La malédiction d’Abraham. Le sacrifice de l’enfant dans l’héritage des trois monothéismes : tel est le titre du dernier livre d’un éminent spécialiste de la théologie chrétienne, Bruce Chilton (Abraham’curse, Doubleday, 2008). Un compte-rendu élogieux de livre vient de paraître dans le Jerusalem Post, signé par le célèbre professeur américain Jacob Neusner.
De quoi s’agit-il ? D’une enquête très fouillée et très érudite sur la signification et les conséquences de l’injonction divine adressée au patriarche Abraham d’offrir en sacrifice (we-ha’aléhu li le-‘olah) son unique fils… Quelles que soient les interprétations divergentes qu’on en donne, depuis le Talmud jusqu’à nos jours, on n’insiste pas assez sur un point. La tradition juive ne parle jamais d’un sacrifice puisqu’il n’eut jamais lieu, mais d’une ligature, la ‘aqéda. Pour la critique biblique, ce chapitre 22 de la Genèse est une sorte de mise en scène qui fit passer l’humanité croyante du sacrifice humain au sacrifice animal. On humanisait (dans le bon sens du terme) le culte sacrificiel. Pour le reste, pour reprendre une expression d’un savant Dominicain de Jérusalem, historiquement et archéologiquement le personnage biblique d’Abraham n’a jamais existé…
D’un point de vue strictement logique, on ne comprend pas très bien le sens de l’injonction divine. Si Dieu voulait simplement tester Abraham, le mettre à l’épreuve, il aurait dû connaître l’issue de la mise à l’épreuve, sinon c’est l’omniscience divine qui en prend un coup. D’un autre côté, comment avoir bravé les lois de la nature et donné à un vieux couple une descendance mâle pour ensuite lui demander de l’offrir en sacrifice… D’un côté, c’est la science divine qui est en cause, de l’autre c’est la nature même de la bonté divine qui est mise à mal…
Mais Chilton ne s’embarrasse pas de subtilités du raisonnement philosophique, ce qui l’intéresse, c’est de thématiser la disponibilité au sacrifice suprême en martyre. Et qui dit martyre dit violence d’inspiration religieuse, puisque c’est Dieu qui semble à l’origine de ce mécanisme en demandant au père d’immoler son propre fils. Du judaïsme Chilton passe à l’islam qui se signale de nos jours par des actions violentes dont on aimerait retracer l’origine ultime. On sait que la tradition islamique, à une exception près, place Ismaël à la place d’Isaac. Quant au christianisme, il considère que le sacrifice non abouti d’Isaac a été accompli sur la personne de Jésus, l’agneau de Dieu, dont le sang, nous dit-on, a sauvé l’humanité. Dans les trois cas, on semble accepter la violence de celui qui immole et la violence contre lui-même de celui qui consent à être immolé. Chilton en conclut justement que la notion même de martyre est née.
La violence plonge donc ses racines dans le culte sacrificiel. Cette scène du sacrifice programmé mais non consommé eut pour cadre le Mont Moriah.
Nous avons vu comment le judaïsme et le christianisme ont réagi face à la notion de sacrifice, jetons un coup d’œil avec Chilton sur le cas de l’islam. Ici, l’auteur ne peut manquer d’actualiser . A n’en pas douter, un nouveau pas est franchi par une frange la plus radicale de l’islam. Mais nous avons affaire à un érudit pas à un journaliste : Chilton parle aussi des Macchabées chez les Juifs et des croisés chez les chrétiens. Ces deux catégories de combattants étaient prêts à consentir le sacrifice suprême pour honorer ce qu’ils croyaient lui être agréable. Je me souviens d’une phrase symptomatique d’Ernest Renan qui disait que si l’on est prêt à verser son sang pour sa foi on est encore plus zélé à verser celui des autres… Chilton rappelle que les juifs des villes rhénanes ont préféré le suicide collectif à la conversion forcée administrée par les croisés…
Comment réussir la descente du Mont Moriah ? Comment faire pour ne pas avoir les mains rougies de sang ? L’auteur n’a pas peur des mots et écrit que l’humanité n’aura d’avenir que si elle révise cette posture sur le Mont Moriah. Le lieu du sacrifice doit devenir celui de la réconciliation et des retrouvailles.
La réactivation de la fraternité d’Abraham est à ce prix. C’est la seule manière de transformer la malédiction en bénédiction.
D’un point de vue strictement logique, on ne comprend pas très bien le sens de l’injonction divine. Si Dieu voulait simplement tester Abraham, le mettre à l’épreuve, il aurait dû connaître l’issue de la mise à l’épreuve, sinon c’est l’omniscience divine qui en prend un coup. D’un autre côté, comment avoir bravé les lois de la nature et donné à un vieux couple une descendance mâle pour ensuite lui demander de l’offrir en sacrifice… D’un côté, c’est la science divine qui est en cause, de l’autre c’est la nature même de la bonté divine qui est mise à mal…
Mais Chilton ne s’embarrasse pas de subtilités du raisonnement philosophique, ce qui l’intéresse, c’est de thématiser la disponibilité au sacrifice suprême en martyre. Et qui dit martyre dit violence d’inspiration religieuse, puisque c’est Dieu qui semble à l’origine de ce mécanisme en demandant au père d’immoler son propre fils. Du judaïsme Chilton passe à l’islam qui se signale de nos jours par des actions violentes dont on aimerait retracer l’origine ultime. On sait que la tradition islamique, à une exception près, place Ismaël à la place d’Isaac. Quant au christianisme, il considère que le sacrifice non abouti d’Isaac a été accompli sur la personne de Jésus, l’agneau de Dieu, dont le sang, nous dit-on, a sauvé l’humanité. Dans les trois cas, on semble accepter la violence de celui qui immole et la violence contre lui-même de celui qui consent à être immolé. Chilton en conclut justement que la notion même de martyre est née.
La violence plonge donc ses racines dans le culte sacrificiel. Cette scène du sacrifice programmé mais non consommé eut pour cadre le Mont Moriah.
Nous avons vu comment le judaïsme et le christianisme ont réagi face à la notion de sacrifice, jetons un coup d’œil avec Chilton sur le cas de l’islam. Ici, l’auteur ne peut manquer d’actualiser . A n’en pas douter, un nouveau pas est franchi par une frange la plus radicale de l’islam. Mais nous avons affaire à un érudit pas à un journaliste : Chilton parle aussi des Macchabées chez les Juifs et des croisés chez les chrétiens. Ces deux catégories de combattants étaient prêts à consentir le sacrifice suprême pour honorer ce qu’ils croyaient lui être agréable. Je me souviens d’une phrase symptomatique d’Ernest Renan qui disait que si l’on est prêt à verser son sang pour sa foi on est encore plus zélé à verser celui des autres… Chilton rappelle que les juifs des villes rhénanes ont préféré le suicide collectif à la conversion forcée administrée par les croisés…
Comment réussir la descente du Mont Moriah ? Comment faire pour ne pas avoir les mains rougies de sang ? L’auteur n’a pas peur des mots et écrit que l’humanité n’aura d’avenir que si elle révise cette posture sur le Mont Moriah. Le lieu du sacrifice doit devenir celui de la réconciliation et des retrouvailles.
La réactivation de la fraternité d’Abraham est à ce prix. C’est la seule manière de transformer la malédiction en bénédiction.