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Elisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive. Paris, Albin Michel, 2009.

Elisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive. Paris, Albin Michel, 2009.

Tout en sachant que la psychanalyse est la grande spécialité de l’auteur, je m’attendais à trouver dans cet ouvrage tout autre chose que ce que j’y ai effectivement lu. Ce malaise m’a poursuivi tout au long de ma lecture. Ce qui ne signifie nullement que l’ouvrage soit dépourvu de toute qualité. Il impressionnera sûrement les lecteurs avides d’actualités journalistiques et de controverses des salons parisiens

C’est tout simplement le titre qui promet plus qu’il ne tien : on prend connaissance, en réalité, des relations de la psychanalyse freudienne avec le judaïsme, ou plutôt un judaïsme tel qu’on le vivait ou qu’on se le représentait jadis. Il y aussi un convive non prévu mais absolument inévitable dans ce petit festin psychanalytique, l’antisémitisme.

Et ce sujet semble avoir conduit l’auteur à des déclarations des plus générales, parfois approximatives, voire même incorrectes. Il est injuste de parler de «la constitution de l’antisémitisme politique européen de Drumont à Ernest Renan» (p 15). Page 57, l’auteur porte un jugement injuste sur l’Histoire générale des langues sémitiques , concluant son propos ainsi : telle est la manière de Renan : une passion froide… Oui encore p 58 où elle écrit que le succès de Drumont est incompréhensible sans l’œuvre de Renan. Si seulement elle avait lu la correspondance entre Renan et de Joseph comte de Gobineau, elle aurait aussitôt découvert que l’auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse s’est constamment tenu éloigné de cet écrivain qui tenta d’utiliser son amitié avec Cornélie Scheffer pour approcher son célèbre mari.

On lit aussi des appréciations incertaines sur le statut des Juifs depuis l’Antiquité ; on dispose depuis quelque temps de deux excellents ouvrages de Peter Schäfer, La judéophobie : attitudes à l’égard des juifs dans le monde antique dans le monde antique (Cerf, 2003) et surtout du livre de Martin Goodman, Rome et Jérusalem, le choc des civilisations (Perrin).

Le contraste établi (p 21) entre le judaïsme et le christianisme laisse un peu perplexe. Il en est de même de la différence supposée entre (page 22 et repris page 48) la judéité et la judaïté. Par contre, l’auteur met le doigt sur une spécificité juive : au regard de la loi rabbinique, on continue d’être considéré comme juif même si l’on s’est officiellement détaché du judaïsme. Evidemment, cela nous ramène vers les déclarations à la fois ambiguës et contradictoires de Freud qui est considéré ici comme une référence quasi absolue : ce grand homme n’aurait jamais débité la moindre bêtise ou parole insensé que quelque sujet que ce soit ? En l’occurrence sur le judaïsme qui se confond ici, de manière incompréhensible à mes yeux, avec la question juive (Judenfrage)…

Mais revenons à l’adage rabbinique si admirablement analysé dans un article écrasant d’érudition du regretté Jacob Katz, af al pi shé hata israël hou (même s’il a commis un péché [le plus grave : celui de l’apostasie] il est Israël (juif)… Cette disposition fut dictée aux rabbins par les conditions socio-politiques des juifs qui pouvaient parfois effectuer un retour sincère au judaïsme après l’avoir momentanément quitté, de gré ou de force. Mais il y a aussi le cas des marranes.

En revanche, on est nettement mieux partagé lorsque l’auteur s’interroge (p. 93) sur l’essence d’une nation juive : qu’est-ce qu’une nation une nation sans frontières ? Qu’est ce qu’un peuple sans territoire ? Comme parler d’une nation juive alors que ses composantes sont des citoyens de tant d’autres nationalités ?

Aux côtés de la psychanalyse et de l’antisémitisme, on voit apparaître sans surprise le sionisme. Freud est évidemment embarrassé par des tentatives d’approche d’hommes qu’il considère, pour la plupart, comme des amis ( des gens de sa race, comme on disait à l’péoque) tout en restant éloigné de leur idéaux de renaissance nationale.

P 128 , on lit cette phrase étrange : autour d‘un bout de mur idolâtré (sic) mettant aux prises des Arabes antisémites à des juifs racistes. On peut penser à Renan qui stigmatisait le «fétichisme de la Tora»,ce qui ne suffit pour le taxer d’antisémitisme ! Mais que l’on nous comprenne bien : hormis le Temple de Jérusalem, rien d’autre, pas même la Tora n’a pu cristalliser l’idée de nation ou d’appartenance aux yeux des Juifs ou des Judéens pendant près d’un millénaire… Que cette tentative d’identification fût ou non fondée, elle a existé dans la conscience juive, a modelé leur histoire et a pénétré profondément dans leur liturgie quotidienne, même après la disparition du culte sacrificiel : Les juifs sont, à ce jour, restés orphelins de leur temple. Même un homme comme Maimonide, adversaire déclaré du culte sacrificiel (culte, disait-il, considéré comme une concession faite à la débilité d’un peuple constitué d’anciens esclaves…) a dû en convenir et s’en accommoder puisque passant sous silence les sacrifices dans son œuvre philosophique (Le Guide des égarés) il est bien oblige d’en condenser les lois dans sa somme théologie (Le Mishné Tora)…

Même si vers la fin de son existence, Freud ne disait plus nous Allemands, mais bien nous Juifs, l’homme avait un petit problème avec le judaïsme en particulier et les religions en général. On peut s’en référer, sur ce sujet, au livre déjà ancien de Théo Pfrimmer, Freud, lecteur de la Bible. (PUF, 1982)

Nous lisons (p 129) que Freud considérait l’œuvre de Théodore Lessing (La haine de soi, le refus d’être juif) comme une «abjection…» On peut le comprendre, c’est son droit, mais avait-il raison pour autant ? Par certaines de ses réflexions, non pas celles du soir de sa vie, mais au tout début du mouvement psychanalytique, Freud aurait eu sa place dans la galerie de portraits étudiés par Lessing…

J’ai été, en revanche, très intrigué par la comparaison reprise par Freud entre son exil et la menace de la destruction de son école, d’une part, et l’initiative de Yohanan ben Zakkaï, le fondeur du judaïsme rabbinique, d’autre part. venu demander aux Romains l’autorisation d’ouvrir une maison d’étude, signifiant par là la fin de la présence d’un Etat juif ou d’une influence juive dans l’Histoire événementielle. Le judaïsme cessait d’être une communauté nationale avec une puissance politique et une armée pour n’être plus qu’une communauté religieuse, parmi tant d’autres. Mais ne confondons pas, Yohanan ben Zakkaî fut contemporain de la chute du second Temple et non de celle du premier… Cela montre, selon moi, qu’il faut parler d’une sensibilité juive chez Freud, les Allemands disent qu’il avait tété le judaïsme avec le lait maternel (er hat das Judentum mit der Milch der Mutter gsogen.)

Enfin… J’ai tenté de lire ce livre jusqu’au bout et plus j’avançais, plus mon étonnement allait croissant. Je suis tout de même tombé sur quelques pages autobiographiques, frappées du sceau de la sincérité et dépourvues de toute autocélébration : ce sont les pages 217-225, et notamment la déclaration page 222.

Sinon, on apprend tant de détails sur les avatars de la psychanalyse en Israël, sur l’opinion que s’en faisaient les leaders sionistes, l’université hébraïque etc… La rencontre entre Léo Baeck et Carl Gustav Jung m’a particulièrement intéressé…

Franchement, je ne savais que les psychanalystes avaient leur propre interprétation des concepts. Disons que ce livre m’y a rendu attentif.

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