LE JOURNAL LE MONDE ET LA «DECHEANCE POLITIQUE…»
Dans un tout un récent éditorial publié en première page et non signé, donc reflétant la tonalité générale de l’ensemble de la rédaction, Le Monde parle de «déchéance politique» pour qualifier la politique actuelle du gouvernement français. Ce jugement est excessif et donc infondé.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, on voudrait rappeler que ce grand journal, jadis bien mieux inspiré parce que plus équilibré et moins marqué idéologiquement, pouvait s’ enorgueillir d’exercer une sorte de magistère morale, une sorte de ministère de la parole. Mais voilà un peu plus de treize ans, il a assumé un virage qui l’a mené vers un trotskisme qui ne voulait pas dire son nom, l’incitant à passer d’un contre-pouvoir, authentique vocation de tout organe de presse, à un pouvoir. Cette erreur d’appréciation fut fatale à ce journal qui dut alors faire face à des problèmes économiques ayant nécessité une cascade de plans sociaux et de départs de journalistes. Sans même parler de la chute des recettes publicitaires.
Jadis, même les premiers ministres de droite et les présidents de la République envoyaient un motard de la police nationale chercher un exemplaire du Monde dès 14 heures. Les éditoriaux de gens comme Hubert Beuve-Méry (auquel le général de Gaulle avait dit lors d’une réception : Vous êtes l’esprit qui toujours nie : phrase du Faust de Goethe : ich bin der Geist, der stets verneint), André Fontaine, Jacques Fauvet et André Passeron forçaient le respect et retenaient toujours l’attention, tant leurs auteurs avaient trempé et retrempé sept fois leur plume dans l’encrier avant de remettre leur texte… Aujourd’hui, les temps ont changé. Voyez combien de fois ce journal a changé de formule, sans jamais trouver, hélas, le bon créneau.
Mais revenons à cet éditorial intitulé, Déchéance politique : il met bout à bout, sans rappeler les différents contextes, une série de déclarations du président de la République, du premier Ministre et de la commission parlementaire ad hoc pour dénoncer ce qu’il présente comme un acharnement sur un sujet, l’interdiction du niqab, de la burka ou de tout autre voile intégral,… Dans ce florilège, le journal n’a garde d’omettre l’appréciation du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. Mais qu’a dit le Conseil ? Il a simplement répondu à la demande du premier Ministre. Et que demandait le premier Ministre ? Une formule qui fût inattaquable. Le Conseil a répondu qu’il n’en existait pas… Il n’a jamais dit qu’il ne fallait pas légiférer…
Ce qui ne veut pas dire que cette loi contre la burka serait essentiellement anti-constitutionnelle mais simplement qu’on pourrait l’attaquer au regard du droit. Ce qui, en toute logique, ne devrait pas empêcher le parlement de légiférer dans le sens qui lui paraît juste et dans l’intérêt du pays.
Mais cet éditorial ne s’arrête pas là : il parle de piège, un piège qu’un individu aurait tendu à la socio-culture française dans son ensemble et dans lequel le ministre de l’intérieur aurait sauté à pieds joints… Et l’éditorial de conclure sur la «déchéance ministérielle» du locataire de la Place Beauvau…
Selon ce journal, cette loi n’a pas de raison d’être, elle serait inapplicable et pourrait même susciter d’incontrôlables troubles à l’ordre public (stigmatisation d’un groupe ethnico- religieux, renforcement de l’extrême droite, etc…)
En fait, de tels arguments ne résistent pas vraiment à l’examen et encore moins à l’examen. Nous respectons, certes, toutes les opinions, mais il semble que l’enjeu se situe ailleurs : ce journal, qui a parfaitement le droit de dire ce qu’il veut, tente désespérément de se faire une place dans un créneau, âprement disputé par un autre quotidien qui, chaque matin que D-ieu fait, sort une nouvelle affaire ou une nouvelle révélation. D’où cette nouvelle rubrique fourre-tout, intitulée contre-enquête ! Tout un programme…
Cette façon de faire est épuisante et n’est pas vraiment du journalisme. Le gouvernement gouverne et les commentateurs commentent. L’un des meilleurs journalistes du Monde Pierre-Vianson-Ponté dont j’adorais les éditoriaux avaient un jour écrit cette belle phrase frappée au coin du bon sens : scruter le pouvoir ne prépare pas nécessairement à l’exercer…
Et j’espère que toutes ces citations montreront combien j’ai apprécié ce journal, lu avidement ses articles et combien j’en ai jadis fait mon profit.
Le Monde pourrait regagner son lectorat traditionnel s’il se souvenait de la belle phrase de Fr. Nietzsche, werde wer Du bist : deviens qui tu es…