MESSIANISME ET RÉDEMPTION DANS LA BIBLE
CONFÉRENCE DU JEUDI 14 JUIN 2012
A LA MAIRIE DU XVIE ARRONDISSEMENT DE PARIS
Par Maurice-Ruben HAYOUN (MRH)
Préliminaires :
Comment et pourquoi ces deux notions sont-elles nées ?
Elles revêtent une importance capitale dans le judaïsme et le christianisme.
Il faut remonter aux origines de l’histoire de ces deux grandes religions pour le comprendre
Dans les tout premiers chapitres du livre de la Genèse, on nous présente une origine idyllique de l’univers et de l’humanité : C’est un D- tout puissant qui crée l’univers à partir du néant. Au terme de sa création du monde physique, il constate qu’il n’y a pas d’homme pour cultiver et travailler la terre. Il crée donc un ADAM androgyne et l’installe dans un paradis, appelé le jardin d’Eden. Au début, on ne voit qu’Adam, c’est seulement ensuite qu’apparaît Eve car, là aussi, la divinité s’est rendu compte que l’homme ne devait pas rester seul. Il crée une femme à partir de la côte de l’homme qu’il avait préalablement plongé dans une profonde léthargie.
Mais ce tableau idyllique va subir un grave dommage lorsque le serpent, incarnation de l’esprit du mal, convainc Eve de transgresser l’interdit divin de consommer le fruit d’un arbre, pourtant proscrit par l’Eternel. Cette faute entraîne l’expulsion du paradis, la chute d’Adam qui perd sa nature angélique exclusivement bonne. Et positive. Le mal a fait brusquement irruption dans le monde.
Les idées de rédemption, de purification, de rachat s’originent probablement dans ce mythe du paradis perdu, cette volonté de retrouver un état d’harmonie que rien ne venait troubler. C’est la naissance d’une mythe fondateur puissant de l’humanité : le rêve d’une restauration d’une vie avant la faute, le péché et la chute. Et le salut, la rédemption d’une humanité pécheresse.
Partant, l’humanité se représente son histoire en l’articulant en deux phases :
a)avant la faute
b) après la faute.
Il faut donc rédimer, racheter cette humanité pécheresse, en lui insufflant un puissant moteur, celui de l’espoir d’une vie meilleure, d’un monde plus juste et d’un avenir plus souriant. C’est sur cet arrière-plan qu’est venue se greffer la notion de péché originel dont parle le Psaume 51 : Voilà que j’ai été enfanté dans la faute, et dans le péché ma mère m’a conçu… Et dans les versets suivants de ce Psaume, le psalmiste prie D- de le laver de toutes ces souillures et de lui rendre sa pureté originelle.
C’est sur cet arrière-plan que les deux notions si proches mais assez différentes tout de même de messianisme et de rédemption ont vu le jour et pris racine dans le judéo-christianisme. Certains diront que cet état de choses a généré la mauvaise conscience, la sensation que l’on doit faire pénitence et s’efforcer de vivre sa vie conformément aux injonctions divines.
Développement :
Voyons à présent la terminologie religieuse, hébraïque et chrétienne de ces deux notions.
Messie vient de l’hébreu MASHIYAH et dérive de la racine MSH H qui signifie oindre, verser une huile dite sacrée sur la tête de l’heureux élu, qu’il soit roi, prêtre ou grand guerrier. Les deux formes ayant des occurrences de ce terme MESSIE dans la tradition sont mashiyahh en hébreu et meshihah en araméen. On trouve aussi les expression roi-messie ha-mélékh ha-mashiyah ou malka meshihah.
Ce Messie est envoyé par D pour sauver une humanité pécheresse. Il est une notion annexe qui se greffe sur l’avènement messianique, c’est la fin des temps (la fin des jours) Aharit ha-yamim.
Ici, Juifs et Chrétiens se séparent. Les premiers ont certes fait des descendants de la monarchie davidique leur Messie qu’ils attendent tandis que c’est plutôt l’époque messianique qui retient leur attention bien plus que sa personnalité.
Les Chrétiens se sont focalisés sur Jésus en lequel ils voient le Sauveur, fils de D- doté d’une forme quasi divino-humaine. Nous y reviendrons en traitant de quelques passages tirés des épîtres de Saint Paul (Romains, Hébreux, Ephésiens)
Comme la littérature vétérotestamentaire a subi bien des remaniements, les réviseurs ont tenu à introduire cette notion de salut, de rédemption, voire de messianisme dans des textes réputés bien plus anciens. Notamment en Genèse 49 10-12 où il est question de la prééminence de Juda et de Silo. Voyons aussi Nombres 24 ;17.
On est déjà en présence de l’exaltation de la monarchie et de la dynastie davidiques qui donnera naissance au Messie qui se nomme désormais dans la littérature rabbinique le fils de David (Ben David). A ce sujet, voir II Samuel ch. 7 qui promet une monarchie davidique pérenne.
Les Chrétiens veulent trouver dans le Psaume 110 une référence à la messianité de Jésus.
Certains ont prétendu que l’idée messianique telle qu’elle s’est développée par la suite dans les tradition religieuses juive et chrétienne était absente de la Bible. Ce n’est pas entièrement juste. Il est inexact de prétendre que Isaïe 11 ne tient qu’un discours de nature eschatologique. Le contenu de ce chapitre va bien plus loin : tous les règnes seront changés, la nature profonde des êtres ne sera plus la même et le Messie qu’on nomme simplement rejeton de la souche de Jessé (le père de David) jugera la terre. Une fonction qui sera attribuée tardivement à Jésus qui fait comparaître devant son tribunal l’humanité dans son ensemble.
Cet homme instaurera la paix universelle, les animaux sauvages seront domestiqués, le mal et la destruction disparaîtront de la surface de la terre.
Relations entre le messianisme et la rédemption : LE MESSIANISME DOIT CONDUIRE A LA RÉDEMPTION.
Depuis la Bible hébraïque (je laisse provisoirement de côté les Evangiles) l’acception du terme Messie a évolué.=
a) c’est l’oint qui exerce une autorité religieuse ou un leadership politique. Car il a reçu l’onction pour cela, c’est d’elle qu’il tire son pouvoir et sa légitimité.
b) C’est la figure largement idéalisée d’un souverain qui n’exerce plus vraiment de pouvoir temporel mais règne en vertu d’une délégation qui le prédispose à faire le bien. L’esprit divin, l’esprit saint l’habite et l’investit de cette mission : pratiquer la justice, l’équité, obéir aux injonctions divines.
Il y a tout de même une légère variante dans le judaïsme non encore rabbinique des premiers siècles avant l’avènement du christianisme : les sectaires de Qumran militarisent la figure du Messie, lui confiant la mission guerrière de conduire les fils de lumière au combat contre les fils des ténèbres. Cette vue des choses éloigne grandement de la vision chrétienne ou Jésus préfères e faire tuer, se mue en sacrifice sans jamais menacer quiconque. L’attitude des sectaires de Qumran renseigne aussi sur l’état lamentable de la nation juive de cette époque, foulée aux pieds et torumentée par les Romains.
Dans les Evangiles :
Saint Paul a beaucoup insisté sur la figure du grand prêtre,
Mais les Apôtres veulent faire dériver Jésus de David car c’est lui que la tradition juive avait choisi (Cf. Matthieu 1 ;1). C’est toute la question du VERUS ISRAËL, l’église prenant la place de l’élu Israël qu’elle est elle-même devenue…
En fait, on peut dire que le messianisme chrétien depuis Frédéric II jusqu’à Charles Quint a réinvesti l’image de David, devenu le modèle de tout bon roi en chrétienté.
Dans la tradition juive, on parle aussi du monde à venir (Olam ha ba) pour désigner la fin de l’Histoire, le début du règne du royaume de Dieu ou du ciel. C’est dans la tradition juive que Jésus a puisé cette expression en hébreu et en araméen : malkhout shamayim ou en araméen malkhouta di-shemaya
C’EST APRÈS 70 et la destruction second Temple, ainsi qu’avec l’occupation romaine, que les juifs commencent à visualiser le Messie en une personne et non plus seulement une époque, une idée, un idéal lointain. Il régnait une effervescence messianique très forte à l’époque et nombreux étaient les fous et les exaltés à s’autoproclamer Messie d’Israël.
Le mot Messie connaît trente-neuf occurrences dans la littérature biblique mais le substantif désignant sa mission n’apparaît jamais. C’est plutôt le mot salut, rédemption que l’on rencontre yeshu’a, moshiya’, en prenant soin de préciser comme dans le Psaume que le salut vient de D- (La-Shem ha-yeshu’a…)
Ce terme MOSHIYYA’ a introduit la notion de Sauveur. Cette idée se trouve dans la Bible, notamment dans le livre des Juges qui aurait aussi bien pu s’appeler le livre des sauveurs, comme le fit justement remarquer un bibliste allemand du nom de… Richter (Juge) !
Il est clair que dans le judaïsme rabbinique, c’est la désignation fils de David qui s’est imposée : plus l’oppression et la détresse étaient profondes et plus l’effervescence messianique était considérable. On se souvenait alors de ce passé mythique où un grand héros, chef militaire et amoureux de D-, menait le peuple judéen sur les sentiers de la grandeur et de la gloire.
En fait, la Bible distingue entre un terminus technicus et l’idée qu’il est censé véhiculer ou suggérer. Peut-il exister un messianisme sans Messie ? La question mérite d’être posée.
Il y a aussi une sécularisation de ce terme messianisme, même les marxistes en ont parlé. Mais ile ne furent pas les seuls ; Carl Schmitt, juriste ayant eu quelques relations coupables avec les Nazis, avait rédigé un petit livre intitulé Politische Theologie…
D’autres notions ont été mêlées à notre problématique par la tradition chrétienne :
a) le serviteur souffrant d’Isaïe 53
b) le fils de l’homme dans le livre d e Daniel
c) le prophète Elie
Un mot de l’idée de rédemption dans le Nouveau testament :
Jésus se fait aussi intercesseur, un peu comme Abraham en Gen 18 et Moïse en Ex 32 ;32.
Romains 3 ;24 : Tous sont justifiés gratuitement par sa grâce, au moyen de la rédemption qui est en JC
Ephésiens 1 ; 17 : c’est en lui que nous avons la rédemption, par son sang, la rémission de nos péchés.
On voit que dans l’optique chrétienne d’autres notions viennent s’ajouter aux précédentes : péché originel, chute de l’homme, expulsion du paradis (felix culpa), l’individualisme religieux d’Ezéchiel 18 qui s’oppose à la théologie de l’Exode.
Au fond, ces thèmes de rédemption et de messianisme ne pouvaient fleurir que dans une théologie biblique : d’un bout à l’autre de la Bible, il est question de transgression, de repentance, de confession des péchés, de leur rémission, de rachat et de pardon.
Conclusion : Faut-il un Messie pour effectuer cette rédemption à laquelle aspire l’humanité croyante dans son ensemble ? Est-ce l’œuvre d’un individu ou l’aboutissement d’une époque ?
Peut-on confondre messianisme et rédemption ? Les juifs l’ont fait volontairement car ils ne voulaient pas personnaliser la question, craignant les ambitions chrétiennes qui faisaient d’un tel homme une divinité.
Alors que pour le christianisme, le salut universel arrivera par Jésus lors de la parousie, pour les juifs le royaume de Dieu sera instauré sur terre grâce à un rejeton davidique car depuis la prophétie de Nathan en II Samuel 7, la monarchie du fils de Jessé est éternelle ou censée l’être.
Deux termes hébraïques assez proches connotent cette idée de la fin d’un cycle de violence et donne accès à la quiétude et à la paix : Geoulla et yeshou’ah. Pour finir, on trouve encore un terme qui connote l’idée de rachat, pedout, qui intervient dans les Psaumes et dans Isaïe.
S’il est permis de conclure alors que nous traitons de thèmes si graves, on peut dire que c’est le Messie qui ouvre la voie à la rédemption.
A l’origine, création et rédemption allaient main dans la main, mais après la faute et le péché originel, il faut gagner la rédemption.
Et dans un monde en post-rédemption, le mal, la maladie, la souffrance et les larmes, et la mort n’existeront plus…
Maurice-Ruben HAYOUN
(Conférence Mairie deParis 16e)