Dictionnaire du Coran sous la direction de Mohammad Ali AMIR-MOEZZI. Bouquins, Robert Laffont, 2007.
Peut-on dire qu’il y va du Coran pour les musulmans comme de la Bible pour les juifs ? Tout en part et tout y revient ? C’est le sentiment qui s’empare du lecteur lorsque celui-ci se donne la peine de lire attentivement les entrées qui sont traitées dans ce Dictionnaire du Coran.
Il faut féliciter les éditions Robert Laffont et la collection Bouquins de ne pas avoir reculé devant l’immensité et le caractère ardu de la tâche. La diversité des auteurs, le respect de l’unique critère, la science objective et l’approche historico-critique, font de cet ouvrage une œuvre de référence et un très bon instrument de travail. Pas la moindre trace d’apologétique, un grande ouverture d’esprit dans le traitement des sources les plus diverses, le choix des islamologues les plus compétents, tous ces éléments assureront à ce Dictionnaire une longévité exceptionnelle.
Cette impression est confirmée par l’excellente introduction intitulée Un texte et une histoire énigmatiques. Je voudrais souligner la subtile distinction faite par un savant cité, entre l’acte d’écrire, qui n’implique pas toujours une publication écrite, et l’acte de publier qui se fit longtemps de manière orale. Trois personnalités ont, lit-on, joué un rôle important dans l’établissement du texte coranique :
a) Ubayallah ben Yiyyad , le cruel gouverneur d’Irak.
b) Al-hajjaj ben Yousef
c) Le calife Abd al-Malik qui parle d’avoir collecté le Coran (jama’tu al-Kor’an)
La version coranique uthmanienne mit plusieurs siècles avant d’être acceptée.. Les exemplaires «non orthodoxes» furent détruit dans des bains d’huile bouillante L’auteur de ‘introduction cite longuement les meilleurs représentants de l’islamologie européenne du siècle dernier (presque tous des juifs) le savant hongrois germanophone Ignaz GOLDZIHER. Il existe dans cette introduction un léger oubli, mais celui-ci est immédiatement réparé (presque providentiellement) par l’article portant sur Caïn et Abel du professeur israélien Méir Bar-Asher lequel cite le texte d’Abraham Geiger, Was hat Mohammed aus dem Judentums aufgenommen ? (Rééd. Leipzig, Kaufmann 1902)
Un dictionnaire ne se lit pas de manière linéaire et doit obéir à l’ordre alphabétique, même lorsque celui-ci se révèle parfois cocasse : après l’article sur Aaron, on tombe sur les abeille et l’abattage rituel… Curieuse transition, mais pouvait-on l’éviter ? Il eût fallu changer toute l’économie du Dictionnaire en regroupant par exemple les sujets théologiques, philosophiques, les personnages importants, etc… Au début, j’avais pensé ne rédiger cette notice qu’après lu la totalité des 981 pages, ce qui eut remis aux calendes grecques sa parution. Un rapide sondage des entrées les plus emblématiques montre que l’on peut se concentrer sur les points essentiels et revenir, le cas échéant, sur d’autres notions.
Abraham est, par exemple, un personnage clé et l’article qui le traite est remarquable. Il ne laisse rien de côté et examine la présentation coranique du père du monothéisme sous tous ses aspects. Une réserve, cependant : il ne faut pas parler de sacrifice mais de ligature d’Isaac. Le Coran ne dit pas si c’est Isaac ou Ismaël. Tabari, le grand exégète de l’islam, pense que c’était Isaac mais les commentateurs ultérieurs ont parlé d’Ismaël.
L’article sur l’abrogation, naskh, revêt une importance particulière du seul fait que l’islam, dernière des trois religions monothéistes, se présente comme la doctrine qui parachève celles qui lui préexistaient. Il se trouva donc confronté à la question suivante : que pouvait-il conserver des croyances antérieures ou que devait-il en abroger ? Comme tous les jurisconsultes, les tenants du Coran ont dû élaborer une théorie cohérente : Une loi, réputée d’origine divine, peut-elle être abrogée ? Oui, si la loi en question a été altérée par les hommes. Enfin, pouvait-on abroger le verset et le statut qu’il véhicule… La question a revêtu quelque acuité, notamment face aux juifs de la péninsule arabique qui n’entendaient pas changer leurs habitudes religieuses ni enfreindre leurs nombreux interdits alimentaires… Une certaine polémique coranique est allée jusqu’à dire que Dieu avait multiplié les interdits pour les juifs afin de les punir de leur indiscipline et de leur entêtement…
Abu Bakr, le premier converti à l’islam, en quelque sorte, est considéré comme le compagnon le plus fidèle du Prophète (sahib an nabi)
Le premier homme ADAM, se voit accorder le rang de premier prophète. Les hommes sont nommés banu Adam, comme dans la Bible bené Adam. Cette anthropogonie est somme toute banale : le Coran dit bien à son image Ala suratihi : la Bible disait déjà : be-tsalmo bidemuto Le Coran a accueilli des données juives mais post-bibliques, c’est-à-dire qui se trouvent dans les commentaires midrashiques et talmudiques. Par exemple, la chute de l’ange (ibliss) qui refuse de se prosterner devant l’homme au motif que ce dernier est fait d’argile alors que lui est à base de feu…
Toujours les hasards de l’ordre alphabétique. : l’article consacré à l’adoption. Derrière un acte assez anodin, on trouve des détails sur la vie du Prophète, des questions de lignage, le sang impur ou inférieur qui pourrait bien affecter toute la descendance.
Ali ben Abi Talib, éminent compagnon du Prophète et destiné à lui succéder, dut attendre son tour une bonne vingtaine d’années. Nous lisons que ce personnage, devenu la figure tutélaire du chi’isme, jouira cependant d’un prestige exceptionnel même auprès des sunnites. Ses partisans déplorent la censure de nombreux passages où le prophète en personne parlair de lui comme de son successeur désigné.
Est-ce étonnant si à Ali succède l’entrée «alimentation» ? C’est Dieu qui, par sa grâce, dispense ses bienfaits à ses serviteurs qu’il lui a plu de distinguer. D’ailleurs, l’un des noms de Dieu est al-razzaq, celui qui offre et donne le rizq. L’islam n’a pas conservé tous les interdis alimentaires des juifs, si ce n’est la viande de porc et la consommation de boissons alcoolisées. Mais les catégories du permis et du défendu (licite et illicite) demeurent : halal et haram. Les bienfaits étant dispensés par Dieu, ceux qui s’enrichissent au détriment des autres, sont responsables de l’existence de la pauvreté et contrarient le dessein divin. Ils heurtent l’idée même de maslaha, le développement harmonieux de la création.
Après Ali et l’alimentation, c’est le nom coranique de Dieu qui est étudié, Allah. Ce terme proviendrait de la contraction de al-Ilah, devenu à la longue Allah. Il semble que, comme la Bible hébraïque, ce soit le nom d’essence alors que la multitude d’autres noms ne désigne en réalité que des attributs d’action : le miséricordieux, le terrible, le majestueux, le redoutable etc…
L’Ancien Testament revêt une importance particulière tant son apport, surtout indirect, fut décisif. En effet, on relève que le Coran ne cite pratiquement jamais un verset biblique verbatim, il en donne généralement des versions soit commentées, soit remaniées. Les récits sur Abraham iconoclaste, chassé par son père et échappant miraculeusement à la fournaise ; les récits afférents à Joseph qui refuse les avances de la femme de son maître Potipar… Le texte coranique parle soit des ahl al-kitab (gens du Livre, donc de la Bible) soit de la Taurah (Torah). On emploie aussi un terme pour désigner les feuilles ou les pages al-suhuf (e.g. suhuf Ibrahim wa-Mussa) : les écrits d’Abraham et de Moïse.
Existait-il une traduction arabe du Pentateuque, avant celle de Saadya Gaon (882-942) ? Non, bien qu’on en attribue une, lacunaire, au grand théologien nestorien Hunayn ibn Ishaq et au savant karaïte Yefet ben Eli (que le regretté Georges Vajda a beaucoup étudié). Mais en dépit de ses nombreux emprunts, reconnus ou inavoués, le Coran articule contre les juifs des reproches très graves : ils auraient falsifié leur livre (tahrif qui vient de harf, pluriel huruf) et auraient transformé (tabdil) certains passages annonçant la venue du Prophète de l’islam.
Un nouvel article consacré à al-salaf (ceux qui sont d’avant) a le mérite de remettre les choses à leur place ; l’auteur l’oppose à l’expression inverse, al-khalaf, ceux qui viennent après. Les salafistes sont donc les partisans d’un univers imaginaire, idéalisé qui n’a existé nulle part, hormis dans leur conscience.
>Au résumé extrêmement succinct des notions survolées, on se rend compte de la richesse de cette œuvre. Ce ne sont là que quelques sondages effectués dans cette mine si abondante. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Mais avant de conclure, félicitons une nouvelle fois les éditeurs (publisher et editor) ainsi que tous les auteurs qui ont mis leur science à notre portée.