Un Dieu tentateur? A propos de la traduction du Paer Noster
Depuis la parution d’un petit article de Stéphanie Le Bars paru dans Le Monde du 17 octobre page 21, les gens, surtout les non spécialistes (en théologie et en hébreu biblique) se posent des questions. En effet, dans le Pater noster (Notre Père), prière centrale du crédo chrétien, les fidèles récitent une prière, une véritable supplique dans laquelle ils implorent Dieu ainsi : Ne nous soumets pas à la tentation . Dans cette formulation précise, on pourrait penser que c’est Dieu en personne qui chercherait à induire sa propre créature en tentation, ce qui entraînerait, par voie de conséquence, un châtiment de cette âme pécheresse, qui, au fond, ne serait pas responsable de la commission d’une telle faute puisque cet acte condamnable, ce péché, aurait été ordonné par la volonté divine depuis les commencements de l’humanité. Les théologiens catholiques, suivis par les représentants des autres confessions chrétiennes, ont donc choisi une autre formulation, ne nous laisse pas entrer en tentation.
Il est vrai que le diable vit dans les détails, lui auquel il faudrait, en saine théologie et en bonne logique, imputer cette fonction fâcheuse consistant à pousser vers la faute, la tentation la nature pécheresse de l’homme. C’est d’ailleurs le rôle joué par Satan dans cet ouvrage si énigmatique qu’est le livre de Job où un homme subit les pires punitions sans avoir été reconnu coupable de quelque méfait que ce soit…
Pour les non spécialistes, les incroyants et les indifférents à la chose religieuse, c’est un débat un peu byzantin qui s’apparente à la recherche sur le sexe des anges. Pourtant, il n’en est rien car c’est sur cette problématique que philosophie et théologie se rejoignent, soit pour s’invectiver mutuellement, soit pour faire un bout de chemin ensemble.
Commençons par le commencement. Ce point, la position à tenir sur le rôle joué par Dieu dans le péché de l’homme, met en lumière l’indéniable lien de filiation entre le christianisme et sa matrice le judaïsme, entre l’église et la synagogue. Cette prière chrétienne, le Pater Noster, ressemble tellement au kaddish des juifs et Jésus lui-même a dû la prononcer un certain nombre de fois dans sa vie.Lorsque les sages se réunissaient en session d’académie pour étudier les saintes Ecritures, ils devaient conclure leur travail par cette même prière… Tous les apôtres parlaient l’araméen ou l’hébreu, deux langues sœurs qui dérivent d’un tronc sémitique commun. Le passage de ces deux langues sœurs qui rendent les mêmes concepts de la même manière sans rien perdre en cours de route ne s’est pas effectué sans perdition lorsqu’il s’est agi d’aller vers le grec et vers le latin pour aboutir à nos langues européennes actuelles.
Et c’est de ce là que s’originent les difficultés, notamment celle d’imputer improprement à Dieu lui-même l’incontournable nature pécheresse de l’homme.Mais si l’on veut être juste, il faut aussi reconnaître que l’ambiguïté au sujet d’un Dieu tentateur se trouve déjà dans la formule hébraïque passée dans les Evangiles… Comment était ce possible ? Les liturgistes ne sont pas nécessairement des philosophes ni des logiciens.
Si on veut traiter la question dans toute son ampleur, il faut élargir le débat, et poser ce problème théologico-philosophique de la manière suivante : il y a Dieu, censé être le créateur de tout l’univers et de ce qu’il contient, mais quid du mal, du péché et surtout de l’homme ? Si l’homme est appelé à rendre compte de ses actes, encore faut il qu’il en soit responsable. Or, la responsabilité présuppose la liberté, le libre arbitre humain. Donc, il est incompréhensible que l’on ait pu, des siècles durant, réciter une telle formulation: Ne nous soumets pas à la tentation… comme si c’était Dieu qui poussait l’homme à la faute, ce qui serait non sens théologique !
Un mot sur cette notion de tentation, ou de mise à l’épreuve, car la formulation est différente mais l’idée ou le résultat est le même : comment l’homme doit il s’y pendre pour ne pas pécher ? Comment doit il surmonter cette nature pécheresse qui le poursuit depuis que l’église catholique a suivi Saint Paul qui enracine au cour de sa doctrine l’idée du péché originel tel qu’il a pensé le découvrir dans un verset du Psaume LI que certaine Bibles n’hésitent pas à traduire de la manière suivante (en sollicitant un peu le texte hébraïque): pécheur ma mère m’a conçu…
La conscience religieuse, surtout contemporaine, ne saurait s’accommoder d’une telle théologie qui contredit ses convictions les plus intimes. Mais alors comment en sommes nous arrivés là ? C’est très simple, il s’agit d’un problème de traduction. En puisant dans mes souvenirs d’enfant, je me suis souvenu des prières préliminaires du matin où avant de réciter les textes statutaires, l’orant implore Dieu de faire en sorte ( c’est la seule expression française que j’ai pu trouver) à nous habituer à ta Tora, à nous faire adhérer à tes préceptes et ne nous conduis pas à la mise à l’épreuve (we al tevi énou lidé het, welo lidé nissayon) Voici l’expression idiomatique hébraïque qui est responsable de ce contresens théologique qui a heurté la conscience des croyants ; le havi lidé, mot à mot : ne nous mets pas, ne nous conduis pas entre les mains du péché… Mieux peut-être : ne nous mets pas en situation de..
Théologiquement, ce point de vue est éminemment discutable car lorsque Dieu créa l’homme il lui adressa des recommandations, partant l’être humain était donc doté d’un intellect et d’un libre arbitre, sinon on ne lui donnerait pas d’ordre ni de préceptes à respecter ; sinon l’homme serait soit un animal soit un robot programmé par avance…Nous n’en sommes pas là.
Alors en attendant que l’église catholique rectifie la formule, comment croire en Dieu et en quel Dieu ? En un Dieu résurrecteur des ùorts, peut-être, rédempteur sûrement.
Maurice-Ruben HAYOUN