FREUD ET LA RELIGION : L’AVENIR D’UNE ILLUSION ?
Je viens d’achever la lecture d’une interview passionnante dans le Monde des livres de cette semaine, conduite par Catherine Vincent qui interroge une psychanalyste connue, Madame Marie BALMARY au sujet d’un livre remarquable Sigmund Freud, L’avenir d’une illusion (1927).
On ne peut pas, dans le cadre d’un simple papier, rentrer dans les détails ni revenir sur certaines interprétations. Il convient de résumer simplement les idées les plus intéressantes et de voir si les analyses freudiennes, vieilles de plus de quatre-vingts ans, revêtent encore quelque intérêt aujourd’hui.
La religion dans son principe vise à rassurer l’homme, à le consoler, à lui faire des promesses, surtout d’un avenir meilleur et à donner à son existence terrestre (et même dans l’au-delà) un sens. Elle aide aussi l’homme à surmonter ses instincts de destruction et de mort en lui insufflant des soucis d’équité envers son prochain et de devoir ou d’engagement envers ceux qu’il aime (famille, parents, enfants, etc)
Mais pour quelle raison Freud parle-t-il d’une illusion ? Il ne faut pas traduire ce titre comme s’il impliquait que la religion est illusoire, Freud lui-même ressent le besoin de donner une illustration prosaïque de son propos : une jeune fille pauvre rêve qu’un jour un prince beau, riche et amoureux l’épousera et l’extraira de sa misérable condition. Un vrai conte de fée qui a nourri notre première enfance. Madame Balmary ajoute opportunément que cela n’arrive presque jamais, sans exclure entièrement une telle probabilité qui reste, en dépit de tout infinitésimale…
Mais ce qui est encore plus intéressant dans l’approche freudienne, c’est l’analyse sémantique des textes religieux, cette filiation fils/père, cette consolidation d’un Dieu en figure paternelle, tutélaire et aussi autoritaire. C’est exactement ce que l’on rencontre dans la tradition liturgique juive qui met toujours l’accent sur le fait quee Dieu est comme un père : ké-rahém av al banim : comme un père qui aime (ou a pitié de) ses enfants… Toujours ce lien de filiation protectrice, cet abri (illusoire ?) sous les ailes de la divinité, là où Freud ambitionne de promouvoir la foi en un Dieu-logos, un Dieu de la raison. Au Moyen Age, un philosophe juif averroïste (ob. 1340) Joseph ibn Caspi qui vivait à Largentières avait risqué cette équivalence : Dieu est l’intellect et l’intellect est Dieu ( ki ha-El hou ha)sékéhél we-ha-sékhél hou ha-El)
Mais revenons à notre fondateur de la psychanalyse. Madame Balmary rappelle qu’à l’époque où Freud rédige ce livre on découvre son cancer (il faut dire qu’il fumait tant qu’on s’étonne que la maladie ne l’ait pas atteint bien plus tôt)… Or, Dieu est souvent présenté comme celui qui nous guérit de tous nos maux (ha-Shém élohékha hou yarpéka) : l’Eternel ton Dieu, c’est lui qui te guérira). D’ailleurs, la prière statutaire dite des dix-huit bénédictions consacre quelques lignes à une telle demande (Dieu, médecin de tous les malades d’Israël).
Assurément, la tentation est grande de dire que Freud était assez lucide pour comprendre que seule une bonne médication ou un bon chirurgien pouvait le sauver, et non point des prières ou un espoir placé en une divinité opérant miraculeusement. Et pourtant, il aurait dû savoir que cela arrive… parfois !
Le livre de Freud n’en est pas moins fort et hautement instructif ; il montre aussi que l’homme, grâce à la religion qui est la première éducatrice de l’humanité, apprend à dominer ses instincts, à favoriser la fraternité humaine et à diminuer la souffrance. Et j’ajoute que c’est la chose la plus importante. Quant à la religion, elle a encore de très beaux jours devant elle, qu’on le veuille ou non…