Le cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée
Que serait l’Europe sans l’axe franco-allemand, en dépit des hauts et des bas traversés par cette relation qui demeure exemplaire ? Certes, il ne faut pas se cacher la réalité : il y a un traitement dissymétrique des deux pays, en faveur, on le sait, de nos voisins et amis d’outre-Rhin. La France a perdu son triple A mais continue d’emprunter sur les marchés internationaux à des taux raisonnables, parfois même plus bas, car elle continue d’inspirer une certaine confiance. C’est sur tout le reste, c’est-à-dire l’appareil productif, l’industrie et les PME, sans oublier le chômage, que se cristallisent les inquiétudes. Pour ne pas dire les points noirs.
Nicolas Sarkozy avec son caractère généralement impétueux avait un beau jour dit à toute la France que le pays devait prendre exemple (in die Schule gehen) sur son puissant voisin, mais comme il intervenait sans discontinuer, cette importante annonce est presque passée inaperçue. Mais sur le fond, il avait raison.
Ce qui me frappe, moi qui ai vécu à cheval sur les deux pays (j’ai enseigné à l’Uni de Heidelberg 24 ans et à celle de Berlin [FU] trois ans), c’est la différence de mentalité. Quand j’y pense, je me rends compte que j’ai plus été formé par l’Allemagne que par la France (mon pays natal que j’aime) et que même mes maîtres à la Sorbonne étaient des immigrés germanophones originaires d’Europe centrale et orientale.
Les savants allemand nous ont appris à apprendre tant dans les domaines philosophiques que littéraires. L’école de la philosophie idéaliste allemande est insurpassable. Un homme comme Ernest Renan qui fit notre fierté au cours de tout le XIXe siècle est un pur produit de la science allemande. Dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, ouvrage figurant dans toutes les bonnes bibliothèques des familles françaises (exceptées celles des catholiques intégristes) l’auteur écrivit cette phrase inoubliable : j’appris l’hébreu, j’appris l’allemand et cela changea tout… L’ancien édifice éthico-religieux dont Renan était le produit ne résista pas longtemps à l’examen, sans même parler de la critique…
Or, Renan, c’est la quintessence de l’esprit français, lui qui écrivait que l’Académie Française était la cour suprême de ce même esprit hexagonal. C’est dire combien les échanges culturels et spirituels entre la France et l’Allemagne sont importants. Il est vrai qu’environ un siècle auparavant, c’étaient Voltaire et certains encyclopédistes français qui donnaient le ton à la cour du roi de Prusse.
Aujourd’hui, le monde a changé, l’économie, la finance dominent et personnellement cela ne me gêne pas vraiment. Ce n’est pas de la résignation, mais du réalisme. L’esprit a tendance à reculer par rapport au reste. Vous savez ce que disait Voltaire dans son exégèse railleuse de la Bible ? L’homme ne vivait pas que de pain, mais il en vit aussi…
Quel vœu peut on formuler pour la décennie à venir ? Que les Français travaillent un peu plus, mais de ce côté là, les Allemands n’ont pas trop à se plaindre. Souvenons nous de cet adage de Bismarck, placardé dans toutes les salles de classes de l’Allemagne de Guillaume II : Der Mensche ist nicht auf Erden um glücklich zu sein, sondern um seine Pflicht zu tun (L’homme n’est pas sur terre pour être heureux, mais pour accomplir son devoir)
Pareille chose est absolument inimaginable chez nous.
Mais notre vœu le plus cher (le moins réalisable ?) est que les Français soient un peu plus allemands et les Allemands un peu plus français.
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 22 janvier 2013