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Il y a deux siècles, Napoléon créait le franco-judaïsme

 

Article paru dans la Tribune de Genève le samedi 19 avril (rubrique L'invité) 

 

La naissance du franco-judaïsme…          
Il y a deux siècles exactement, au printemps de 1808, l’Empereur Napoléon Bonaparte intégrait les juifs de France, mais aussi d’Europe, à la socio-culture de l’époque. Non seulement il les arrachait à leur statut de parias, mais il fondait, par cet acte courageux et lucide, le franco-judaïsme, c’est-à-dire les institutions juives de France et d’Europe,
En d’autres termes, il créait un espace commun où pouvaient se développer dans le cadre de la loi, l’identité juive et la culture européenne. Lors de la campagne d’Italie, le chef militaire Bonaparte est révolté par la triste existence des habitants du ghetto de Venise. En traversant l’Alsace, il est interpellé par le conflit qui oppose les juifs locaux à leurs débiteurs, des paysans lourdement endettés, qui les accusent de pratiquer des taux usuraires. Le futur Empereur choisit la solution la plus intelligente, celle d’une intégration juste et généreuse. Dans ce cas, on s’inspirait à la fois des idéaux de la Révolution et du siècle des Lumières ; le philosophe juif de Berlin, Moïse Mendelssohn (1729-1786) avait chargé le haut fonctionnaire prussien Christian Wilhelm von Dohm de réfléchir à l’Emancipation des juifs
Le juriste prussien voulait montrer que les lois juives s’accordaient avec une citoyenneté pleine et entière ; il refusait de faire appel à la pitié ; selon lui, l’entendement sain, les sentiments humanitaires et les intérêts bien compris des Etats et des sociétés civiles requéraient un meilleur traitement des juifs. Dohm admettait que le port de la barbe, la pratique de la circoncision et un culte divin spécifique séparaient, certes, les juifs des autres habitants du pays où ils résidaient ; mais aussi longtemps qu’il n’aura pas été prouvé que ces règles sont asociales ou s’opposent à l’équité ou à l’amour du prochain, on ne saurait  refuser aux juifs l’égalité des droits…
La démarche napoléonienne s’inspirait pleinement de ces arguments. Napoléon chargea quelques auditeurs du Conseil d’Etat de poser des questions à la délégation juive, conduite par le grand rabbin David Sintzheim (1738-1812) : les juifs étaient-ils les ennemis des chrétiens ? Feraient-ils de bons soldats, en dépit des règles rituelles du samedi ? Défendraient-ils leur patrie ?  Prêteraient-ils serment devant des juridictions civiles ? Un mariage contracté avec une partie non-juive était-il valable à leurs yeux ? Les réponses de Sintzheim furent jugées satisfaisantes, même si parfois le vieux rabbin maniait volontiers l’humour… Napoléon Bonaparte demanda que toutes ces réponses, véritable charte du franco-judaïsme, fussenrt proclamées solennellement en l’Hôtel de ville de ville par le Grand Sanhédrin qu’il convoqua à cet effet.
Les consistoires furent donc créés en 1808 et continuent de fonctionner vaille que vaille. Il y eut le Consistoire de Paris qui regroupe aujourd’hui encore les congrégations religieuses qui se reconnaissent dans son idéologie. Ensuite, on assista à la naissance du Consistoire Central de France qui regroupe tous les autres consistoires disséminés sur le territoire national. On peut donc dire que Napoléon a non seulement émancipé le juif en tant que tel mais qu’il a aussi accordé un droit de cité au judaïsme en tant que religion.
 La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si des institutions hyper-centralisées, financièrement exsangues et en perte de vitesse, sont encore d’actualité. On le constate nettement en scrutant cette vaste crise du leadership actuel.
L’action de Bonaparte fut, certes, bénéfique à l’époque, mais ne doit –elle pas être entièrement rénovée pour épouser enfin son au temps ?

                        Maurice-Ruben Hayoun
                    Professeur à l’Université de Genève
Dernier livre paru :
Renan, la Bible et les Juifs (Paris, Arléa, avril 2008)

 

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