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L’ apport de l’islamologie européenne des XIXe -XXe siècles (Abraham Geiger, Salomon Munk,,Moritz Steinschendier, Ignaz Goldziher , Bernhard Heller et Georges Vajda)

sur L’ apport de l’islamologie européenne des XIXe -XXe siècles (Abraham Geiger, Salomon Munk,,Moritz Steinschendier, Ignaz Goldziher , Bernhard Heller et Georges Vajda)

Remarques préliminaires

Comme tout ce qui touche à l’islam, sa religion et sa culture, sont devenus des sujets de polémique ou conduire à des malentendus, il convient de définir d’emblée de quoi nous voulons parler. En France, jusqu’à une époque récente, on parlait d’orientalisme ou d’études oreintales et de langues rares. C’était un véritable fourre-tout : l’hébreu, l’arabe, le chinois, le japonais et que sais je d’autre, faisaient partie des langues dites rares.

On verra dans la suite de nos développements que la naissance et le développement de ce que l’on nommait jadis l’orientalisme véhiculait un certain nombre de préjugés et d’attitudes mentales qui n’avaient rien à voir avec d’authentiques caégories scientifiques. Au cours du XIXe siècle, l’expansionisme européen s’est appuyé sur les travaux des savants orientalistes pour faciliter les conquêtes coloniales et les jusfifier a posteriori.

Ces remarques font malheureusement partie de cetete entrée en matière, même si, par la suite, il s’est trouve des orientalistes avec une véritable éthique de savants qui ne voulaient pas d’une présence sur le terrain et encore d’une conquête et d’un occupation, mais qui favorisaient pour l’Europe un rôle d’expertise et de conseil. L’Histoire a suivi une autre voie. Quand on pense que l’on fit traduire l’introduction à l’ œuvre d’Ibn Kahldoun (131-1406) en français la Muuqadima l’Histoire des civilisations, pour trouver la meilleure gouvernance possible des Arabes colonisés d’Algérie… on se frotte les yeux. Ce qui n’entame en rien la grandeur du sage musulman qui passe pour le fondateur de l’histoire des civilisations.

Don cette appellation d’orientalisme, à manier avec précaution, est précédée de toute une histoire qui n’est pas toujours dépourvue de préjugés et d’arrière-pensées, reliées à l’expansionnisme européen et à la colonisation du monde musulman (empire ottoman et Afrique du nord, sans oublier le proche Orient) au cours du XIXe siècle et au début du XXe.

Nous y reviendrons dans la discussion de la controverse entre Edward Said et Bernard Lewis autour de l’orientalisme.

Nous allons donc envisager une série d’auteurs de premier plan qui ont travaillé sur l’islam et qui étaient des Allemands ; certains d’entre eux, même venus en France, étaient de culture allemande. Or en Allemand, on dit, certes, Orientalistik, mais aussi, depuis peu, Islamkunde pour islamologie.

Abraham Geiger, Moritz Steinschneider, Salomon Munk, Bernhard Heller, Ignaz Golziher, Alexandre Altmann, Georges Vajda.

V

CONFÉRENCE À LA MAIRIE

DU XVIE ARRONDISSEMENT DE PARIS

Le jeudi 14 janvier 2010

sur L’ apport de l’islamologie européenne des XIXe -XXe siècles (Abraham Geiger, Salomon Munk,,Moritz Steinschendier, Ignaz Goldziher , Bernhard Heller et Georges Vajda)

Remarques préliminaires

Comme tout ce qui touche à l’islam, sa religion et sa culture, sont devenus des sujets de polémique ou conduire à des malentendus, il convient de définir d’emblée de quoi nous voulons parler. En France, jusqu’à une époque récente, on parlait d’orientalisme ou d’études oreintales et de langues rares. C’était un véritable fourre-tout : l’hébreu, l’arabe, le chinois, le japonais et que sais je d’autre, faisaient partie des langues dites rares.

On verra dans la suite de nos développements que la naissance et le développement de ce que l’on nommait jadis l’orientalisme véhiculait un certain nombre de préjugés et d’attitudes mentales qui n’avaient rien à voir avec d’authentiques caégories scientifiques. Au cours du XIXe siècle, l’expansionisme européen s’est appuyé sur les travaux des savants orientalistes pour faciliter les conquêtes coloniales et les jusfifier a posteriori.

Ces remarques font malheureusement partie de cetete entrée en matière, même si, par la suite, il s’est trouve des orientalistes avec une véritable éthique de savants qui ne voulaient pas d’une présence sur le terrain et encore d’une conquête et d’un occupation, mais qui favorisaient pour l’Europe un rôle d’expertise et de conseil. L’Histoire a suivi une autre voie. Quand on pense que l’on fit traduire l’introduction à l’ œuvre d’Ibn Kahldoun (131-1406) en français la Muuqadima l’Histoire des civilisations, pour trouver la meilleure gouvernance possible des Arabes colonisés d’Algérie… on se frotte les yeux. Ce qui n’entame en rien la grandeur du sage musulman qui passe pour le fondateur de l’histoire des civilisations.

Don cette appellation d’orientalisme, à manier avec précaution, est précédée de toute une histoire qui n’est pas toujours dépourvue de préjugés et d’arrière-pensées, reliées à l’expansionnisme européen et à la colonisation du monde musulman (empire ottoman et Afrique du nord, sans oublier le proche Orient) au cours du XIXe siècle et au début du XXe.

Nous y reviendrons dans la discussion de la controverse entre Edward Said et Bernard Lewis autour de l’orientalisme.

Nous allons donc envisager une série d’auteurs de premier plan qui ont travaillé sur l’islam et qui étaient des Allemands ; certains d’entre eux, même venus en France, étaient de culture allemande. Or en Allemand, on dit, certes, Orientalistik, mais aussi, depuis peu, Islamkunde pour islamologie.

Abraham Geiger, Moritz Steinschneider, Salomon Munk, Bernhard Heller, Ignaz Golziher, Alexandre Altmann, Georges Vajda.

L’EUROPE ET L’ISLAMOLOGIE

Que l’on retienne l’orientalisme ou l’islamologie, que recouvrent ces deux vocables ? La manière dont les savants d’une Europe judéo-chrétienne ont appréhendé la réalité de l’islam depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe.. Qui étaient ces hommes qui voulurent étudier la culture musulmane et qui firent de leur mieux pour la rendre accessible à d’autres civilisations, notamment la nôtre, qui est judéo-chrétienne ?

Il s’agissait généralement d’hommes issues de puissances coloniales, imbus de la supériorité de leur propre civilisation et qui, pour comprendre ce phénomène protéiforme qu’est l’islam, recouraient à des principes d’explication et à des catégories mentales qui n’étaient pas issues de leur objet d’étude mais importées de l’extérieur. Au fond, c’est toujours cette règle qui prévaut : les savants importent dans leur domaine de recherches les outils et les instruments venus d’ailleurs. Cette étude de l’islam ne fut pas toujours désintéressée, et comme on l’a noté supra, empreinte d’arrière-pensées politiques et militaires

I. Abraham Geiger

Né à Francfort sur le Main le 24 mai 1810 dans une famille orthodoxe, le jeune Geiger perdit son père Michael Lazarus en 1823 alors qu'il avait tout juste 13 ans; ce fut son demi-frère Salomon, de 18 ans son aîné, qui se chargea de veiller sur lui et sur son éducation, sans jamais chercher à lui imposer sa propre conception du judaïsme. Salomon était un juif orthodoxe, attaché à l'observance scrupuleuse des préceptes bibliques et hostile à toute velléité réformatrice. Ayant survécu jusqu'en 1878, alors que son frère cadet disparut en 1872, Salomon ne dissimula jamais la fierté que lui inspirait un savant dont il ne partageait guère les options. C'est d'ailleurs sous sa direction que le jeune et talentueux Abraham acheva de se familiariser avec la Bible et le talmud.

A 19 ans il parvint à se faire inscrire à l'université de Heidelberg où l'enseignement des langues orientales et de la philosophie fit sur lui une impression profonde. Sur place, il fit la connaissance d'autres étudiants juifs qui, parallèlement à leurs études universitaires, songeaient à se faire rabbins: ensemble, ils étudièrent les textes traditionnels. De ce même cénacle faisait aussi partie Berthold Auerbach qui avait voulu, durant un temps, embrasser la carrière rabbinique avant de devenir poète et romancier. Mais après un bref semestre d'été Geiger partit pour Bonn où il rencontra sur les bancs de la faculté Samson-Raphaël Hirsch, le futur champion de la néo-orthodoxie, comme on l'a vu dans le précédent chapitre. Sur place, Geiger ne se limita pas aux disciplines déjà cultivées à Bonn, il y ajouta la philologie classique, l'astronomie et même… la zoologie. Mais les sciences humaines demeuraient le foyer même de ses intérêts: sa fréquentation assidue des œuvres de Lessing, de Schiller et de Gœthe renforça sa conscience historique: il fut convaincu que la découverte d'un judaïsme authentiquement historique sonnerait le glas de toutes les difficultés rencontrées par le judaïsme. C'est, du reste, ce qu'il confie à son cher ami, Joseph Naphtali Dérenbourg qui avait émigré à Paris où il obtint une chaire à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, ainsi qu'à Zunz[1] qui faisait figure de père fondateur de la Science du judaïsme.

·Dès 1833 Geiger soutint une thèse de doctorat qui obtint même un prix sur le thème Quels furent les emprunts de Mahomet au judaïsme ?. C’est lui qui nous fournit l’explication plausible de l’origine du mot MOUSLIM (musulman). Dans le livre de la Genèse, au chapitre XVII, verset 1, Dieu intime à Abraham l’ordre de marche à ses côtés et d’être intègre (en hébreu chalém). Le Targoum traduit chalém par MOUSHLAM, ce qui a donné MOUSLIM… Geiger met en valeur les emprunts du Coran au judaïsme. Hartwig Hirschfled en fit de même 1878 dans ses Jüdische Elemente im Koran.

·

En 1857 il publia son œuvre majeure, l'Urschrift.[2] La thèse fondamentale de cet écrit révolutionnaire est l'évolution; pour découvrir la véritable nature de la foi d'Israël il faut, nous dit Geiger, scruter l'évolution historique du texte biblique. La critique textuelle se voit ainsi promue au tout premier rang. Lorsque les premières traductions araméenne de la Bible virent le jour elles contenaient déjà des corrections textuelles de la version hébraïque; ainsi, la dynastie sacerdotale des Zadokites aurait remodelé le texte selon ses propres conceptions. Geiger va encore plus loin et entend démontrer que la paraphrase araméenne d'Onqelos [targum] reflète les conceptions propres à la halakha qui était en vigueur à cette époque.

L'ordre est donc inversé: ce n'est pas le texte sacré qui fonde la pratique religieuse mais cette dernière qui confectionne une source révélée conforme à ses propres idées. Si la Bible hébraïque elle-même ne représente que le reflet d'une époque donnée, l'esprit du judaïsme doit évoluer avec son temps, ce qui coupe l'herbe sous les pieds de toute espèce d'orthodoxie.

L'accueil de la critique ne fut pas unanime: Grätz rejeta avec véhémence un écrit qui minait le caractère révélé de la Bible, mais ne fut pas suivi par d'autres savants tel Steinschneider et Leopold Lœw, tandis que des savants chrétiens tels Theodor Nœlecke et Julius Wellhausen émirent des jugements plus positifs. La publication de l'Urschrift avait apporté à Geiger la consécration: peu avant la parution de son ouvrage Geiger s'était rendu à Paris en passant par Strasbourg. Dans la capitale il fit la connaissance d'Ernest Renan qu'il admirait. Dans sa revue Geiger suivit de très près les publications françaises notamment de Salomon Munk[3] et de Silvestre de Sacy. Il est vrai que dès 1831, dans une lettre à son demi-frère Salomon, Geiger avait envisagé de se rendre lui aussi à Paris, comme le firent Dérenbourg et Munk lui-même. Mais le sort en avait décidé autrement.

II. Moritz Steinschneider (1816-1907) (Voir M-R. Hayoun, La science du judaïsme, PUF, QSJ ? 1995 pp 120-122.

Parler de sa Arabische Literatur der Juden et de sa monumentale Die hebräischen Übersetzungen des Mittelalters und die Juden als Dolmetscher (1892). Sans omettre sa Hebräische Bibliographie

III. Salomon Munk, (1803-1867) pionnier des études judo-arabes et hébraïques en France. Issu d’Allemagne, devint conservateur des manuscrits hébraïques à la BN, professeur au Collège de France et Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Publie Mélanges de philosophie juive et arabes (1859)

IV. Ignaz Goldziher (1850-1921), auteur d’innombrables écrits sur l’islam. Le dogme et la loi dans l’islam (trad. Franàaise par Félix Arin) et Muhamedanische Studien (traduits en arabe) Cf. Hayoun, pp 107-111.

V Berhard Heller 1871-1943)

VI. Georges Vajda (1908-1981)

(mais on peut aussi évoquer Shlomo Pinès ainsi que toute cette lignée d’arabisants de l’Université Hébraïque de Jérusalem, depuis sa création en 1923).

Je ne remets pas en cause la bonne foi de ces anciens savants qui, du Collège de France au XVIIe siècle jusqu’à Ernest Renan ont abordé avec ds fortunes divers, l’étude de l’islam. Je dis simplement que pour étudier certains phénomènes, notamment de sociologie religieuse, il faut une certaine empathie, mais pas nécessairement une identification, avec le sujet.

Voici un exemple : prenons le mot djihad, guerre sainte, qui, à juste titre, terrorise les Occidentaux. C’est la même racine qui a donné l’izdihd qui signifie approfondir, faire preuve de grande ingéniosité exégétique pour faire jaillir le sens profond d’un texte. C’est le verbe qui est utilisé dans le Coran pour d »conseiller les joutes ou les controverses avec les adeptes des religions du Livres (la tizdahidou ma’a ahl al-kitab). Or, on n’a retenu que la racine du comportement guerrier et belliqueux qui, il est vrai, est trop souvent, hélas, justifié.

Je veux dire que l’étude de l’islam, l’islamologie, a parfois donné l’impression de plaquer sur son objet d’étude des idées qui ne s’y trouvaient. Cela n’a pas toujours été le cas, mais cela est arrivé.

Toutefois, c’est grâce aux savants européens que létude de l’islam est devenue une science. Ce sont les islamologues européens, juifs dans leur écrasante majorité, qui ont entrepris cette étude. Tous les jeunes candidats rabbins allemands qui devaient faire une thèse de doctorat, parallèlement à leurs études religieuses, l’ont écrite sur un sujet arabe ou arabo-musulman. Ce qui a fait dire à certains qu’au cours du XIXe siècle, la science du judaïsme était devenue une certaine science de l’islam. C’est en raison des œuvres écrites en judéo-arabes (notamment par Moïse Maimonide) que les élèves rabbins consacraient des études à cette langue.

En comme, nous devons dialoguer avec les savants autochtones de l’islam pour voir ce qui nous rapproche et ce qui nous sépare. Ce n’est pas toujours facile. Il suffit de se reporter au fameux débat entre Edward Saïd, américain d’origine palestinienne et le célèbre arabisant judéo-britannique Bernard Lewis pour se rendre compte de la distance qu’il nous reste à parcourir…

La conquête du Maroc est précédée et accompagnée d’une mission scientifique chargée de faire l’inventaire sociopolitique du pays. Son inspirateur, l’ancien officier Alfred Le Châtelier devient professeur au Collège de France sur une chaire financée par les administrations algériennes et marocaines, et dont l’intitulé exprime parfaitement les ambitions : « sociologie et sociographie du monde musulman ».

. La politique musulmane, devenue officielle en 1911, se veut être un orientalisme appliqué, indispensable tout aussi bien pour la gestion du domaine colonial que pour la politique à destination des pays musulmans indépendants.

Les plus grands orientalistes deviennent alors des conseillers du Prince. Massignon, qui a été l’un des responsables de la mission Picot durant la Première Guerre mondiale, succède à Le Châtelier en 1926 après avoir été son suppléant pendant plusieurs années. Il représente le ministère des Colonies à la Commission interministérielle des affaires musulmanes, chargée de conseiller directement le gouvernement sur les questions musulmanes. À un moment ou à un autre, tous les grands universitaires spécialistes du monde musulman sont appelés à siéger dans cette commission, tandis que les appareils administratifs diplomatiques et militaires fournissent les documentations requises.

Sur l’orientalisme et son implantation en France :

L’orientalisme naît, dans son forme institutionalisée, au cours du XVIIe siècle avec les activités du Collège Rotyal, le futur Collège de France où l’on enseignait le persan, le turc et l’arabe entre autres, la Bibliothèque Orientale qui fera plus tard d’adroites acquisitions de manuscrits et de livres rares.

La connaissance de cet Orient si convoité se dotera aussi d’une filière de traducteurs, des drogmans en 1699, afin de mieux connaître la langue, les us et coutumes des populations autochtones. De quoi se nourrissaient ces apprents savants ? De textes et de récits de voyages de missionnaires ou décrits de chrétiens d’Orient. Et en 1697, on note la publication de la Bibliothèque Orientale de Barthélémy d’Herbelot, qui servira de véritable encyclopédie de l’islam durant deux bons siècles.

Mais il ne faut pas omettre de signaler l’influence de l’orient sur la littérature européenne, notamment les Fables de Jean de La Fontaine. Tout ceci, surtout après la traduction des Mille et une nuits stimule l’imaginaire oriental de l’Europe.

A l’époque des Lumières, connue pour sa volonté d’occulter les racines religieuses de l’Europe, et ses velléités de laïcisation, on a tenté de ne parler que des Grecs et de Romains, auxquels on dut ajouter l’Egypte ancienne. Mais le plus important est que l’on commence à théoriser les différences entre l’Europe et l’Orient (à partir de Condorcet, c’est le terme occident qui commencera de s’imposer) et la théorie des climats de Montesquieu va apporter un concours inespéré à cela Aux Grecs, aux Romains et aux Egyptiens, on accola les Arabes…

C’est l’empire ottoman qui focalise sur lui cette opposition au prodit des nations chrétiennes de l’Europe : on explique les retards du monde arabo-musulman par le despotisme, lui-même généré par des condition de vie et de climat, jugées escessives. Le problème qui se profile mais dont on ne tien pas compte est que ce savoir sur l’autre, le non chrétien, le non européen, n’est puis à des sources directes mais simplement dans des livres : c’est donc un savoir livresque que militaires et diplomates adaptent à leurs besoins qui sont nécessairement pragmatiques.

Deux autres faits importants vont parachever les fondements idéologiques de la philosophie de la colonisation : la création en 1823 du Journal Asiatique et la découverte de la parenté des langues indo-européennes. Cette parenté linguistique venait renforcer l’idée d’une continuité de peuplement, c’est-à-dire d’une proximité avec des populations dont il fallait stopper le déclin, rattraper le retard en apportant la modernisation et la civilisation… deux noms qui seront synonymes de destruction des structures sociales et familiales traditionnelles.

Certains savants se tiennent à l’écart des menées coloniales des politiques et des diplomates, comme Silvestre de Sacy qui publie son importante Chrestomathie arabe. Mais on voit l’orientalisme prendre d’autres directions : il devient artistique, littéraire et ne reste pas que savant.

Même si je ne partage pas la thèse de ceux qui voient en Renan le suppôt de la colonisation et le théoricien de l’opposition entre les sémites et les aryens, avec selon certaines citations un avantage donné à ces derniers, l’auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse (1882) a donné un système des langues sémitiques qui pouvait dans ce sens. Il a souvent écrit des choses désagréables sur l’islam, a eu des controverses avec un cheikh afghan de passage à Paris. N’a-t-il pas écrit sans sourire qu’un musulman qui sait le français, donc qui est de culture française, est vacciné contre fanatisme ?

L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident. Ouvrage de Edward W SAID

Citations.

L’Orientalisme constitue son œuvre majeure. « La vie d’un Palestinien arabe en Occident, en particulier en Amérique, est décourageante. Le filet de racisme, de stéréotypes culturels, d’impérialisme politique, d’idéologie déshumanisante qui entoure l’Arabe ou le musulman est réellement très solide. » C’est cette expérience qui a poussé en 1978 Edward Said, professeur de littérature comparée à la Columbia University de New York, à écrire « L’Orientalisme, l’Orient créé par l’Occident »,

.

: L’Orientalisme fonde la suprématie de l’Occident à partir de son « savoir » textuel sur l’Orient.

Le terme « orient » employé aussi bien par Shakespeare, Byron, Mandeville désigne l’Asie ou l’Est, géographiquement, moralement, culturellement. Il prend corps lors du Concile de Vienne en 1312 lorsque est créé une série de chaires de langues « arabe, grecque, hébraïque, et syriaque à Paris, Oxford, Bologne, Avignon et Salamanque ».

Le rapport même entre orientalistes et Orient était textuel,

« L’Orient n’est pas seulement le voisin immédiat de l’Europe, il est aussi la région où l’Europe a créé les plus vastes, les plus riches et les plus anciennes de ses colonies, la source de ses civilisations et de ses langues, il est son rival culturel et lui fournit l’une des images de l’Autre qui s’impriment le plus profondément en elle. De plus, l’Orient a permis de définir l’Europe (ou l’Occident) par contraste: son idée, son image, sa personnalité, son expérience. La culture européenne s’est renforcée et a précisé son identité en se démarquant d’un Orient qu’elle prenait comme une forme d’elle-même inférieure et refoulée. »

·Instrumentalisation de la science

Pour Saïd, « l’orientalisme a plus de valeur en tant que signe de la puissance européenne et atlantique sur l’Orient qu’en tant que discours véridique sur celui-ci. »

Il est un « discours », une manière d’agir sur l’Orient, et même de le créer : « Le savoir sur l’Orient, parce qu’il est né de la force, crée en un sens l’Orient, l’Oriental et son monde. »

Ce qu’Edward Said étudie, c’est « un noeud de savoir et de pouvoir qui crée « l’Oriental » et en un sens l’oblitère comme être humain ».

2ème thématique : l’enjeu de notre civilisation ; appréhender l’autre, la réalité humaine.

·Opposition Oient / Occident force à penser ans des catégories antinomiques.

« Quand on utilise des catégories telles qu’« Oriental » et « Occidental » à la fois comme point de départ et comme point d’arrivée pour des analyses, des recherches, pour la politique, cela a d’ordinaire pour conséquence de polariser la distinction : l’Oriental devient plus oriental, l’Occidental plus occidental, et de limiter les contacts humains entre les différentes cultures, les différentes traditions, les différentes sociétés. » (P.61).

« l’opposition binaire », véritables « menottes forgées par l’esprit ». Or Samuel Huntington - que Said critique avec virulence - dans son livre sur « Le choc des civilisations »,

« L’idée qu’il existe des espaces géographiques avec des habitants autochtones foncièrement différents qu’on peut définir à partir de quelque religion, de quelque culture ou de quelque essence raciale qui leur soit propre est extrêmement discutable. » Le découpage géographique lui-même ne peut être qu’arbitraire. Où placer les frontières? « Des gens qui habitent quelques arpents vont tracer une frontière entre leur terre et ses alentours immédiats et le territoire qui est au-delà, qu’ils appellent « le pays des barbares ». Dans une certaine mesure, les sociétés modernes et les sociétés primitives semblent ainsi obtenir négativement un sens de leur identité. »

Il appelle cela la « dramatisation de la distance ».

·L’identité se cionstruit au fil des âges. C’est une vue de l’esprit, comment on se voit soi-même.

« Chaque époque et chaque société recrée ses propres Autres », « La construction d’une identité est liée à l’exercice du pouvoir dans chaque société, et n’a rien d’un débat purement académique. »

« Je pense que l’identité est le fruit d’une volonté »,

disait-il en janvier 1997 au Nouvel Observateur. « Qu’est-ce qui nous empêche,dans cette identité volontaire, de rassembler plusieurs identités ? Moi, je le fais. Être Arabe, Libanais, Palestinien, Juif, c’est possible. Quand j’étais jeune, c’était mon monde. On voyageait sans frontières entre l’Egypte, la Palestine, le Liban. Il y avait avec moi à l’école des Italiens, des juifs espagnols ou égyptiens, des Arméniens. C’était naturel. Je suis de toutes mes forces opposé à cette idée de séparation, d’homogénéité nationale. Pourquoi ne pas ouvrir nos esprits aux autres ? Voilà un vrai projet."

Qu’en penser ?

Qui était Said et que voulait-il ? Né au Moyen Orient dans une famille palestinienne chrétienne, envoyé par ses parents aux USA pour y étudier, il devient professeur à Columbia University de littérature anglaise et comparée. Bien que sa vision des choses sont éminemment subjective, il écrit des choses intéressantes, quoique les critiques acérées de Bernard Lewis, éminent arabisant et maître de Samuel Huntington, soient fondées.

Said n’était pas un islamologue ni un savant philologue, ce fut un littéraire, moins bien armé que Lewis qui a étudié tout sa vie la civilisation arabe et ottomane. Said a eu raison de s’interroger sur la validité des découpages arbitraires en blocs antagonistes ? Où commence l’Orient et où finit-il ? Il a raison de souligner que l’identité est à la fois le résultats d’une construction intellectuelle mais aussi d’une volonté. Il a donc raison de dénoncer cette représentation fantasmée de l’Orient. Mais il a tort sur tout le reste et sa documentation est très incomplète. Il ne parle jamais des auteurs dont je viens de traiter.

Chque soécité recrée son histoire, son modèle et l’autre qui n’est pas elle. Un peu son antithèse. On peut procéder à des classifications et à des structures ethniques et géopolitiques pour légitimer un fait de violence. L’orientalisme du XIX a peut être un savoir instrumentalié à des fins colonialistes et pour dominer l’autre. Mais tout de même la colonisation n’a pas eu que de mauvais côtés.

Mais son livre, traduit en 36 langues est le bréviaire des études orientalistes postcoloniales.

Controverse :

Bernard LEWIS versusc Edward Said

Dans un article intitulé « La question de l’orientalisme »paru le 24 juin 1982 dans une célèbre revue US, The New York Review of Books, Bernard Lewis répond aux attaques dont sont l’objet les orientalistes, et particulièrement à celles que leur adresse Saïd Edward. Bernard Lewis estime que la démonstration d’Edward Said n’est pas un homme de l’art, ne connaît pas l’islamologie :

  • De créer artificiellement un groupe, les orientalistes,
  • D’ignorer les travaux des orientalistes du monde germanique, dont j’ai traité et d’ignorer ce que fit un grand islamologue comme le français Claude Cahen
  • De négliger « contributions majeures à la science ».
  • D’d’accorder tromp d’importance à des gens qui ne sont pas de vrais orientalistes, comme Gérard de Nerval ou Victor Hugo
  • De commettre une série d’entorses à la vérité et d’erreurs factuelles, notamment quand Edward Said accuse Silvestre de Sacy d’avoir volé des documents et commis des traductions malhonnêtes.
  • De faire des interprétations absurdes de certains passages écrits par des orientalistes, notamment par Bernard Lewis lui-même.

Conclusion ;

Il n’est pas dans nos intentions ni dans nos moyens de les départager. Mais Bernard Lewis a raison en tant qu’arabisant et islamologue.

Said agit en tant que spécialiste de littérature, ce qui est autre chose. Et sa critique de l’ancien orientalisme porte.

Je préfère l’originalité de mon ami Mohammed Arkoun qui opte, sans polémique pour l’islamologie appliquée..

Il faut aussi souhaiter l’avènement d’une ère où les Arabo-musulmans jugeront objectivement des cultures des autres comme les autres se sont intéressés à eux.

Quand on étudie les gens, il faut les aimer un minimu, à condition qu’ils en soient dignes. Faisons en sorte que ce soit le cas.



[1] A l'occasion du soixante-dizième anniversaire de Zunz, le 10 août 1864, Geiger lui adressa un long hommage qui prit, dès les premières lignes, une tonalité résolument autobiographique. Voir l'ouvrage anglais signalé en note 1, pp 138-146.

[2] Urschrift und Überseztungen der Bibel in ihrer Abhängigkeit von der inneren Entwicklung des Judentums [Texte originel et traductions de la Bible en relation avec l'évolution interne du judaïsme] Réédition en 1928 chez Madda à Francfort sur le Main. Y.L. Baruch en a donné une version hébraïque sous la direction de J. Klausner , Jérusalem, 1969. Voir aussi Max Wiener, Abraham Geiger and the Science of judaism, Judaism 2, 1, 1953, pp 41-48.

[3] Il recensa les Mélanges de philosophie juive et arabe (1857) in ZDMG [Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft] XIV, pp 738-740 et le premier volume du Guide des égarés de Maïmonide (1856), ibdiem, pp 722-738. Geiger publia aussi des remarques sur la leçon inaugurale de Munk [Antrittsrede] in Jüdische Zeitschrift… III, pp 184-189 et enfin une évocation en 1867, ibidem, pp 1-16.

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