La disparition du poète et écrivian Cyrille Fleischmann
Mon ami Cyrille Fleischmann nous a quittés le 15 juillet de cette année. Je l’ai bien connu et n’ai découvert l’annonce de sa disparition qu’en parcourant le carnet mondain du journal Le Monde. Cette nouvelle m’a empli de tristesse car je ne m’y attendais point. Je savais Cyrille malade depuis une décennie, victime d’une longue maladie, mais nous échangions des mèls, nous nous voyions à la Grande synagogue Victoire lors des grandes fêtes juives. Il paraissait remis. Il ponctuait toutes se phrases et ses mèls par un vibrant Vive la vie, cette vie qui l’a quitté il a quelques jours à peine.
Né à Paris en 1941 Cyrille était devenu avocat. Il ne se mit à écrire qu’assez tard et publia son premier recueil chez Gallimard, vers 1986, je crois. C’était un homme apparemment réservé mais en réalité très chaleureux et animé d’une vie intérieure intense. Il m’a souvent parlé de ses parents, de sa naissance et de son père, fondateur de l’oratoire Fleischmann dans le Maris où je me suis souvent rendu sans connaître cette filiation.
Cyrille se considérait comme le descendant ultime d’un monde disparu à tout jamais : toutes les nouvelles qu’il a publiées mettaient en scène des locuteurs du yddish, des êtres déracinés, réinstallés en France où ils parlaient un français savoureux avec un délicieux accent que Cyrille se plaisait à immortaliser, lui, le grand avocat au barreau de Paris où il a longtemps représenté de grandes compagnies, comme Air India, par exemple.
Il donnait à ses personnages des noms parlants, un peu comme le fit Thomas Mann dans son inoubliable Doktor Faustus…
Quand je lui parlais élogieusement des nouvelles qu’il écrivait et de l’ambiance envoûtante qui s’en dégageait, Cyrille se sentait obligé de repousser poliment mes compliments, tout en les sachant sincères. Lecteur exigeant et très attentif, il ne manquait pas de me poser des questions sur certains livres que j’avais écrits. Tant de fois, j’ai vainement essayé de le convier à des conférences, à des lectures de ses propres nouvelles ou à des dîners, il refusait catégoriquement. Il estimait qu’il avait précédemment mené une vie mondaine abondante et ne voulait plus sacrifier à ce rite qui lui paraissait vain.
Je vous engage vraiment à lire ces recueils ou ses nouvelles régulièrement publiées dans L’Arche.
Observateur attentif du monde qui l’entourait, ne perdant jamais le moindre détail de ce monde d’adultes, rêveurs éveillés qui vivaient dans ce monde condamné, Le monde d’hier de Stefan Zweig, Cyrille voulait témoigner, rendre vie à des êtres qui ont dû lui sembler bien étranges mais dont il partageait le destin. Saura-t-on jamais ce que signifie vivre et s’exprimer dans une langue qu’on a adoptée mais qui se substitue à une autre, celle que l’on a tété avec le lait maternelle (Mame Loushen…). En fait, en donnant à ses personnages des noms à coucher dehors, Cyrille attirait l’attention de ses lecteurs (et ils sont nombreux) sur les difficultés de l’insertion, de l’adaptation et de l’harmonie au sein d’un monde nouveau. Bien que né à Paris, il se sentait battre en lui le cœur d’un transplanté, celui des juifs d’Europe de l’est et du Shtetel. D’ailleurs, la plupart de ses récits se déroulent dans le Marais, au métro Saint-Paul, rue des Ecouffes, rue des rosiers ou du roi de Sicile, ancien quartier juif de Paris.
Je souhaite rendre hommage à sa mémoire, à sa amitié qui ne s’est jamais démentie, même dans les moments difficiles.
Près de dix ans de lutte contre la maladie. Je le croyais guéri et le voilà passé à l’éternité.
Cher Cyrille, nous ne t’oublierons pas. Ton œuvre te survivra. Ta droiture et ton affection, aussi.