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Dominique Schnapper, Les désillusions de la démocratie, Gallimard, 2024.

Dominique Schnapper, Les désillusions de la démocratie, Gallimard, 2024.

Dominique Schnapper, Les désillusions de la démocratie, Gallimard, 2024.

 

Nous sommes heureux de dispose enfin d’un tel ouvrage qui arrive au moment  opportun ;et où il était urgent de présenter un tableau presque complet de la situation. Depuis quelques décennies, et singulièrement depuis la guerre en Ukraine, la démocratie en tant que telle et dans toutes ses émanations et applications, est devenue la cible d’innombrables critiques qui lui reprochent de se confondre avec l’Occident, le judéo-christianisme, le mode de vie secrété par un esprit, hérité d’une double   civilisation,  à la fois juive et gréco-romaine... Les critiques ne veulent plus vivre dans un cadre qu’ils assimilent de plus en plus à un carcan. Ils contestent donc avec plus de force l’exemple politique de l’Occident.

 

 De fait, ce sont de très nombreux pays, généralement issus d’une sphère d’influence non-occidentale, qui concentrent leurs attaques sur les institutions démocratiques et tentent de miner leurs valeurs. La plupart du temps, ces pays sont régis par des régimes autoritaires qui font litière des règles démocratiques.

 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un certain ordre international s’est imposé aux puissances victorieuses qui  en ont fixé toutes les modalités d’application. Au fil des ans ce monde nouveau a dû faire face à de très nombreuses critiques remettant en cause certains dysfonctionnements graves comme le colonialisme, le racisme,  l’exploitation sans discernement des richesses d’autres nations réduites à l’impuissance car incapables de se défendre et de faire valoir leurs droits. Certains critiques ont fait valoir des contradictions inermes affectant  la politique et le comportement des grandes puissances, censées donner l’exemple en incarnant les valeurs qu’on leur avait pourtant imposées...

 

La démocratie ne se réduit pas à des rendez-vous électoraux à intervalles réguliers, une philosophie politique en accord avec une exigence éthique est aussi requise. Et c’est cette inobservance des lois promulguées par des régimes dits démocratiques qui fait problème, même si certains autocrates en ont profité pour instruire le procès de la démocratie dans sa totalité.

 

Mais aujourd’hui, on ne peut plus attendre ; la confrontation a atteint un tel niveau, et une telle ampleur, que l’incendie ne sera pas éteint de sitôt. C’est ainsi que des groupes de pays sous-développés, généralement désignés par le lotiers-monde, unissent leurs forces et créent des institutions censées concurrencer celles fixées par les Occidentaux. Les secteurs les plus touchés sont le système bancaire dominé par le dollar, les circuits économiques, le pillage systématique des richesses du sous-sol , etc... Mais le plus grave me semble être l mépris des droits de l’homme, le rejet de l’indépendance de la justice et l’absence d’un système éducatif performant ainsi qu’un système de santé, accessible à tous.

 

Dès les premières pages de son livre D.S.  résume l’essentiel de la question et nous permet de faire le point. Si l’on n’y remédie pas, l’ordre mondial risque d’en être chamboulé, ce qui pourrait causer une déflagration mondiale. Il suffit d’observer ce qui s’est passé en Ukraine : le  potentat d’un  pays voisin, nettement plus grand et plus puissant, a envahi l’Ukraine et envisage de l’annexer. En principe, les règlements en vigueur interdisent de tels agissements, sous peine de graves sanctions. Mais  voila, le même tyran ne  s’en soucie guère et a rallié à sa cause injuste tant de pays d’Asie et d’Afrique. Et en outre, disposant d’un droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU il se sent à l’abri de toutes sanctions, lesquelles sont contournées, quand elles existent e, par de grandes puissances comme la Chine, la Russie et l‘Inde. Et dans une moindre mesure, la Turquie : tous ces pays rêvent de ressusciter la gloire de leurs empires disparus. L’Iran en fait partie, lui qui veut se doter de l’arme atomique pour se débarrasser d’Israël..

 

Si cette évolution venait à se confirmer, l’avenir du monde verserait dans l’arbitraire le plus total. Prenons un seul exemple : en désespoir de cause, la Russie s’est jetée dans les bras de la Chine, signant la soumission inédite  d’une nation de culture européenne à une puissance  asiatique ; près de deux milliards  d’hommes d’un côté, un peu moins de 150 millions, de l’autre. Quel déséquilibre !

 

Il va falloir déterminer un nouvel ordre mondial avec d’autres structures que celles qui existent aujourd’hui, depuis près de 75 ans. Et il n’est pas sûr que ce monde nouveau accorde à la démocratie telle que nous la concevons une place honorable. Que devons nous faire pour sauver la situation ?

 

Il est une réalité qui sauve la réputation de la démocratie aux yeux de ses propres tenants mais que ses adversaires transforment en faiblesse : l’autocritique ; alors que cette disposition devrait plaider en sa faveur  et la parer de toutes les vertus, paradoxalement, elle fait figure de point faible puisqu’elle peut parfois contribuer à la chute de ceux qui s’en servent et la chérissent...

 

On peut se demander si la démocratie est compatible avec la structure profonde de l’être humain ? N’est-elle pas condamnée à demeurer un pur idéal, voire une utopie ? Certains psychologues enseignent que dans les plus intimes replis de l’âme humaine se niche l’irrémissible désir  de dominer, de subjuguer et d’écarter l’Autre, conçu comme un insupportable rival. On connait la réaction de Freud à la lecture d’un certain verset du Lévitique, tu aimeras ton prochain comme toi-même...  Or, l’idée démocratique nous dicte d’aider notre congénère, de le secourir en cas de besoin, toutes choses qui ne vont pas de soi dans   la vie  quotidienne..

 

Allons plus loin dans l’analyse et demandons nous si le principe démocratique fait bon ménage  avec le facteur religieux. Cette idée me vient à l’esprit en pensant à la définition que donne de lui-même , l’état d’Israël: un état juif et démocratique, étant entendu que derrière le terme juif il faut supposer un ordre religieux... Est-ce qu’une telle juxtaposition est concevable ou constitue-t elle un oxymore ? A cette question les autorités israéliennes répondent qu’elles livrent un combat quotidien pour justifier une telle ambition. Je suis tenté, en tant que philosophe, de leur faire confiance mais j’observe aussi que la plupart des crises politiques de l’état juif sont générées par ce voisinage inconfortable.  Toutefois, aucune force politique d’Israël n’a osé faire  de procès violent à la démocratie. Mais cette coïncidence reste un objectif à atteindre...

 

Peut on reconnaître les héritages historiques et imposer, par la même occasion, l’adoption de la démocratie, en se prévalant de l’universalité de ses valeurs ? Les rites et les coutumes peuvent dans certaines parties du monde, refuser l’adoption de certains idéaux qui dirigent des sociétés humaines depuis la nuit des temps. Je pense à certaines pratiques ethniques et religieuses qui exercentt la discrimination des femmes, portent au pinacle l’exclusivisme religieux et refusent de soumettre à la critique de la raison leurs textes révélés ou prétendus tels...  En effet, il existe des doctrines, des traditions, voire des cultures qui sont inconciliables avec un exercice démocratique du pouvoir. Les sources de la citoyenneté n’ont rien à voir avec la couleur de la peau, la pratique religieuse, et...

 

Les développements sur l’incomplétude de la démocratie retiennent l’attention de tout lecteur attentif car ils montrent les difficultés intrinsèques à cette question fondamentale de l’égalité. Au plan théorique, c’est-à-dire, considérée de manière abstraite, la question parait difficilement soluble. L’universalité que présuppose la démocratie n’a pas réponse à tout, comme on l’a longtemps cru. Même l’esprit  républicain ne parvient pas à combler le fossé qui sépare les choses les unes des autres.

 

Qu’entendons nous par le terme intégration ? Il s’agit là d’un vocable à double tranchant : d’une part, on accueille, on admet chez soi quelqu’un qui n’est pas de chez nous, faisant ainsi preuve  de générosité et d’oubli  de soi, et d’autre part, on mutile une partie de l’Autre, même si le mot est  trop  fort... On ne parle plus d’intégration mais d’assimilation, laquelle exige normalement des sacrifices souvent douloureux. Les Juifs ont bien connu ce couple oxymore, notamment des «Israélites»   français du XIXe siècle...

 

Je pense à l’autobiographie de André Chouraqui, né en Algérie en 1917 et qui dit que la fréquentation de l’école primaire française l’avait coupé de ses racines. Pourtant, la France a apporté à ces juifs d’Algérie, l’mancipation et la culture, la modernité, etc. En un mot, synonyme de libération.

 

On pourrait disserter indéfiniment, à perte de vue : les problèmes posés par l’institution de règles démocratiques sont très nombreux. C’est ainsi, lisons nous ici, que Claude Lévi-Strauss s’élève contre l’idée de l’universalité  de la culture des pays occidentaux... Voici une phrase qui revêt une valeur nodale de tout ce qu’’on sait. Cette affirmation résume bien la crise des institutions démocratiques, y compris de nos  mœurs républicaines. Dans ce domaine, il faut reconnaitre que les valeurs  judéo-chrétiennes ont joué un rôle important. A un moment donné, tout ce qui n’était pas revêtu du sceau de notre civilisation était taxé de barbarie. Le terme Occident était devenu synonyme des mœurs chrétiennes. Cette prise de conscience est apparue dans toute sa netteté dans le traitement que les envahisseurs du Nouveau Monde infligèrent aux indigènes mayas et aztèques, considérés comme des sous hommes et livrés à l’extermination. Le tout au nom de valeurs réputées  chrétiennes. Aujourd’hui, ce n’est (heureusement) plus possible.

 

On parle souvent de l’impérialisme économique et plus rarement  de l’impérialisme culturel, or ce dernier est plus dur et plus criminel que le premier. Il y a des génocides réels mais il existe aussi des cultures génocidaires, comme priver un peuple colonisé de toute référence à ce qui a  constitué son essence première, ses valeurs, ses aspirations, bref sa vie de tous les jours. L’Occident s’est appliqué à le faire durant  près de deux millénaires. Cela dit, sans la moindre référence à je ne sais quelle haine de soi, chère à Théodore Lessing...(Der jüdische Selbsthas, Berlin, 1930s).

 

Au terme de ce petit sondage dans un livre si riche et si stimulant, peut-on dire que la démocratie a encore de beaux jours devant elle ? On aimerait y croire.

 

 

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