POLITIQUE FICTION = CHRONIQUE FICTIVE
La revanche du président Hosni Moubarak.
Nul n’aurait pu le prévoir, et sûrement pas le vieux Raïs qui vit le sol soudain se dérober sous ses pieds. Lui, le maître incontesté de l’Egypte, le pays sur lequel il régnait sans partage depuis plus de trente ans, lui qui avait nommé et promu tout ce qui comptait sur les rives du Nil, se vit un jour arracher au calme et au luxe d’une splendide villa sur les bords de la Mer rouge pour être interné dans une prison militaire médicalisée car le nouveau régime, issu de la révolution, avait dû se résoudre à le traduire en justice. Il devait comparaître, allongé sur une civière, pour faire face à ses juges et rendre des comptes sur la période qui avait immédiatement suivi la révolution. Il avait alors vécu des jours terrifiants, songeant maintes fois à mettre fin à sa vie. Et peu de temps après lui, son épouse avait été incarcérée à son tour, précédé de ses deux fils. Tout le clan Moubarak se retrouvait derrière les barreaux.
Prostré dans sa cellule, refusant de s’alimenter, ne portant plus aucun intérêt à tout ce qui l’entourait, le vieux Raïs méditait amèrement sur l’ingratitude et la versatilité des hommes. Lui, l’homme que l’on consultait il y a encore tout juste un mois de tous les coins du monde, pour lequel on déroulait le tapis rouge dans les grandes capitales, se retrouvait seul dans une chambre d’hôpital militaire…
Lorsqu’il réussit à surmonter cette vague de désespoir qui déferla sur lui des mois durant, on lui permit de nouveau de profiter de certains avantages, comme regarder la télévision et lire la presse. Les médecins militaires qui soignaient l’octogénaire malade qu’il était usaient d’un grand et profond respect à son égard, jusques et y compris ceux qui avaient été touchés par le virus islamiste…
POLITIQUE FICTION = CHRONIQUE FICTIVE
Il pouvait donc suivre l’évolution rapide de la situation et n’en croyait pas ses yeux en voyant tant de Frères musulmans siéger sur les bancs du parlement, ceux là mêmes qu’il avait fait emprisonner des années auparavant pour sédition et atteinte à la sécurité de l’Etat… Hosni Moubarak ne reconnaissait plus son pays. Son vieil esprit était dérangé par d’insolites questions : comment l’Egypte était elle passée de son régime à son opposé absolu, celui des islamistes ? Comment les pays occidentaux qui virent en lui, des décennies durant, le meilleur rempart contre l’islamisme, s’accommodaient-ils soudain de ce nouveau régime ? Son esprit ne parvenait pas à trouver des réponses adéquates. Mais le pire était encore à venir.
Le jour de l’élection de Mohammed Morsi fut pour lui l’équivalent du coup de grâce pour un condamné à mort. Cet homme, pensait-il, ce fugitif qui s’était enfui de prison avec l’aide de terroristes étrangers du Hamas, était assis à son propre bureau au palais présidentiel, recevant les honneurs dus à son nouveau rang, celui qui fut le sien durant trois décennies.
Le président Hosni Moubarak décida alors de faire une cure d’introspection et de se réfugier dans une lecture attentive du Coran. Au fond, après un tel parcours, les valeurs spirituelles et religieuses étaient les seules à pouvoir compter dans une vie, la politique n’étant que l’apparence de la vertu et des valeurs, comme la vérité, l’équité et l’amour du prochain.
Les jours se passaient sans événement nouveau, les comparutions devant ses juges étaient de plus en plus espacées et Hosni Moubarak vit un jour à la télévision que son successeur M. Morsi avait décidé, sans prévenir, de se débarrasser de l’encombrant maréchal al-Tantawi en le mettant à la retraite. Hosni Moubarak scruta la scène de cette mise à l’écart à la télévision. Des sentiments mêlés le traversèrent alors. Cet homme qu’iil avait promu au point d’en faire l’inamovible chef d’état major et ministre de la défense, quittait la scène , légèrement voûté, le cordon de sa nouvelle décoration à la main ; il quittait la scène comme un petit animal, un morceau de sucre à la bouche… Un tel homme ne pouvait pas partir de la sorte, Morsi venait de commettre sa première erreur grave.
Vieux routier de la politique, fin connaisseur de la psychologie humaine, le vieux raïs ne put réprimer un étrange sentiment de satisfaction. Cette nuit là, les soucis du quotidien à l’hôpital n’éloignèrent pas le sommeil de ses paupières. Et lorsque les infirmiers militaires lui apportèrent son petit déjeuner, il le dévora avec un appétit inhabituel, allant jusqu’à réclamer plus d’œufs et de confiture, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant.
Des mois passèrent et la situation intérieure du pays se détériorait dangereusement. Des rumeurs couraient sur une inquiétante instabilité et sur la nervosité de l’armée qui s’alarmait de l’incapacité, voire de l’incompétence de son successeur à gouverner correctement le pays. Le vieux Raïs avait même appris que les réserves en devises du pays fondaient comme neige au soleil, que le tourisme, jadis florissant, se tarissait dangereusement et que le chômage des jeunes et des seniors atteignait des pourcentages alarmants… Dans son esprit les idées les plus folles commençaient à entrer en collision: le regrettait-on déjà ? Certains de ses partisans réclamaient son retour, mis sans le dire clairement. L’instabilité et l’insécurité devenaient la préoccupation prioritaire des Egyptiens.
Mais le tournant de sa nouvelle vie d’interné eut lieu au milieu de la nuit du 15 juin. Cette nuit là, le vieux Raïs avait revu à la télévision un concert de la grande chanteuse qu’il aimait tant Oum Kalthoum. Cela lui avait rappelé sa jeunesse, quand il était commandant de l’armée de l’air et qu’il se rendait chez lui en permission. Il aimait alors tant écouter les chansons de cette grande artiste égyptienne que son lointain prédécesseur le président Gamal Abdel Nasser avait jadis décorée.
Vers trois heures du matin, on frappa à sa porte. Qu’aillait-il se passer ? Allait-il mourir ? Pourquoi ce réveil au milieu de la nuit ? Lorsque la lumière fut allumée, il n’en crut pas ses yeux. Dans l’embrasure de la porte de sa chambre d’hôpital, deux hommes en uniforme, les deux plus hauts gradés de l’armée : le vieux maréchal al-Tantawi et le jeune ministre de la défense Abd el Fattah al Sissi, promu par Mohammed Morsi ministre de la défense. Le maréchal s’inclina respectueusement devant le vieux Raïs encore endormi et lui baisa la mort tandis que le jeune général se figea dans un grade à vous strict… Hosni Moubarak croyait rêver, il aurait tant aimé un tel renversement de situation, il voulut toucher ses deux visiteurs pour se convaincre de la réalité de leur présence. Et voici que les deux officiers supérieurs se rapprochèrent de lui et se mirent à lui parler.
C’est le vieux maréchal, cet ancien et fidèle compagnon d’armées, qui ouvrit la bouche le premier. Voici la teneur de ses propos, : Sayyed al Raïs, Monsieur le Président, la situation est très grave, l’armée a décidé de réagir et nous sommes venus vous le dire. Nous ne permettrons pas que notre grande patrie sombre dans le chaos et le désespoir. Le 3 juillet nous allons renverser le président actuel qui se conduit comme un chef de parti et non comme un rassembleur… Les plans sont prêts, l’actuel président ne se doute de rien. Il est temps d’agir, sinon il sera trop tard…
Bien qu’ayant présidé aux destinées de l’Egypte pendant trois décennies, le vieux Raïs n’aurait jamais imaginé un tel retournement de situation. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, le général al-Sissi lui dit : Monsieur le président, nous avons décidé de vous transférer discrètement dans une autre résidence retirée et dérobée aux regards, où vos anciens médecins, en qui vous avez toute confiance, vous accompagnerons. De ce lieu tenu secret, vous observerez la situation et nous suivrons vos conseils. Etes vous d’accord ? Oui, répondit le vieux Raïs qui se souvint en ce moment précis d’une adage rabbinique que son collègue et ancien ennemi le Premier Ministre israélien Ariel Sharon, lui avait, un jour, cité. Les deux hommes déjeunaient dans le palais de Moubarak à Sharm el Sheikh et au cours des la discussion, Moubarak avait laissé filtrer des doutes sur l’imminence d’une paix durable entre leurs deux peuples. Et Sharon avait répondu que l’impossible n’existait pas pour Dieu. Il ajouta ce célèbre adage rabbinique : u-teshu’at ha-Shem ké-héréef ayyin : le salut de Dieu ne prend pas plus de temps qu’un battement de cils… Oui, se dit le vieux Raïs au fond de lui-même : les juifs savent de quoi ils parlent eux qui ont survécu à deux millénaires d’horribles persécutions, sans jamais perdre confiance en Dieu… Et le Psalmiste dont ils font si grand cas dans leur Bible, ne dit-il pas, toujours en parlant de Dieu : le jour, Dieu mande sa grâce et la nuit son chant est avec moi (Yomam yetsawwé ha-Shem hasdo u-ba-laïla shiro ‘immi…)
Le main du 3 juillet, logé dans sa nouvelle résidence sur les bords de la Mer rouge et protégé par des commandos d’élite de l’armée, le vieux Raïs put enfin savourer sa revanche. Il ne bouda pas son plaisir n regardant à la télévision ces millions d’Egyptiens réclamant le départ de son successeur tandis que des hélicoptères de l’armée survolaient les cortèges en déployant des drapeaux égyptiens… Oui, la patrie était en danger et la grande armée du pays se levait pour la défendre et la sauver…
En cette même journée du 3 juillet, et tous les jours suivants, le téléphone sonnait à intervalles réguliers dans la nouvelle résidence où vivait le vieux Raïs, rejoint par sa chère épouse et ses deux fils : le clan Moubarak était à nouveau réuni… Le vieux maréchal el-Tantawi l’informait de la suite des événements : Mohammed Morsi avait été destitué et les forces spéciales s’assuraient de sa personne dans une caserne située dans le Sinaï. On s’était aussi assuré de la personne de quelques commandants d’unités que le président déchu avait tenté de gagner à sa cause, mais les renseignements militaires qui écoutaient les conversations téléphonique de M. Morsi avaient alerté le général al-Sissi. Le vieux maréchal demanda au Raïs comment il voyait la suite de l’affaire. Moubarak lui répondit qu’il fallait user de la plus grande fermeté envers les leaders des Frères musulmans, interner leurs chefs, geler leurs avoirs mais épargner leur vie. Et Morsi, demanda le vieux maréchal ? Traduisez le en justice, répondit Moubarak, pour menées subversives et atteinte à la sécurité de l’Etat… Les deux militaires se concertèrent et al-Sissi répondit à son tour au téléphone : c’est bien ce que nous avons l’intention de faire.
En ce milieu du mois d’août, le vieux Raïs restait confiné dans son nouveau bureau à parler avec ses amis au téléphone et à regarder la télévision. Il était très inquiet en raison du nombre de morts après que le gouvernement avait décidé de déloger les islamistes des deux grandes places du Caire qu’ils occupaient, paralysant la vie de la mégapole égyptienne. Il se souvint de tant de décisions graves qu’il eut à prendre durant ses longues années de présidence. Tout en ayant le cœur brisé devant de telles effusions de sang, il se disait qu’il pouvait désormais mourir en paix, l’Egypte étant sauvée de la main mise des Frères musulmans. A présent, il fallait souhaiter la réconciliation et un gouvernement d’union nationale. Il décida d’en parler à ses deux amis, le maréchal et le général al-Sissi, nouvel homme fort de l’Egypte. C’était le dernier service qu’il voulait rendre à son cher pays, l’Egypte.
Voilà. Vous avez lu un beau conte de fées, une scène de politique fiction comme il n’en arrive jamais. L’histoire, surtout politique, obéit à des lois d’airain et le résultat en est toujours tragique.
Toujours ou presque…