HOMMAGE A LA MEMOIRE DE MON DEFUNT AMI PIERRE-ANTOINE BERNHEIM
Pierre-Antoine nous a quittés et ses obsèques auront lieu demain au cimetière de Passy. Ce fut un choc pour moi de voir qu’un homme si jeune, si talentueux et que j’aimais bien venait de disparaître. C’est en feuilletant un numéro du journal Le Monde que j’ai appris cette terrible nouvelle. Au début je n’en croyais pas mes yeux. Durant quelques secondes, j’ai cru que c’était son père Monsieur Antoine BERNHEIM, le célèbre associé-gérant de la banque Lazare, le PDG de la prestigieuse compagnie d’assurances de Trieste, Generali qui était décédé. Mais lorsque je lus le nom de sa fille Cynthia, je compris qu’il s’agissait bien de mon ami Pierre-Antoine…
Pierre-Antoine (que sa chère mère appelait affectueusement Pierrot) était un être étonnant mais très attachant. Je revois le dimanche après midi où il rendit visite pour la première fois à Boulogne. Il était alors basé à Londres et exerçait les fonctions (ennuyeuses pour lui) de vice-président de la banque Lazare à Londres. Il venait me voir pour me dire qu’il avait décidé de ce lancer dans des recherches néo-testamentaires car il avait lu certains de mes livres dont des amis communs lui avaient recommandé la lecture. Notre amitié durable naquit dès cet instant. Il ne se passait pas de semaine sans qu’il ne m’appelât longuement depuis Londres pour m’entretenir de ses recherches sur les contestations judéo-chrétiennes qui le passionnaient. Et lorsqu’il décida de renoncer à ses fonctions à la banque pour se consacrer entièrement à ses recherches il m’en réserva la primeur. Pierre-Antoine mit aussi en pratique l’une de mes idées, la fondation d’une maison d’édition qui vit le jour. J’en fus même l’un des premiers auteurs avec Francis Kaplan, Noesis, où parut la première de mon livre sur Le Zohar avant de paraître en livre de poche. Cette maison s’appelle désormais éditions Agnès Viénot…
Après des essais littéraires un peu éclectiques (Cannibales ! Paradis, Paradis), Pierre-Antoine nous offrit un magnifique livre sur Jacques le frère de Jésus, un ouvrage que même notre maître, le regretté André Caquot du Collège de France (que j’avais présenté à PAB) avait jugé remarquable…
Je me souviens d’un échange amusant entre PAB et sa chère mère, une dame issue d’une grande famille juive d’Alsace. PAB demande à sa mère si son père le célèbre banquier a lu son dernier ouvrage, et elle répondit ceci verbatim : mon pauvre Pierrot, depuis la fin de la guerre, ton père ne lit plus que des bilans financiers… Eclats de rire autour de la table du restaurant où nous nous trouvions. Je me souviens aussi de ses jeunes neveux, les fils de l’actuelle Princesse Orsini avec lesquels nous avions dîné il y a si longtemps un dimanche soir dans un restaurant italien.
Enfin, ce qui nous unissait était nos attitudes respectives face à notre judaïsme ancestral commun. En dépit de son nom à consonance judéo-alsacienne et du mien plus que séfarade, je parle et écris l’allemand couramment, ce que ne faisait pas PAB qui rencontrait pourtant dans les bibliographies tant d’ouvrages rédigés dans la langue de Goethe…
Il m’interrogeait souvent sur ma pratique juive car lorsque nous dînions ensemble, je prenais toujours des poissons avec écailles et nageoires pour être en conformité avec les prescriptions du livre du Lévitique… Il écoutait et observait avec attention. Son adhésion à la religion de ses ancêtres était tout autre. Nous ne pensions pas la même chose quant à l’héritage d’Israël et c’est pour cela que les premiers siècles du christianisme le passionnaient. Je me souviens à présent du soir où il m’invita à dîner au Hilton de Strasbourg en présence du regretté Etienne Trocmé (le neveu du célèbre pasteur) que je lui avais présenté et qui écrivit un bel ouvrage, L’enfance du christianisme, pour Noêsis… Je me souviens aussi lui avoir présenté le professeur Francis Kaplan qui rédigea aussi un remarquable ouvrage sur Marx… Et si j’ai écrit un Abraham, un patriarche dans l’Histoire (Ellipses, 2009) c’est après subi son influence bénéfique. Je pense même dédier à sa mémoire un nouveau que je publierai D- voulant, au printemps sur un autre héros biblique : sans l’influence vivifiante de mon ami Pierre-Antoine, je n’aurais jamais fait cette œuvre sur la Bible hébraïque…
Il souffrait de ne pas savoir l’hébreu et me demanda un jour de lire pour lui l’Epître de Jacques en français et de lui dire si, selon moi, ce texte avait été originellement écrit dans la langue sacrée. Ma réponse fut positive.
Je pourrais écrire pendant des heures, égrener tous mes souvenirs et évoquer avec émotion la mémoire d’un ami si prématurément disparu avant d’avoir pu donner toute sa mesure. Un garçon aux manières raffinées, une intelligence rare, une soit d’apprendre et de travailler alors qu’il était si bien né, une cuiller d’argent dans la bouche. On peut le dire, les fées s’étaient penchées sur son berceau… Et aussi comme le note l’Institut français de Londres, un mécène généreux et discret.
Demain auront lieu ses obsèques mais l’heure n’est pas indiquée dans l’annonce du Monde et j’ai perdu le numéro de téléphone de ses parents. De plus, j’ai un déjeuner avec un important diplomate européen à Paris… Mais ce cimetière est proche du Trocadéro, j’irai (D- voulant) me recueillir sur la tombe de mon ami.
A son épouse, à sa chère fille Cynthia, à ses parents M. et Me Bernheim, à sa sœur le Princesse Orsini, ainsi qu’à ses deux neveux les jeunes Meyer je dis toute ma sympathie.
Va en paix cher Pierre-Antoine ! Ytgadal we-ytqadash Sjeméh Rabba… Yehi shimkha barouch.
Que l’Eternel préserve ton Âme parmi les vivants au Ciel (tiyhé nishmatekha tseroura bi-tseror ha-hayyim). Amen