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La fête de Pessah, la Pâque juive

La fête de Pessah, la Pâque juive.

Depuis hier soir, au crépuscule, les juifs du monde entier célèbrent Pessah, la Pâque juive, censée commémorer la sortie d’Egypte. Le terme hébraïque Pessah provient, selon l’étymologie fournie par la Bible elle-même, du verbe PSH qui signifie enjamber, sauter par dessus quelque chose. En l’occurrence, il s’agit ici de Dieu qui épargne en les enjambant les demeures des fils d’Israël lors de son élimination des premiers-nés des  Egyptiens, coupables de retenir son peuple Israël en esclavage. Là-dessus est venue se greffer la tradition de l’agneau pascal dont le sang devait maculer les linteaux des demeures d’Israël en Egypte afin que Dieu puisse épargner les siens. Il s’agit  ici assurément d’une représentation populaire d’un mythe fondateur voulant accréditer la présence protectrice de Dieu dans l’Histoire, et notamment dans celle d’un peuple qu’il s’est choisi et qu’il a élu. Ce sont là les racines de l’élection d’Israël, même si selon les philosophes modernes les plus profonds, Martin Buber et Emmanuel Levinas, la notion d’élection doit être prise dans le sens d’une mission. Non pas «missionarisme» comme le faisait à une certaine époque l’église catholique mais une charge consistant à se faire l’apôtre du Dieu unique auprès du reste de l’humanité.

Nos frères chrétiens ont changé entièrement la symbolique de cette fête qui renvoie dans la Bible à la sortie d’Egypte, conçue comme le premier événement national du peuple d’Israël en tant que peuple et non plus en tant qu’agrégat de bandes d’anciens esclaves en rupture avec tout le monde. C’est à une personnalité hors du commun qu’incomba la tâche redoutable d’unifier ces hordes rebelles sans foi ni loi mais que Dieu avait choisies pour en faire son peuple : Moïse, fils d’Amram et de Yochébéd.

Mais voilà, depuis des siècles, la critique biblique a sérieusement remis en question la nature de la mission de Moïse, voire même carrément douté de son existence historique. D’autres comme Ernst Sellin ( 1867-1948) n’ont pas douté mais émis la thèse de l’assassinat de Moïse dans le désert par ce peuple que lui-même qualifiait de peuple à la nuque raide  Au moins deux versets bibliques lui mirent la puce à l’oreille : Moïse lui-même qui se sent menacé et qui dit textuellement au sujet de ses opposants : Encore un peu et ils me lapidaient… (‘od me’at u-sékalouni) et un passage d’Osée, un prophète de le seconde moitié du VIIIe siècle avant Jésus, qui y fait une allusion transparente… Freud s’est, comme chacun sait, emparé de cette idée qui lui a permis de douter l’origine israélite de Moïse et d’en faire le fils illégitime d’une princesse égyptienne laquelle aurait, pour expliquer la naissance de cet enfant issu d’amours inavouables, inventé une nouvelle version : j’ai trouvé cet enfant, abandonné dans une corbeille flottant sur le Nil…

Yossef Hayyim Yeruschalmi a longuement et talentueusement pointé les faiblesses du raisonnement de Freud dans son ouvrage Le Moïse de Freud dont nous avons longuement rendu compte ici-même dans la Tribune de Genève… Mais l’hypothèse reste séduisante. Toutefois, si elle s’avérait, elle ruinerait les bases de la religion d’Israël, ainsi que celles autres religions monothéistes.

Mais Moïse, qu’il ait ou non existé, qu’il fût un Israélite ou un prince Egyptien, n’était pas pour autant sorti du creuset de la critique : même ceux qui admettent son existence historique jettent un regard soupçonneux sur la réalité de la théophanie qui lui fut accordée aux pieds du Mont Sinaï. On prête à son beau-père Jéthro, le grand prêtre de Madian, la paternité de la religion d’Israël. Moïse réfugié en pays madianite où il a trouvé une épouse Sepjora, aurait repris la divinité de son beau-père dont la Bible elle-même reconnaît que ce dernier offrit des sacrifices à Dieu et qu’il conseilla à son gendre comment introduire une réforme judiciaire au sein du peuple. C’est dire l’influence que cet homme dont la mont Sinaï faisait partie du territoire a pu exercer sur Moïse, le grand prophète-législateur d’Israël. Cette thèse ou plutôt cette hypothèse s’appelle l’hypothèse kénite et ferait de la religion, voir du Dieu d’Israël un sous produit de la divinité et du culte de Jéthro… Le problème est que ce Dieu là, devenu le Dieu d’Israël, était celui de la tribu kénite, les descendants de Caïn…

Dans son excellent ouvrage intitulé Moïse (Jérusalem, 1944 ; traduction française aux PUF en 1957, repris en 1986 dans quadrige), Martin Buber tente de s’en prendre à cette hypothèse madiano-kénite selon laquelle le Dieu du Sinaï ne serait plus celui des patriarches au motif qu’il scelle une alliance avec les enfants d’Israël. S’il les connaissait déjà, une alliance ne s’imposait plus… Buber répond qu’il ne faut pas confondre conversion et simple identification. Et qu’un homme qui croit en une divinité, lorsqu’il est témoin d’un prodige ou d’un miracle, en l’admettant en sa créance, a naturellement tendance à l’attribuer au Dieu en lequel il croit. D’où le phénomène de fusion ou d’identification.

On le voit, les questions soulevées par la Bible sont très nombreuses et le plus souvent insolubles. Pourtant, la foi des croyants a su se frayer un chemin et se maintenir au cours des siècles, voire des millénaires. Or, la foi, la croyance authentique crée, génère son objet.

Les chrétiens voient dans la Pâque le miracle de la résurrection qu’ils attendaient ardemment tandis que leurs frères juifs conservent le souvenir de la libération du joug de l’esclavage.

Difficile de rapprocher les deux points de vues en dépit d’un dialogue sincère et d’une amitié retrouvée. Il faudrait qu’un jour l’amour des hommes et la Grâce divine infligent un démenti salvifique à la phrase belle mais assez désabusée de Martin, aucune religion n’est un morceau de paradis tombé sur terre…

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