Kippour, le jour de grâce de l’humanité messianique…
Cette phrase n’est pas de moi mais de Hermann Cohen, un éminent philosophe judéo-allemand qui fonda l’école néo kantienne de Marbourg. Je l’avais lu lorsque je traduisais un florilège de ses Ecrits juifs pour les éditions du Cerf sous le titre L’éthique du judaïsme.
Hermann Cohen, mort en 1918, rêvait d’unir en sa personne la germanité et la judéité. Il eut la chance de quitter ce monde en 1918 car sa femme, qui lui survécut, fut déportée et tuée par les Nazis alors qu’elle avait plus de 85 ans !
Kippour veut dire propitiation et yom ha-kippourim signifie donc jour des propitiations, mot qui a aussi donné le propitiatoire, en hébreu kapporét..
En ce jour où culmine la spiritualité juive, Dieu est censé accorder à l’humanité la rémission de ses péchés. Par rapport à rosh ha shana, c’est une sorte de cour d’appel ou de cassation : qui n’a pas obtenu sa grâce à kippour, n’aura plus de séance de rattrapage. C’est une élection à deux tours : si vous manquez votre but dix jours avant, il faut que yom kippour vous sauve, sinon adieu !
Le jour de kippour, cette année le 26 septembre, on lira vers 15-16 heures le passage du livre du Lévitique qui énumère les unions charnelles illicites. Le judaïsme ne plaisante pas avec ces choses là. Selon la Bible il existe un certain nombre de nudités qu’il est interdit de découvrir : c’est la formulation même des textes.
Au plus fort de la journée consacrée à des prières et à des confessions publiques et privées, on répète le rituel du Grand prêtre dans le Saint des Saints : je dois dire que cette prière m’a toujours fortement impressionné car au moins quatre fois nous nous prosternons face contre terre et nous ne nous relevons qu’une fois que le Grand Nom du Dieu d’Israël est invoqué : je dis invoqué et non prononcé car le Nom divin est invocable mais imprononçable…
Au cours de l’après-midi on lit le livre de Jonas, ce prophète colérique mais naïf qui avait oublié que le Dieu qu’il aime est avant tout un Dieu miséricordieux, amoureux du genre humain, prompt non pas à la colère mais au pardon. C’est un magnifique plaidoyer en faveur de la miséricorde divine qui se substitue à la rigueur et aux forces implacables du jugement. Ninive ne sera pas détruite, ses milliers d’habitants ne seront exterminés car tous, le monarque en tête, ont fait acte de repentir. Et leur repentance a été agréée.
Kippour, c’est la journée du repentir réussi.
Sigmund Freud, qui, quoique né juif, a toujours été insensible au sens de la prière et du culte religieux a stigmatisé cette adresse des orants à Dieu comme on s’adresse à un père. Et quel mal y a t il à cela ?
Dans la prière on dit bien : à l’instar d’un père qui a pitié de ses enfants, préserve nous, Seigneur !
Contrairement à Franz Rosenzweig qui alla visiter un petit oratoire polonais dans le quartier juif de Berlin vers 1920, Freud, lui, a totalement ignoré l’héritage de ses pères.
Ce n’est pas nécessairement un progrès.
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève
Du 26 septembre 2012