De la démocratie turque ou au néo-impérialisme ottoman ?
Ce n’est pas la première que l’on parle de l’évolution de la Turquie moderne, à la grande fureur de certains qui feraient mieux, comme disait Spinoza, de tenter de comprendre au lieu de s’indigner, de manière presque automatique. Aujourd’hui, la Turquie de M. Erdogan, non contente de frapper désespérément à l’huis d’une Europe rétive, veut dominer la région du Proche orient arabe, s’allie avec la Syrie pour ensuite s’en séparer, pactise avec l’Iran pour ensuite permettre aux USA l’installation partielle d’une batterie de missiles anti-missiles… Bref, une démarche que Walter Rathenau, éphémère ministre de la République de Weimar, avait , en parlant de son propre pays, qualifié de politique en zigzag. Mais qui serait le Rathenau de la Turquie contemporaine?
Serait-ce l’actuel Premier Ministre qui cherche par tous les moyens à se frayer une voie vers l’hégémonie régionale, surfant avec une terrible maladresse sur les différentes oppositions locales pour se retrouver à la tête d’une partie du monde qui n’a pas gardé de très bons souvenirs de la domination ottomane ? On pourrait oublier tous ces atermoiements et fermer les yeux sur tous ces revers diplomatiques, mais depuis quelques jours la Turquie a franchi un pas qui pourrait lui coûter cher : le régime actuel turc menace la France de représailles et de rétorsions si l’Assemblée Nationale poussait plus avant l’examen d’un projet de loi qui place la négation du génocide arménien au même niveau que la négation de la Shoah. Et ce n’est que justice ! Un génocide en vaut un autre et sa négation doit, à ce titre, être prohibée par la loi.
Lors de son visite officielle en Arménie, le chef de l’Etat a appelé la Turquie à reconnaître les erreurs du passé et à adopter une attitude responsable vis-à-vis de sa propre histoire. Plus d’un million et demi d’Arméniens furent massacrés entre 1915 et 1917 parce qu’ils étaient ceux qu’ils étaient… Mais les gouvernements turcs successifs n’ont jamais consenti à faire un pas dans la bonne direction. Officiellement, on reconnaît la disparition d’un demi million de morts, «victimes collatérales des aléas du premier conflit mondial.»
Le parlement français et le ministre Alain Juppé ont refusé de plier et que font les Turcs ? Au lieu de comprendre et de voir dans cette approche une démarche historique légitime, de nature à rendre justice à un peuple martyr, ils remplacent les arguments par des invectives, voire même par des menaces. Les autorités turques actuelles qui s’emportent un peu trop vite ces derniers temps, devraient y regarder à deux fois avant de s’emballer. N’est pas Soliman le magnifique qui veut. La France dispose, elle aussi, de maint levier pour contrecarrer les représailles et les boycotts de toute nature.
D’habitude, le président Abdullah Gûll, grand diplomate rompu aux négociations internationales, rattrapait les bévues de son président, aujourd’hui, il lui emboîte le pas, sans trop de discernement. On a vraiment l’impression que le régime d’Ankara commence à buter contre ses propres limites. Les erreurs diplomatiques s’accumulent : rupture avec Israël au grand dam de l’armée turque, alliance inconsidérée avec la Syrie de Bachar el Assad qui a commis des crimes contre l’humanité, rapprochement avec l’Iran des Mollahs pour ensuite s’en écarter aussi précipitamment qu’on s’en était rapproché, ouverture tous azimuts vers l’Asie centrale tout en frappant avec insistance à la porte d’une Europe plus que réservée… Et maintenant, c’est la France, patrie des droits de l’homme qui a toujours accueilli des Turcs (voyez Strasbourg et l’Alsace en général) qui fait l’objet des récriminations de M. Erdogan lequel invite Paris à scruter sa propre histoire coloniale… Mais la France, elle, n’a jamais commis de génocide et a œuvré avec détermination au développement de ses anciennes colonies.
Avant de donner des leçons aux autres, il faudrait cesser d’emprisonner des journalistes et des activistes kurdes et jeter en prison des opposants. Il faudrait aussi donner une meilleure image de son propre pays.
Tous les peuples peuvent avoir commis des erreurs. Mais certains les reconnaissent et veulent les réparer. D’autres pas.