Hanoukka et la fête des Lumières de Lyon
C’est un peu curieux mais je ressens le besoin de faire ce rapprochement entre la vieille fête de Hanoukka et la fête des Lumières de Lyon qui attire des centaines de milliers de visiteurs venus du monde entier. Chacun connaît la différence entre l’histoire et la mémoire qu’on en fait. La conscience humaine transforme et adapte certains faits à sa manière, elle leur assigne un rôle ou une fonction symbolique qui s’enracine dans le passé national ou religieux. Elle peut aussi transiter d’un peuple à l’autre, d’une religion à l’autre ou d’une culture à une autre culture. L’exemple le plus frappant est la signification de la Pâque chez les juifs et les chrétiens : alors que la Bible hébraïque assigne à Pessah la sortie d’Egypte et la délivrance de la maison de l’esclavage, les Evangiles veulent y voir la Résurrection dans une perspective chrétienne. Ce qui est encore plus frappant, c’est que cette nouvelle tradition, émanée du judaïsme non encore rabbinique, a puisé dans le même legs, le corpus de la littérature prophétique, pour fonder la résurrection au bout du troisième jour : c’est dans un verset du prophète Osée (Hosché’a) que se trouve le verset suivant qui a imprimé aux Evangiles la marche à suivre : il nous fera vivre (yehayyénou) après deux jours, et le troisième il nous ressuscitera (yékiménou) et nous vivrons devant lui… Les mêmes versets bibliques soutiennent des vues ou des traditions radicalement différentes et génèrent des croyances qui se tournent le dos.
Pour les lumières de hanoukka (qui signifie inauguration, en l’occurrence, celle d’un temple purifié des souillures du paganisme grec), on s’en réfère à Antiochus Epiphane qui, vers la fin du seconde siècle avant notre ère, a voulu helléniser la religion d’Israël et l’introduire dans un douteux syncrétisme qui provoqua une révolte armée. Et comme l’histoire religieuse ne saurait se passer d’au moins un fait miraculeux, on a parlé d’une fiole d’huile qui avait miraculeusement échappé à la désacralisation. Destinée à n’allumer la ménorah (le chandelier) que pour une journée, elle dura en fait une huitaine, d’où la fête de hanoukka…
Nul ne doutera de la véracité du fait historique, même s’il nous a été livré avec quelques embellissements mais ce qui est intéressant, ce sont les modalités, c’est-à-dire l’insertion d’une certaine cérémonie à une certaine période de l’année. Je m’explique ; si hanoukka tombait en plein mois de juin, aurions nous associé à cette commémoration l’idée de lumières brillant dans l’obscurité d’un mois de décembre ? J’en doute fortement. C’est probablement le peu d’ensoleillement et la rapide tombée de la nuit en ces jours d’automne qui ont poussé les Docteurs des Ecritures (je rappelle que Hanoukka n’est pas une fête biblique, ce sont les Sages qui l’ont instituée) à y associer le symbole de la lumière… Après tout l’humanité a toujours préféré la vie à la mort, la bonne santé à la maladie et la lumière à l’obscurité.
Mais comment en sommes nous arrivés à la fête des Lumières de Lyon ? Je rappelle que c’est Saint Irénée qui, vers la fin du second siècle de notre ère, a mis de l’ordre dans les Evangiles. Est il concevable que des séquelles d’âme juive aient subsisté dans l’esprit de bons chrétiens qui se souvinrent de cette lumineuse tradition qu’ils auraient maintenu et conservé mais en la dépouillant de son contenu originel pour lui conférer une allure purement climatologique, si j’ose dire : au cœur de l’automne, alors que l’hiver approche et que la vie des hommes est modulée suivant la lumière du jour, on a institué une célébration, religieuse chez les uns, et purement civile chez les autres…
On pense aussi que le sapin de Noël est une tradition authentiquement chrétienne alors que ce sont les populations des pays nordiques qui ont introducit ce fait puisque cet arbre conserve sa belle couleur verte alors que tous les autres perdent leurs feuilles et semblent si tristes. Et aujourd’hui, pour les plus intégristes des catholiques, un Noël sans sapin est inconcevable !
Quand j’étais enfant, je me souviens que l’allumage des bougies de hanoukka avait de l’importance mais pas autant que ce que nous vivons aujourd’hui où des jeunes gens et des adultes, peu observants, ne manquant pas l’allumage d’une seule bougie. D’autres organisent même des dîners en famille au cours desquels nous nous retrouvons autour d’une belle table.
Il existe aussi un autre début de syncrétisme, ce sont les cadeaux offerts aux enfants, ce qui n’est pas sans rappeler Noël où tout le monde, chrétien ou pas, offre et reçoit des cadeaux. Quel phénomène intéressant d’anthropologie religieuse !
Quand j’étais professeur à l’Université de Heidelberg, je me souviens de l’allumage des bougies de Hanoukka devant un public protestant à 99% !
Il est vrai que les Allemands ont même inventé un néologisme à ce sujet : Noël se dit Weihnachten et , ajouté à Hanoukka, cela donne Weihkukka !
Mais il est temps pour moi de stopper ces rapprochements intereeligieux qui ne sont pas du goût de tous….