Conférence du 13 décembre 2007
Le symbolisme du féminin dans la mystique juive
Et l’univers séfirotique
Remarques préliminaires : la femme dans le judaïsme. :
a) l’origine de la femme en tant qu’être dérivé de l’homme
b) la tentation intervenant par son canal et entraînant l’expulsion du paradis
c) l’enfantement dans la douleur
d) l’émergence d’un statut particulier, notamment dans la liturgie et le droit religieux.
Pourtant, la Sagesse est décrite sous les traits d’une femme (ch. 8 ;22 des Proverbes)
Le talmud :
Shabbat 33b : nashim da’atan qala aléhén (les femmes ont un caractère léger, fantasque)
Qiddushin 35a-b : nashim peturot (les femmes sont dispenséeds du port des tefillin et de l’étude de la Tora
Qol ba-isha erwa : même la voix d’une femme est une nudité. (Berachot 24a)
Ce qui pose quelques problèmes graves :
a) peut-on prier à côté d’elle ?
b) peut-elle participer lors de l’office religieux ?
c) Chœurs féminins ou mixtes ?
d) peut-elle monter à la Tora ? lire la mégilla ? (oui, selon Megilla 23a)
En Berachot 24a ; rabbi Hisda ajoute que la jambe d’une femme est une erwa. Ceci intéressera Madame Assia Djebar de l’Académie française puisqu’elle raconte un véritable traumatisme de l’enfance dans son dernier livre Nulle part dans la maison de mon père… Un jour, dans la cour de sa maison en Algérie, un jeune homme l’aide à faire du vélo. Son père arrive et hurle la phrase suivante : je ne veux pas que ma fille montre ses jambes aux autres ! L’académicienne n’avait alors que 6 ans !!
Au XVIe siècle, le code religieux juif, LE SHILHAN ARUKH DE JOSEPH CARO ET MOSHÉ ISSERLÈS, a aggravé la chose ; les femmes ne seront pas appelées à la Tora à cause du respect dû à la communauté religieuse.
Dans la mystique juive médiévale :
Comment se fait-il que dans la mystique juive, les kabbalistes aient gravement spéculé sur le moment féminin de la divinité et développé un exubérant symbolisme sexuel qui en dit long sur leur anthropologie, générant une véritable érotique de la kabbale, pour reprendre le titre du livre allemand de Georg Jiri LANGER, traduit pa nous en français (Paris, Editions Solin, 1990)
La mystique juive redécouvre l’aspect féminin de la divinité. Et les relations entre la divinité et l’âme du mystique s’apparentent à un symbolisme sexuel.
• l’interprétation mystique du Cantique des Cantiques. Abraham Aboulafia, auteur pré-zoharique, dans son Gan Na’oul (Le jardin scellé) : ce poème est une allégorie de la relation d’amour entre D et la communauté d’Israël (kenését Israël) or dans kenését, il y a la notion de réceptacle, archétype de l’organe féminin, symbolisée par la dernière sefira malkhut (voir infra), symbolisée par la Shekhina, qui est justement considérée comme celle qui recçoiyt tous les influx venus d’en haut.
• Unio mystica : symbolisme vertical : deux sefirot de même niveau (hésed et gebura)
• Symbolisme horizontal : tif’érét et malkhout, la sixième et la dixième sefira.
• Les deux premières sefirot qui opèrent le passage du non-être à l’être, c’est-à-dire de la création de l’univers, hokhma et bina (sagesse et le discernement) sont appelées abba et imma (le père et la mère) plongées dans une union éternelle. Sans cette perpétuelle étreinte, l’univers n’existerait pas… On pense que c’est une allégorie kabbalistique pour désigner les fondements de l’être selon la physique aristotélicienne, la forme et la matière (le mâle et la femelle ; voir Platon qui parle de nourrisse)
Par cette doctrine de l’union du masculin et du féminin, les kabbalistes procèdent à une humanisation de D : ce faisant, ils rendent (involontairement ?) hommage à la femme et au féminin.
Le premier commandement positif, c’est croissez et multipliez vous (Gen. ! C’est donc une invitation à recréer l’harmonie du premier couple au paradis.
Au Moyen Age L’épître de la sainteté, attribué à Nahmanide (XIIIe siècle) sublime l’acte amoureux qui devient un auxiliaire du divin
Le symbolisme qui fait intervenir le féminin s’opère au sein de la divinité elle-même : middat ha-din (fem) et middat ha-rahamim (homme). La divinité elle-même, dans le régime qu’elle exerce sur l’univers, oscille entre ces deux pôles de
Dans le Zohar, les auteurs des différentes strates se grisent d’un tel symbolisme. Hiérogamies : ziwwuga kaddisha, unions sacrées
Shekhina et Kenését Israël ; entités féminines. En fait, c’est l’aspect féminin de la divinité qui gouverne le monde des quatre éléments dans lequel nous vivons.
Même dans la kabbale lourianique : notions très sexuelles : bris des vases, mode de création calqué sur l’accouplement. Le vase, forme de l’organe féminin.
Atsilut (émanation), Shéfa (flux dirigé, superesse qui déborde)
Le terme hébraïque SHEFA signifie réellement le produit de l’émanation : dans le système néo-platonicien, chaque intelligence séparée émane de la précédente ; plus on s’éloigne de la source suprême et plus la dignité ontologique de l’essence en question diminue. Avienne expliquait qu’en s’auto-intelligeant, la sphère supérieure produistait l’intelligence de celle qui la suivait immédiatement. Nous sommes en présence d’auto-intellections traidiques : on obtenait ainsi l’âme, l’intelligence de la sphère et la sphère elle-même. Chez les kabbalistes, le rapport mâle/femelle a donné lieu à un exubérant symbolisme sexuel car l’arbre sefirotique véhicule un flux qui se concentre dans un réceptacle, malkhut.
Présence de D durant l’acte sexuel effectué dans sa pureté paradisiaque ; la shekhina se pose sur le couple qui s’aime et bénit leur union : on a l’impression que les kabbalistes, portés à l’abstraction dans tous les domaines, ont dû gérer leur sexualité comme ils pouvaient. Quelle est la problématique ? D’un côté, on sublime, on intellectualise, on spiritualise tout, absolument, mais de l’autre, la Tora commande de s’accoupler avec la femme pour procréer… Solution : il fallait mêler la divinité à cet hommage rendu à la nature charnelle de l’homme. La kabbale vit, depuis l’origine, dans ce paradoxe de la vie…
Isaac d’Acco (XIVè siècle) parle de la Racehl d’en haut et de la Rachel d’en bas. Tant que Jacob était hors de la Terre sainte, il ne s’accouplait qu’avec une Rachel matérielle ; une fois en Terre sainte, à la mort de son épouse, son âme s’accoupla avec la Rachel spirituelle.
COMMENT LES kKABBALISTES, HOMMES TENDUS VERS UN IDÉAL SPIRITUALISÉ, DÉSINCARNÉ, géraient leur sexualité et leurs envies ?
Yesod et malkhut : accouplement vertical.
Le symbolisme féminin de la dernière sefira, MALKHUT, d’après Nahmanide :
La dixième sefira s’appelle SHEKHINA. Elle s’appelle la couronne (ATARA), elle dépend de yesod, la neuvième sefira et on y fait allusion par des expressions du féminin. Elle est le symbole de ce monde car le régime de ce monde est entre ses mains grâce au flux de l’émanation qui lui parvient des sefirot supérieures. Elle s’appelle aussi l’ange de D- (Ex. 14 ;19) car les essences des anges émanent d’elle. Elle se nomme aussi BE EL, la maison de D-, c’est lépousée du Cantique des Cantiques qui est dite fille et sœur. Elle est enfin la communauté d’Israël où tout est réuni. Elle est la Jérusalem céleste que l’on nomme SION dans nos prières, car elle est ce par quoi toutes les puissances se présentent. En elle tous les interdits de la Tora ont leur fondement et c’est pour cette raison que les femmes sont elles aussi tenues au respect de leurs interdits, car elles s’originent de la même source.
Formule liturgique due à Joseph CARO : le-shém Qudsha berikh hu u-Shekhintéh, dehilou u-rehimou : l’oraison correctement orientée suscite l’éternité d’amour en haut, dans le monde séfirotique. C’est en quelque sorte D- (l’en-sof) qui s’unit à son hypostase féminine, la Shekhina… Le Zohar la nomme la belle aveugle… (alma de lét lah eynin)
Même le CHABBAT est orienté dans ce sens : le chabbat est l’homme et la communauté d’Israël, la femme : d’où l’amour conseillé le vendredi soir aux couples religieux.
Moshé ish ha-Elohim : Moïse, l’homme de la divinité féminine, c’est-à-dire de la Shekhina.
Le Zohar dit que le mariage terrestre permet l’entrée dans l’univers féminin : be-alma de-nuqba Les eaux féminines : mé nuqbin : il s’agit d’un symbolisme sexuel qui relate l’effet produit par sur len entités féminines supérieures.
Cette conception diffère de la conception tantrique : les Tantras, doctrine ou règle en sanscrit : adeptes des épouses des dieux.
LE SYMBOLISME FÉMININ DU ZOHAR culmine avec la comparaison à la biche des aurores (ayélét ha-Shahar) Ps 22 ;1 . Ce symbole intervient 23 fois dans tout le corpus zoharique. En Zohar III, 21b, elle est comparée à la communauté d’Israël.
Elle est assimilée à la dernière sefira qui concentre en elle tous les influx venus d’en haut et en nourrit les autres niveaux d’êtres avant de se nourrir elle-même. Ainsi, la biche, se lance, tôt levée, vers les pâturages afin de ramener de la nourriture à ses petits. C’est ensuite qu’elle pense à elle.
Mais attention à la perversion : Lilith (voir mon article sur ce personnage mythique dans le Dictionnaire critique de l’ésotérisme, PUF)
Sabbataïsme et dévoiement du symbolisme féminin : Orgies sexuelles des adeptes polonais de Sabbatai ZEWI, les Frankistes (dénoncés par Jacob Emden, Les mémoires de l’anti-Sabbataï Zewi, Cerf, Patrimoines-Judaïsme, 1996)
Conclusion :
Les kabbalistes, féministes avant la lettre ?
l’Erotique de la kabbale de Georg Mordekhai Langer.
¥ c’est en s’unissant que l’homme et le femme découvrent l’être de la divinité.
hommage involontaire du masculin au féminin en reconnaissant Que SANS LA FEMME NOUS NE POUVONS PAS ACCÉDER À D CAR NOUS SERIONS INCOMPLETS ; SEUL L’HOMME COMPLET ACCÈDE À LA DIVINITÉ ; ET CELA SE FAIT PAR L’AMOUR.
Maurice-Ruben HAYOUN
Professeur à l’Université de Genève