Jérôme MONOD, Les vagues du temps. Fayard, 2009
Quand on repose ce livre où Jérôme Monod évoque sa vie et ses multiples fonctions, ses voyages, mais aussi ses réflexions et ses espoirs, on se sent envahi par un sentiment diffus de jubilation : voici un homme dont trois grands axes ont balisé l’existence : la haute administration, la grande industrie et la politique, non pas en tant qu’élu (il est trop intelligent pour cela) mais en tant que conseiller écouté, sûr d’avoir l’oreille du prince.
Pourquoi ai-je tant aimé ce livre que j’ai lu de la première à la dernière (sauf certains passage du long chapitre sur l’entreprise dévoilée) ? Probablement, parce qu’il commence par une profonde réflexion quasi-philosophique, sur les violences et les facteurs qui les génèrent. L’auteur se demande directement si le monde va devenir invivable. Mais ce n’est pas tout, ce qui m’a vivement touché, ce sont les origines et la mentalité typiquement protestantes de cet homme qui consacre d’emblée, sans fausse honte, quelques développements bien sentis à l’argent et à ses dangers, à son pouvoir pour aider mais aussi pour nuire… A aucun moment il ne verse dans cette hypocrisie qui veut faire croire que l’argent et la richesse matérielle sont une malédiction dont il se faut se garder. Les réflexions assignent à l’argent la vraie qu’il occupe et doit occuper mais balisent soigneusement les domaines dans lesquels il ne devrait jamais interférer. Enfin, dernière cause de ma satisfaction, c’est la familiarité avec la Bible, les lectures bibliques et la présence de cette exigence morale quasi-quotidienne qui pousse l’homme à agir (le plus souvent possible) en conformité avec l’éthique. Ce n’est pas toujours facile et l’auteur relate les scrupules qu’il eut à se séparer d’un directeur de filiale de la Lyonnaise des eaux aux USA… A la fin du récit, il signale que l’homme s’était rendu en Floride pour se changer les idées et finit par retrouver d travail dans le New Jersey…
Jérôme MONOD, Les vagues du temps. Fayard, 2009
Quand on repose ce livre où Jérôme Monod évoque sa vie et ses multiples fonctions, ses voyages, mais aussi ses réflexions et ses espoirs, on se sent envahi par un sentiment diffus de jubilation : voici un homme dont trois grands axes ont balisé l’existence : la haute administration, la grande industrie et la politique, non pas en tant qu’élu (il est trop intelligent pour cela) mais en tant que conseiller écouté, sûr d’avoir l’oreille du prince.
Pourquoi ai-je tant aimé ce livre que j’ai lu de la première à la dernière (sauf certains passage du long chapitre sur l’entreprise dévoilée) ? Probablement, parce qu’il commence par une profonde réflexion quasi-philosophique, sur les violences et les facteurs qui les génèrent. L’auteur se demande directement si le monde va devenir invivable. Mais ce n’est pas tout, ce qui m’a vivement touché, ce sont les origines et la mentalité typiquement protestantes de cet homme qui consacre d’emblée, sans fausse honte, quelques développements bien sentis à l’argent et à ses dangers, à son pouvoir pour aider mais aussi pour nuire… A aucun moment il ne verse dans cette hypocrisie qui veut faire croire que l’argent et la richesse matérielle sont une malédiction dont il se faut se garder. Les réflexions assignent à l’argent la vraie qu’il occupe et doit occuper mais balisent soigneusement les domaines dans lesquels il ne devrait jamais interférer. Enfin, dernière cause de ma satisfaction, c’est la familiarité avec la Bible, les lectures bibliques et la présence de cette exigence morale quasi-quotidienne qui pousse l’homme à agir (le plus souvent possible) en conformité avec l’éthique. Ce n’est pas toujours facile et l’auteur relate les scrupules qu’il eut à se séparer d’un directeur de filiale de la Lyonnaise des eaux aux USA… A la fin du récit, il signale que l’homme s’était rendu en Floride pour se changer les idées et finit par retrouver d travail dans le New Jersey…
La Lyonnaise des eaux, l’eau : deux termes qui marquèrent la vie active de M. Monod. Lorsqu’il fut détaché de la Cour des comptes, son corps d’origine, M. Monod entra dans le cabinet de Michel Debré (qu’il aime et admire beaucoup, il rejoindra d’autres cabinets ministériels, verra même le général de Gaulle en tête à tête, mais la passion de sa vie fut la DATAR, l’aménagement du territoire. Ce mot revient sur la plupart des pages de ce beau livre… Il était donc normal que désireux de rejoindre de grandes entreprises, cet homme se soit vu proposer de prendre la tête d’un grand groupe dont le métier était l’eau, partout dans le monde. Si l’on peut parler d’un apostolat dans la vie de cet ancien grand commis de l’Etat et ancien cpaitaine d’industrie, c’est l’apostolat de l’au. Partout dans le monde : en Europe, en Amérique, au Moyen Orient (sauf Israël, jamais cité), en Extrême Orient, partout. La passion de Jérôme Monod, après Jacques Chirac (le méritait-il ?) c’est l’eau. On en trouve une annonce subliminale dans le titre de l’ouvrage : Les vagues du temps…
Comme je le relevai supra, on a affaire à un homme dont la vie professionnelle repose sur un trépied : la haute administration, la grande industrie et la haute politique.
Dès les premières pages, l’auteur dénonce en termes clairs ce qu’il nomme la puissance dominatrice de l’argent qui génère des effets dévastateurs sur les individus et leur psychologie. Je fais un saut jusqu’aux dernières pages du livre où l’auteur fait référence à une conférence du grand ethnologie Claude Lévi-Strauss qui réfléchissait sur l’Occident et en dénonçait la retentissante faillite morale. Celle-ci se traduit dans le singulier mauvais traitement que l’homme d’Occident a réservé à son environnement… Toujours, ce noble sens de l’éthique, chez le neveu d’un grand protestant comme Théodore Monod et le petit fils déjudaïsé d’un rabbin lorrain…
Mais comme on parle de Théodore Monod, j’aimerais rappeler une anecdote : il y a plus de quinze, invité par la Fédération protestante de France à un long week end de réflexion sur la Bible et son interprétation à travers les âges et dans les trois monothéismes, j’avais le privilège de prendre mes repas à la même table, aux côtés du grand homme qui savait l’hébreu et m’interrogeai sur certains points compliqués. Il me relata sa rencontre avec un marabaout, un soir, lors d’une halte dans le campement au désert du Ténéré. Le marabout lui demanda comment lui, homme de science et donc de vérité, ne se convertissait pas à l’islam, la religion (selon lui) la plus amie de la vérité… Monod, homme de culture et de bon sens, lui fit la réponse suivante, que je trouve merveilleuse : lorsqu’on monte et s’élève, on finit toujours par se rejoindre ! Savoureuse réponse qui ne pouvait avoir germé que dans le cerveau d’un homme dont la communauté a été persécutée…
Il est un autre point qui se rapproche un peu du précédent et qui porte justement sur la place de l’humain, que l’auteur évoque et ne développe pas suffisamment. Il s’agit des relations entre la France et l’Etat. De Gaulle et Debré estimaient qu’il n’y a de France que par l’Etat, tandis que Giscard d’Estaing plaçait la France avant l’Etat. J’avoue que la divinisation de l’Etat à la Hegel ne me plaît guère bien que je sois germaniste, j’incline, pour une fois, vers la position giscardienne. Mais M. Monod a raison d’écrire que la société française est menacée par ses passions .
Plus loin, il déplorera avec justesse que les Français sont rétifs au changement et aux réformes, alors que lui, jeune de 19-20 ans, se vit conseiller par son père de voir le grand monde et de se rendre aux Etats Unis où il découvrit tant de choses. C’est d’ailleurs grâce à cet esprit curieux et novateur qu’il réussit à faire de la Lyonnaise des eaux une multi nationale solide et puissante. Et nous tenons là l’un des plus grands paradoxes du personnage : un homme qui se coule avec aisance dans toutes les cultures et toutes les mentalités, qui connaît le monde arabe et l’extrême Orient, s’ouvre aux autres, cet homme qui a bâti un empire, s’est laissé entraîné à créer des partis politiques (je dis bien créer), à arbitrer entre des médiocres aux ambitions petites et mesquines… Comment a-t-il pu le faire ? Il est juste d’ajouter qu’il fixait toujours des limites temporelles dans son engagement et qu’on est toujours venu le chercher alors que son entourage immédiat lui déconseillait de s’engager dans cette voie… L’homme semble avoir été très conscient de ce paradoxe car à la fin du livre, dans une sorte de sorte de testament citoyen, il place la politique en tête : noblesse de la politique, d’abord (p 415) . Sans nous donner la recette car chaque fois que des jeunes, esprits purs et sincères, ont voulu changer quelque chose en politique, on sait où ils se sont retrouvés.……
En revanche, M. Monod décrit admirablement bien l’état d’esprit des Français (leurs préjugés) face à la diversité sociale : si la banque n’avait pas de cœur, l’entreprise n’avait pas d’âme. Seul le service public servait le bien public. J’avoue avoir moi-même fonctionné sur ce schéma simpliste et simplificateur durant longtemps…
Pour comprendre ce que M. Monod veut dire, il faut lie ce passage (p 146) :l’entreprise est soumise au changement et doit même le précéder. Comment ? D’abord par l’ouverture au monde extérieur. Le Français n’y est pas encore habitué sauf pour ses vacances. Mais celui qui n’a pas appris à travailler, même à des emplois modestes, à l’étranger, reste enfermé dans un cercle étroit et risque de succomber à la monotonie, à la routine. Il tourne le dos à ce qui est nouveau, au désir d’apprendre et d’expérimenter. Il craint l’air du large, entretient méconnaissance et méfiance à l’égard de ses voisins européens. … Le Français, dans son travail, doit être incité à sortir de son univers familier, à se soumettre à la nouveauté.
M. Monod rapporte (et je le crois) que de nombreux postes ministériels lui furent proposés et qu’il a toujours refusé. Plus loin (p 299) il parle de la politique, elle est le fil rouge qui traverse sa vie. ..C’est une âme bien née, il écrit ( p 222) : ma sensibilité s’est d’abord développée par la poésie et la musique ; ma compréhension du monde par l’histoire et la raison.
Que c’est bien dit. En lisant attentivement ces lignes et d’autres dans ce livre, je n’ai pu m’empêcher de penser à une interjection de Fr Nietzsche qui, après avoir dit le plus grand mal de certains points de la théologie catholique, s’écria : unsere gute, reine, protestantische Luft : A ! notre bon air protestant, si bon et si pure.
Au fond, nous avons affaire ici à un homme animé d’une vision et porteur d’un projet, qu’il a d’ailleurs mené à son terme. Ainsi qu’il le rappelle, il est rare qu’un homme fonde un parti et vive suffisamment longtemps pour le réformer ou le remplacer par un autre… Ce fut le privilège de M. Monod, un homme qu’on aimerait bien connaître tant son enthousiasme est contagieux et sa foi entière, même à son âge. Je m’étonne qu’on ne lui ait jamais proposé le poste de Premier ministre… Grand chef d’entreprise, il a voulu connaître tous les milieux, toutes les pensées et toujours s’ouvrir au monde. Il est vrai que les métiers de l’eau l’y ont beaucoup aidé.
En relisant ce long compte-rendu, j’écoute une musique israélienne où le leitmotiv est le suivant : Elohim ytten li ko’ah le-hamshikh : que Dieu me donne la force de poursuivre.
Que Dieu donne à M. Monod la force de poursuivre pour notre plus grand bien.