intelligence des critiques formulées contre la kabbale. Je rappelle que le mouvement anti-kabbale a culminé au XIXe siècle en Allemagne, dans les milieux de la science du judaïsme avec des savants aussi forts que Grätz  et t Steinschneider. Mais ces érudits  ont servi de repoussoir à Gershom Scholem qui s’est battu pour faire prévaloir les droits légitimes de lé noétique kabbalistique et en faire une branche légitime des études juives.

 

C’est là un point majeur qui  et absolument incontournable : d’où nous vient vraiment la kabbale qui a fini par se frayer un chemin à travers deux millénaires d’histoire intellectuelle juive ? Mopsik, comme on vient de le voir, pensait que ce mouvement mystique nous vient de sources occultes absolument compatibles avec l’âme juive te tandis  que d’autres érudits sont plus réservés quant à ces origines...

 

On comprend que Mopsik ait retenu ce point majeur au sein de son approche de la question, une question qui reste débattue. En Israël, on continue de donner la parole à deux écoles, alors que seule l’une des deux   s’appuie sur des arguments historiques. Et donc  admissibles Dans le corpus zoharique, et bien plus tard, dans la suite du développement historique de la kabbale, la quasi-totalité des indices pointent dans la même direction : la majeure partie du Zohar est due à un auteur du XII-XIIIe  siècle, Moïse de Léon, qui avait été rebute par la rigueur rationaliste du Guide des égarés dont il avait pourtant commandé une copie pour son usage personnel (plus d’un demi millénaire plus tard, Levinas lui fera écho en disant :  (tant de rationalisme déçoit...)

 

Il est évident que le Guide maimonidien fait face au Zohar avec un certain avantage pour ce dernier : les adeptes de l’ésotérisme juif parlaient de leur Bible comme d’un livre saint, ha-Zohar ha-kadoche), distinction que ne fut pas même accordée au talmud, pourtant épine dorsale du judaïsme rabbinique, et encore moins à Maimonide, considéré comme un disciple juif d’Aristote...

 

On ne peut pas exclure totalement la persistance de certaines séquelles msystiicisantes provenant de traditions plus anciennes. Cependant, il est très malaisé de vouloir ramener tout l’édifice séfirotique à des âges où l’on n’avait jamais entendu parler de sefirot... Mais il faut bien admettre que la littérature talmudique nous a conversé des restes de spéculations mystiques portant sur le char divin (les yordé Merkaba) au cours desquelles des exégètes spécifiques, les dorshé hamourot et les dorshé reshumot, s’abîmaient dans ce type de spéculation talmudique. Il s’agissait de donner sens à des passages particulièrement obscurs de la Bible hébraïque. Les talmudistes se méfiaient de ce type d’exégèse, craignant que cela ne fausse définitivement le sens obvie des Écritures. Même Gershom Scholem et Saül Liebermann se sont penchés sur ce problème sans pouvoir répondre de manière définitive si les autorités talmudiques avaient extirpé du talmud toutes les traces de cette «mystique» de la merkaba...

 

La Bible hébraïque  est une littérature, une véritable bibliothèque que des rédacteurs ont tenté d’ordonner de leur mieux. Je rappelle que cette même Bible a procédé à une lecture théologique de l’histoire, des événements et des textes de provenance diverse et variée. On a donc assimilé l’essence divine à des métaphores ou à des images dont le caractère féminin  est incontestable. On présente Dieu parfois comme le mari de la Tora ou de l’ecclesia d’Israël : kenését Israël).

 

L’une des images les plus parlantes dans ce domaine se trouve dans le livre des Proverbes (8 ;22)  où la Tora se présente comme l’instrument de la création, comme une sorte de sagesse primordiale jouissant d’une grande intimité avec Dieu : Dieu m’a acquis prémisses de ses voies, avant toutes ses actions, depuis   lors... Je jouais devant lui... Certains autres textes de la Bible, comme le Cantique des Cantiques , font de Dieu l’époux de la Tora... Il est vrai que le message obvie de cette source devait être allégorisé, c’est-à-dire divisé en sens allégorique, d’une part, et en sens littéral, d’autre part. Et dans ce cas , la métaphore féminine était très présente. Je ne crois pas me tromper en disant que cette référence à la féminité et même à un exubérant symbolisme sexuel servait à combattre les séquelles de l’intellectualisme maimonidien car on ne peut pas extirper  totalement les racines de la vie, l’accouplement, la naissance, le désir, etc... Et par la suite, lorsque la kabbale aura subjugué les esprits, ce même symbolisme, jusque  là embryonnaire, fera valoir tous ses droits au point de statuer l’existence de l’élément féminin jusques et y compris dans la divinité elle-même... Les sefirot du côté gauche relevaient du féminin et celles de droite, du masculin, et seule la sévira tif’érét œuvre comme une languette compensatrice de la balance, symbolisée par l’assemblée d’Israël. Le talmud ne s’y est pas trompé lorsqu’il affirme sobrement que toute la création divine comporte un aspect masculin et un aspect féminin. Il s’agit là d’une véritable grammaire de la création ; le masculin ne saurait subsister sans le féminin et inversement. Déjà la récit de la création du livre de la Genèse le notait :... il n’est pas bon que l’Homme soit seul...

 

Ce beau volume risque d’être victime de sa propre  richesse, c’est une véritable petite encyclopédie portative avec une moisson de textes traduits et bien situés dans leur contexte. Sur le thème du couple féminin / masculin viennent se greffer d’autres thèmes comme la lumière, l’oralité de la Tora, les préceptes divins et tant d’autres choses relevant de la vie terrestre des kabbalistes. Ici, vous apprendrez tout ce que voudrez sur les héros des deux pères-fondateurs (si j’ose dire) Moïse de Léon et Isaac Louira. Le premier nous a donné  les grandes lignes de la kabbale espagnole, et le second de la kabbale lourianique qui porte son nom.

 

Un dernier mot, pour finir, sur la manière dont Isaac Louria accueillait la princesse chabbat dans les champs entourant la ville sainte de Safed. Ce cérémonial a subsisté dans le judaïsme d’Afrique du Nord, et plus précisément au Maroc : le Chabat n’est pas accueilli seulement dans  notre monde, il est accueilli dans tout  l’univers, y compris dans les cieux où se succèdent des escouades d’anges du service, mobilisés eaux aussi pour e grand événement qui illumine notre vie, la rentrée du chabbat...

 

Le vendredi soir, le chef de famille donne lecture du chapitre 31 du livre des Proverbes. Ensuite, il récite un passage tiré du Zohar : Azamer bi-shebahim...  (Je vais chanter les louanges) . Un détail qui nous ramène au symbolisme du féminin et du masculin, le pain tressé qui évoque de visu l’étreinte  amoureuse du couple. Le mari est prié de visiter sa chère épouse la nuit du chabbat. Cela aussi fait partie de la kabbalalst chabbat

 

 Ce livre montre que Charles Mopsik fait bien partie des spécialistes qui ont fait connaitre le kabbalisme à la culture française. Grâce à lui et à son inestimable apport, le courant kabbalistique fait figure de branche légitime des études juives. Il montre quasi de manière convaincante que la mystique n’est pas une pensée régressive.

 

 

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