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  • Le sacre de l'Egypte, enfin?

     

    Le sacre de l’Egypte, enfin ?

     

     

     

    La conférence qui s’est ouverte à Charm El Cheikh sous la présidence du maréchal égyptien Al Sissi marque peut être un tournant dans les relations entre les USA et les régimes arabes modérés de la région. Enfin, le Secrétaire d’Etat John Kerry a prononcé les paroles que les Egyptiens et leurs alliés attendaient : les USA tiennent au renforcement de l’Egypte et veulent bien soutenir son rôle de puissance régionale.

     

     

     

    Il faut dire que l’Amérique de M. Obama n’avait plus le choix. L’ombre menaçante de l’Iran des Mollah se profilait avec une très grande insistance dans le Moyen Orient. La diplomatie américaine à bout de souffle ne savait plus que faire et certains soutiennent qu’elle n’a pas changé d’attitude fondamentalement, mais qu’elle maintient simplement deux fers au feu.

     

     

     

    Dans le papier d’avant-hier, on avait décrit la déception des régimes arabes pro-occidentaux qui craignent pour leur avenir. L’axe Le Caire-Ryad-Emirats semblait en disgrâce à Washington qui est pressé de signer un accord, même mauvais, avec l’Iran. L’embellie durera t elle longtemps ou est ce un simple intermède ?

     

     

     

    Les USA ont la puissance mais ils n’ont pas toujours la sagesse qui devrait aller de pair avec leur grande force. L’Egypte, son président l’a rappelé hier sur place, a un rôle de puissance régionale à jouer. Certes, comme tous les régimes arabes de la région, son attachement à la démocratie n’est pas à toute épreuve, mais que faire ? On fait avec ce qu’on a.

     

     

     

    Les monarchies pétrolières du golfe ne sont pas démunies d’atouts face aux USA. Et selon nous, elles sont plus fiables que l’Iran qui n’est pas un régime aussi stable qu’il y paraît. Les Mollahs ne sont pas à l’abri d’une vague de colère et de mécontentement qui mettrait fin à leur pouvoir.

     

     

     

    Et puis il y a encore et toujours cette sourde rivalité entre Arabes et Perses. On se souvient que Saddam en avait joué lors de sa confrontations armée avec Téhéran.

     

     

     

    Peut-on faire confiance à l’Amérique d’Obama ? Le seul fait de poser la question laisse peu de doute sur la nature de la réponse.

     

  • La folie meurtrière de l'E.I.

    La folie, la frénésie meurtrière de l’Etat Islamique

    Ce que le monde entier a pu découvrir, sans être flouté, sur I24News, est littéralement sidérant. C’est la stupeur : un enfant de 12 ans exécutant d’une balle en plein front un jeune Arabe israélien qui avait rejoint Daesh et qui était accusé d’être un infiltré du Mossad dans l’organisation islamique. Cet Etat Islamique n’a plus rien à proposer, rien à offrir… Tout ce qu’il sait faire, c’est filmer des exécutions. Et là il atteint le fond de l’abîme de l’horreur. C’est l’horreur absolue : des arabes exécutant d’autres arabes, et maintenant par des enfants. Aucune cause au monde, aucune morale, aucune idéologie ne saurait avaliser de tels actes. Il faut réagir. Les musulmans du monde entier devraient condamner de telles horreurs.

    Les parents de la victime, habitants de la vieille ville de Jérusalem, étaient effondrés et ont nié toute implication de leur fils de 19 ans auprès du Mossad. Par delà cette nouvelle exécution, se pose la question de la survie de cet E.I. qui na d’islamique que le nom et qui tente de dissimuler sa barbarie derrière ce paravent.

    Des familles de musulmans britanniques ont découvert avec effroi que leurs filles, des adolescentes de 16 à 18 ans avaient tout quitté pour rejoindre la Syrie, sans rien dire, du jour au lendemain. La même chose vaut de certaines familles françaises de confession musulmane qui, alors qu’elles étaient surveillées par la police, ont pu rejoindre la Syrie par la Turquie qu’elles avaient ralliée en faisant un détour par Madrid.

    Mais à présent, l’Etat islamique doit faire face à une vigoureuse contre-offensive, du moins en Irak. Il a perdu Tikrit et les villages environnants. La reconquête de Mossoul deuxième ville d’Irak, n’est plus qu’une question de semaines ou de jours. Rappelons que c’est la ville qui a donné son nom à la mousseline des vêtements féminins… Etre tombée dans une telle barbarie ! C’est absolument incroyable…

    La visite du chef d’Etat-major interarmes de l’US Army n’est pas étrangère à ce redressement de l’armée irakienne qui consent enfin à sa battre au lieu de détaler comme des lapins, laissant derrière soi armes et munitions, alors que toute armée, même en déroute, détruit tout derrière elle, afin que l’ennemi ne s’approprie pas ses équipements. L’affaire sera donc bientôt réglée en Irak. Mais quid de la Syrie ?

    Les réalistes, les partisans de la Realpolitik, optent pour une alliance objective avec la Syrie de Bachar, même pour une alliance qui ne veut pas dire son nom. Enfin débarrassée de l’ennemi commun, on aide l’aile modérée de l’opposition à conquérir le pouvoir et la Russie aidant, on exfiltre Bachar vers une république musulmane d’Extrême Orient… où les potentats locaux ne l’inquiéteront jamais.

    Le seule problème qui se pose est celui-ci : que faire le jour d’après ? Les USA pensent, et c’est tout le problème , se désengager de toute la région et laisser les mains libres à l’Iran des Mollahs. Ils s’en cachent à peine et sont, pour la forme, allés rassurer leurs alliés arabes du Golfe en leur offrant le parapluie nucléaire US. Mais ceux ci ne sont pas dupes : l’Egypte, l’Arabie et les Emirats ont compris que les USA veulent faire de l’Irak une sorte de protectorat de l’Iran chiite, un Irak nucléarisé à terme, dont un Israël déjà nucléarisé ( ?) et très avancé technologiquement n’aurait rien à craindre. Les rodomontades anti-israéliennes du régime ne seraient qu’un paravent propre à rassurer les masses et à les convaincre que les Mollahs n’ont pas changé de politique… Du moins, lors de la grande prière du vendredi. L’Iran deviendrait ainsi une nouvelle puissance régionale. Ceci est une rupture de tous les équilibres. Obama ne connaissait pas les théories de Clausewitz pour qui les conflits ne naissent pas de la volonté des hommes mais de la rupture d’équilibres…

    Est ce que cette politique va réussir ? Ce n’est pas certain, en tout cas pas intégralement. Il faut du temps. Or, un prochain président US du côté républicain n’acceptera jamais ce deal avec l’Iran des Mollahs. Les Israéliens feront tout pour faire capoter ce plan. Quant au camp arabe modéré, allié objectif d’Israël, il n’acceptera jamais ce marché de dupes.

    Décidemment tout le monde prépare l’après Obama, un président US dont l’action ne laissera pas une impérissable empreinte dans l’histoire du monde.

  • Ma madeleine à moi

    Où sont donc stockés nos souvenirs d’enfance?

    Un être humain n’est rien sans son passé. Ce serait alors ce que les Allemands appellent un Luftmensch, un déraciné, un aérien, un sans  sol nourricier.

    Tout le monde connaît la madeleine de Proust. Mais chacun peut vivre cette fameuse madeleine à sa façon. C’est ce qui vient de m’arriver avec de la morue séchée et salée que ma mère cuisinait si bien à l’époque de ma prime enfance et de mon adolescence.

    Pour me changer les idées, sortir un peu de mes livres de philosophie et de théologie, et aussi pour me rendre utile et agréable, il m’arrive d’aller faire des courses. Cela me révèle un aspect du monde qu’un penseur, penché sur ses livres et ses manuscrits, court parfois le risque d’oublier. Ne dit on pas que la réflexion philosophique nous détache du monde, voire même nous apprend à mourir ?

    Le spectacle de gens, jeunes et moins jeunes, arpentant les allées des centres commerciaux et des supermarchés, les dialogues entre les clientes et le poissonnier ou encore les demandes de vieilles dames à la boulangerie. Pain pas trop cuit, tranché ou non tranché, réservation d’une brioche pour le samedi après-midi en prévision de la visite tant attendue des petits enfants, voici tout ce que vos oreilles perçoivent… Certes, ce n’est pas du niveau de Maimonide, Kant, Hegel ou Rosenzweig, mais c’est bien la vie de tous les jours.

    Ce jour là, je pensais à tout autre chose . Je venais de m’arracher à la lecture ardue d’un passage fort compliqué de L’étoile de la rédemption de Franz Rosenzweig que je ne saisissais toujours pas. Et pourtant, sa lecture m’avait envoûté. Je devais acheter des fruits et des légumes, mais aussi du poisson. Comme il n’y avait pas de fil d’attente à l’étal de poissons, je commandai deux morceaux de dos de cabillaud. J’avais déjà mis mon butin dans mon sac quand je vis de splendides morceaux de morue séchée. C’était la première fois que j’en voyais dans ce beau supermarché de Passy. Je restai soudain immobile devant ces morues.

    Je n’avais pas encore dix ans quand se produisit ce tremblement d’Agadir qui m’arracha à ma ville natale, changea mon existence du tout au tout et m’installa à Paris où je suivis une trajectoire qui n’était probablement pas celle qui eût été la mienne sans cette secousse tellurique qui fit des dizaines de milliers de victimes.

    Chaque vendredi soir et chaque samedi matin, en l’honneur du sabbat, ma mère achetait cette morue séchée et salée, elle la faisait frire avec de la panure et la servait à table, arrosée d’une sauce rougeâtre à base de vinaigre afin de la rendre plus tendre. Les entrées sont très nombreuses dans ces repas festifs en cette fin de semaine où les Juifs pratiquants font relâche en l’honneur du sabbat, afin d’en marquer le repos et la solennité.

    Je me souviens de ces couchers de soleil qui m’impressionnaient le samedi en fin de journée, mon père me tenant par la main pour aller à la synagogue et écouter le sermon du grand rabbin, qui était accessoirement son neveu, et après le prière, consommer la troisième collation (sé’ouda shelishit). Inquiet devant cet horizon rougeoyant, je demandai à mon père ce que cette apparition pouvait bien être. Au lieu de me parler du coucher de soleil, il me servit une légende talmudique sans m’en indiquer la provenance. Et comment aurait-il pu le faire à l’intention d’un enfant de cinq ou six ans ? La légende en question nous apprend ceci : dès le vendredi, avant le coucher du soleil, l’enfer se vide de ses occupants qui peuvent jouir eux aussi de la quiétude du sabbat. Mais dès le lendemain, toujours au coucher de soleil, les condamnés regagnent leur enfer pour continuer à y expier leurs innombrables fautes et péchés. En prenant connaissance d’une telle explication je fus saisi d’effroi. Je m’en souviens encore, j’éclatai en sanglots, effrayé par une telle histoire.

    Durant l’office clôturant le sabbat, j’avais remarqué qu’avant d’allumer la lumière (car durant le sabbat il est interdit de mettre en action la moindre énergie, même électrique), on prenait son temps en lisant un certain couplet de la liturgie. Plus tard, lorsque l’écrivis moi-même avec mon collègue autrichien une introduction au talmud et au midrash, j’appris que l’on prolongeait cet instant afin que les condamnés pussent profiter de quelques minutes de repos supplémentaire… Et tout cela parce qu’un enfant avait demandé à son père de lui expliquer les raisons de cet horizon soudain si rouge !

    Mais la vie dans cette paisible station balnéaire de l’atlantique sud ne se limitait pas à cela. Il y avait la douceur du climat, la quiétude d’être un peu hors du monde avec des autochtones accueillants et bienveillants.

    Toutes ces réminiscences s’imposèrent à mon esprit devant cet étal de morues séchées. Sans vraiment le réaliser, je fis demi tour et demandai à la vendeuse la moitié d’une morue, car en acheter une entière  allait bien au-delà de mon appétit et de celui de ma femme…

    La vendeuse me demanda si je souhaitais faire débiter en petits morceaux cette morue. Mais comme le poisson était trop rigide, elle se tourna vers son collègue, qui répondait au nom bien caractéristique de Moustafa : encore une immersion dans des souvenirs vieux de plus d’un demi siècle… Je fixai cet homme qui découpait la morue. Ce geste que j’avais vu accomplir dans la cuisine de notre maison à Agadir m’arracha au temps présent ; la jeune femme me demanda si je souhaitais autre chose… Je mis quelque temps à lui répondre.

    En déambulant dans les allées du supermarché, je n’étais plus à Passy, je regardais sans voir, j’écoutai sans comprendre. Je revoyais des scènes, disparues à tout jamais, notamment cette grande table familiale où mes frères et sœurs entourions nos parents. Cette morue séchée m’a rappelé tout cela au point que je me suis demandé où j’avais pu conserver toutes ces impressions qui s’étaient gravées dans ma mémoire.

    Je revoyais le visage de mon père, si sérieux et si scrupuleux quand il s’agissait des prières et du respect de la tradition juive. J’entendais sa voix récitant la bénédiction du pain et du vin. Je ne savais pas, à l’poque, (j’avais un peu plus de cinq ans), que mon père lisait les textes provenant d’Isaac Louria, le fondateur de la kabbale de Safed au XVIe siècle. Et que la plupart de ces textes en araméen provenaient du Zohar, la Bible de l’ancienne kabbale, celle de Moïse de Léon. Soudain, mes lèvres se mirent à bouger car la mélopée de cette récitation parentale s’imposa à moi. C’était assez extraordinaire.

    Arrivé à la caisse, la caissière dut ouvrir le sac de poisson afin d’en relever le prix. Découvrant son contenu, elle me demanda comment je comptais préparer la morue ; je répondis que je ne savais pas faire la cuisine mais que ma femme s’en chargerait. Elle me dit que dans son pays (elle était africaine) on consommait fréquemment de la morue séchée et salée…

    Je la regardais avec beaucoup de nostalgie. C’était la première fois de ma vie que j’éprouvai au plus profond de moi-même la congruence des souvenirs, leur parenté et leur force évocatrice. En fait, l’humanité commune à tous.

    Aristote a écrit dans sa Métaphysique que la mélancolie était le mal des philosophes. On se sent parfois submergé par des vagues de nostalgie ; c’est l’impression qui se dégage d’un livre autobiographique comme Le monde d’hier de Stefan Zweig.

    Chaque homme vit dans plusieurs mondes à la fois. Mais il n’en possède pas les clés. Car les portes s’ouvrent toutes seules, pour peu qu’elles en décident. Et cela tient à un hasard absolument imprévisible.

    Maurice-Ruben Hayoun