De l’abus des émissions spéciales commis par les châines d’information continue…
C’est un fait absolument indéniable et qui commence à agacer un peu partout dans nos sociétés modernes : cette manière de broder à perte de vue sur des faits qu’on connaît à peine mais qui, en se développant, retiennent des pays entiers en haleine, non pas par amour de la vérité mais par l’envie d’attirer le plus grand nombre de téléspectateurs, lesquels seront exposés de multiples fois à des spots publicitaires, ce qui n’est pas sans apporter de coquettes sommes d’argent aux télévisions concernées.
Je ne suis pas contre la mondialisation de l’information, le monde est devenu un village planétaire : qu’un avion sombre au fond d’un océan à l’autre bout du monde ou qu’un directeur d’école soit accusé d’attouchements sexuels (je dis bien accusé et non condamné) sur des enfants, les nouvelles, grandes et petites, graves ou légères, se répandent d’un bout du monde à l’autre comme une traînée de poudre…
Mais voilà, ce serait compréhensible et légitime si l’on se contentait de mentionner les faits ou de les répéter à l’état brut. Or, les télévisions et même les radios vont bien au-delà : ils organisent des débats avec de prétendus spécialistes qui nous expliquent des heures durant qu’il faut attendre, qu’on n’a encore aucune certitude, que l’on ne devrait pas augmenter délibérément le nombre des hypothèses plus ou moins fantaisistes, etc… Et pourtant, ces mêmes personnes font le tour des plateaux de télévision pour débiter les mêmes choses. A cause de cette comédie, j’ai découvert qu’il existait un inflation bien plus nocive et dangereuse que l’inflation monétaire, c’est l’inflation du discours, surtout quand ils sont tenus par des analphabètes. Certains journalistes ou chroniqueurs (je dis bien certains, pas tous, mais un certain nombre tout de même) ne sont pas même au courant des faits qu’ils énoncent. Or, grâce à ce média ils disposent, pour ne pas dire, bénéficient d’une audience autrement plus importante que celle de n’importe quel autre authentique spécialiste de la question traitée, mais dont le seul inconvénient est de ne pas être du tout médiatisé ou de ne pas figurer sur les tablettes de journalistes paresseux…
Récemment, le petit journal de Canal + a exploré les coulisses des télévisions qui se livrent à ce genre d’émissions spéciales sur tout et rien : on y voit des journalistes, l’oreille vissée à leur portable, hurlant des ordres à des techniciennes qui doivent joindre de toute urgence des spécialistes ou des témoins… Et le tout revient en boucle jusqu’à l’écœurement…
Il ne faudrait pas galvauder le noble métier de journaliste, de reporter ou de correspondant de guerre. Mais il est urgent de soigner un peu plus leur formation, surtout pour les plus jeunes dont la langue française est plus que mal assurée mais quand ils sont des Français de souche…
Il y a aussi un aspect éthique dont il n’est pas toujours tenu compte : c’est l’impact de ces nouvelles livrées à l’état brut et qui rendent pénible la vie des proches et de la famille de gens incriminés ou suspectés à tort ou à raison. Imaginez la réaction d’enfants dont le père ou la mère se trouve mis en examen : comment se sentent ils à l’école, à l’université, ou vis-à-vis de leurs amis, de leurs copines etc… La recherche du scoop ne doit pas anesthésier le sens moral. Dois je pour mon avancement, pour ma carrière, saccager, volontairement ou involontairement, la vie d’autres êtres ? Ne suis-je donc soumis à aucune règle ?
Et vous avez dû aussi remarquer que les journalistes les plus en vue, hélas suivis par leurs jeunes confrères frais émoulus, cherchent à faire le buzz, en interrompant les personnes interviewées, les harcelant, coupant les réponses, bref faisant tout pour les déstabiliser. Ce n’est pas ce que recherche le pauvre téléspectateur, impuissant et subissant ce flot ininterrompu dans son fauteuil. Il faudrait faire à ces journalistes la réponse suivante : laissez moi finir mes phrases et vous les comprendrez mieux.
Quand l’interview s’est achevée, les pauvres hères que nous sommes tentent de séparer la paille du grain. Et la moisson est souvent très pauvre.
Hegel disait à son époque que la lecture du journal quotidien est une sorte de récitation de la prière matinale… Que dirait-il s’il revenait aujourd’hui ? Même Lénine qui disait que l’information est un combat, serait assez désemparé. Et pourtant, il en a vu d’autres.
Y a t il un moyen de remédier à cette situation ? Oui, si les journalistes et leur hiérarchie acceptaient enfin de livrer de l’information. La vraie. En la séparant de la recherche de profit systématique.
Les télévisions ont besoin de la publicité pour vivre, je ne suis pas contre. Mais dans des proportions acceptables et en prenant soin de réfléchir avant de déverser des monceaux de nouvelles disparates.