Chronique d'Israël 3
Chronique d’Israël (3)
Journée à Tel Aviv dans deux quartiers pleins de charme, Newe Tsédék et Nahalat Benjamin. C’est tout près du boulevard Rothschild. Sitôt la route traversée, on se trouve dans des quartiers sympathiques où les maisons basses exhibent une architecture de style Bauhaus ou purement orientale. Des colonnes ornant les façades de belles maisons particulières, des allées ombragées et parfois des inscriptions comme celles que j’ai pu lire même sans lunettes évoquant qu’à cet emplacement là précisément se tenait une position de la Hagganah. Quand je réalise qu’à moins de cent mètres derrière moi se trouve des gratte-ciels ultra modernes, des tours qui feraient pâlir celles de la Défense à Paris, et qu’ici, face à moi il y a encore de vieilles bicoques qui doivent valoir de l’or mais qui attendent, là, dans la poussière, le bon vouloir de puissants spéculateurs immobiliers.
Le long de la route menant de Natanya à Tel Aviv, le joyau des s tart up d’Israël est là. Toutes ces jeunes sociétés israéliennes affichent une réussite presque insolente. Ah, si Gaza et ses terroristes avaient choisi la voie du progrès et de la paix, ils construiraient des objets électroniques servant à l’imagerie médicale, à l’agriculture et aux techniques d’irrigation, au lieu de s’ingénier à fabriquer des engins de mort et de destruction.
Chemin faisant, je remarque des synagogues richement décorées avec toutes sortes de noms. Israël est le pays des juifs, il est normal de trouver des synagogues à tous les coins de rues. A Genève, ce sont des banques.. Chacun vénère la divinité qu’il a choisie. Mais je poursuis mes flâneries à travers ces rues qui semblent sorties des années soixante ou même cinquante en Afrique du nord. Mais le soleil reprend tous ses droits et me ramène à la réalité. Il faut manger et surtout boire.
D.veut absolument que nous déjeunions au restaurant de l’hôtel Montefiore. Après de grandes difficultés nous finissons par trouver et là quelle déception_ Une foule de jeunes qui attendent pour manger, des serveuses snobes et idiotes qui vous disent que l’attente dépasse la demi heure et que rien n’est garanti Bref l’horreur ! Vous savez, tous ces établissements qui s’adonnent à la communication, jouissent d’une grande diffusion, véritable poudre aux yeux et quelques mois, voire quelques années après, retombent dans l’oubli ou dans l’obscurité qu’ils n’auraient jamais dû quitter.. Si vous pouvez manger ailleurs, alors qua vous êtes dans le coin, surtout ne vous gênez pas, il y a de nombreux petits restaurants italiens où vous serez bien mieux reçus. N’hésitez surtout pas, vous vous épargnerez une belle déconvenue.
Au boulevard Rothschild, se trouve une belle galerie d’art de M. Séguev. Si vous aimez la peinture moderne, vous pourrez contempler de belles expositions. Une jeune homme qui répond au nom de Amnon vous y accueillera fort bien. Et vous ne regretterez pas votre visite dans ce coin.
Mais après ce circuit touristique, j’en viens à deux points que j’ai pu suivre hier à la télévision : a) le code Hannibal de l’armée israélienne, et qui a fait l’objet de débats à la suite de la mort du jeune sous lieutenant Goldin ( ?) b) un débat sur la possible déshumanisation de l’ennemi lors de guerres.
Vous vous souvenez de cette rumeur qui a fait frémir tout Israël qui y a vu la résurgence de l’affaire Shalit, ce jeune caporal, détenu cinq ans durant dans les geôles du Hamas et libéré contre un peu plus de mille terroristes dont certains avaient les mains rougis de sans et qu’Israël s’était promis de ne jamais libérer avant qu’ils n’aient purgé leur peine.. Echaudée par un événement qui a empoisonné littéralement toute la vie politique de ce pays durant cinq années, tant les dirigeants politiques que les généraux ont mis au point un code dit Hannibal prévoyant les contre mesures à prendre pour éviter un nouveau rapt de soldat, mort ou vif. La question s’est donc reposée, au moins théoriquement, avec le cas de ce pauvre sous lieutenant qui est mort, probablement ainsi que ses ravisseurs et agresseurs. Durant le débat, la question qui revenait sans cesse en filigrane était la suivante : a-t-on délibérément sacrifié le jeune sous lieutenant, déjà grièvement blessé ? A-t-il péri sous un feu ami (friendly fire) ? En termes plus brutaux, est ce la nouvelle doctrine militaire qui a été appliquée à la lettre, douloureuse décision où la mort du soldat, en passe d’être enlevé, est toujours meilleure que sa détention longue et inhumaine entre les mains d’un ennemi implacable ? Le débat fut cornélien. Certes, le général à la retraite qui répondait aux questions de la journaliste a utilisé des chefs d’œuvre de contournement pour ne pas avoir à appeler un chat un chat ; mais entre les lignes, la chose était claire : on a enseigne aux soldats comment se sortir de cette situation, mais si le cas est désespéré, Tsahal ratisse mètre par mètre la zone et sous un feu nourri, neutralise les agresseurs qui ne doivent pas s’en sortir vivants. Que devient alors le soldat pris en otage ? Il faut un miracle pour qu’il échappe au feu nourri de ses camarades. Enfin, lorsqu’on est sûr d’avoir tué les agresseurs, les autorités rabbiniques de Tsahal décrètent la disparition de la victime. On évite ainsi à tout le pays les affres d’une longue attente, incertaine et insupportable.
Il est regrettable que les opinions publiques internationales, si hostiles à Israël ne puissent pas prendre connaissance de ce débat diffusé en hébreu. Ces mêmes gens qui n’ouvrent la bouche que pour condamner l’Etat juif, auraient été impressionnés par la haute valeur morale de ce débat. Leurs préjugés qui leur montrent une armée israélienne peu regardante sur les moyens auraient volé en éclats. Aucune autre armée au monde ne s’embarrasse de tels débats. Les armées du monde civilisées n’ont jamais hésité à bombarder des zones habitées chaque fois qu’elles identifient une source de feu, elles la neutralisent.
Et ceci me sert de transition pour le second débat qui fut de moins bonne qualité en raison de la personnalité nettement moins bonne d’une jeune femme qui accusait inconsidérément l’opinion publique israélienne de déshumanisation de l’ennemi. Avec tout le respect qu’on peut avoir pour les opinions des gens, notamment les gens qui se disent de gauche, la société israélienne ne réalise pas le mal qu’elle se fait à elle-même en se grisant de ce sentiment de culpabilité imaginaire qui aboutit souvent à une incurable haine de soi. Lisez le livre de Théodore Lessing, La haine de soi. Le refus d’être juif (Agora) et vous comprendrez à quoi je fais allsuion…
Tout est parti d’un discours (que je n’ai pas entendu) d’un ministre israélien Yaïr Lapide au mémorial de la Shoah à Berlin. L’homme, ancien boxeur et ancien journaliste, aurait évoqué les méthodes nazies de déshumanisation des juifs au cours de la seconde guerre mondiale. Il aurait ensuite montré que l’armée d’Israël et le peuple juif en général ne se sont jamais rendus coupables d’un tel traitement, eu égard aux valeurs pluriséculaires transmises par la tradition juive, une tradition obsédée par l’éthique, même en temps de guerre. C’est alors que la jeune femme dont je n’ai pas retenu le nom, a prétendu que certains en Israël utilisaient des expressions comme il faut finir le travail, on ne s’arrêtera que lorsque le travail aurait été achevé, ect, etc.. Elle a maintenu que de telles expressions déshumanisaient l’ennemi, en l’occurrence les Palestiniens. Comme de tels arguments ne suffiraient pas à étayer ses allégations, la dame, qui a raté une rare occasion de se taire, a enchaîné en mentionnant le ministre Avigdor Libermann qui recommande depuis des lustres de ne pas se servir dans els magasins arabes..
Que faut-il retenir de tout cela ? Je crois qu’il y aura toujours une conscience juive inquiète et malheureuse. Je prendrai un simple exemple dans un domaine entièrement inattendu et qui a longtemps retenu mon attention : l’abattage rituel, la nécessité d’observer certaines règles quand on prend la vie aux animaux de boucherie afin de s’en nourrir. Et tant que nous n’aurons pas découvert des protéines de synthèse susceptibles de nous apporter les mêmes nutriments dont nous avons besoin, il y aura des abattoirs
C’est encore une fois cette conscience juive, écartelée entre la nécessité de se nourrir et le crime qui consiste à sacrifie un animal, un être vivant, qui a dicté ces règles de la shehita (abattage rituel) C’est pour cette raison que tout animal qui n’aura pas été sacrifié selon les règles est déclaré illicite et appelé teréfa. Et que veut dire ce terme ? Déchiqueter, mettre à mort de manière barbare et inhumaine. Souvenez vous du verset de la Genèse où le patriarche Jacob pousse un gémissement en apprenant que son fils Joseph a été tué ; il dit : tarof touraf beni Yosseph : mon fils Joseph a été déchiqueté par une bête de proie..
Sans sombrer dans l’apologétique dont je me suis toujours tenu très éloigné, je dois reconnaître qu’aucune autre religion ou spiritualité n’a jamais agi de la sorte. Le bouddhisme, lui, a réglé le problème en interdisant purement et simplement la consommation de chair animale..
Passons à autre chose tout en restant dans le même ordre d’idées. Dans un hôpital de cette ville, un établissement réputé pour sa stricte application des préceptes divins ; le vendredi en fin d’après midi, avant le coucher du soleil, on fait passer dans toutes les chambres des malades des plateaux avec des bougies pour que les patients célèbrent comme il se doit l’entrée du chabbat Certes, il arrive qu’un barbu entre dans une chambre le jour du chabbat pour vérifier que nul n’utilise son téléphone portable ce jour là.. Là, je suis moins d’accord, de même que celui qui vient rappeler qu’il ne faut pas donner de lait à une vielle dame malade car elle a consommé de la viande durant son repas... Les gens font ce qu’ils veulent et on ne refusera à personne l’entrée au paradis pour cela.. Mais que voulez vous ? Toute médaille a son revers.
Mais pour un juif, quel que soit son degré d’orthodoxie, il est impossible de rester de glace lorsque même le maître nageur vous souhaite à son microphone, à vous et à tous ceux qui se trouvent sur la plage : un vibrant chabbat chalom. Je reconnais que, si attaché que je sois à la culture européenne, c’est une ambiance à laquelle je demeure très sensible. Ce coucher de soleil qui annonce l’entrée du chabbat ne ressemble pas, à mes yeux, aux précédents couchers de soleil. De même ; le coucher du soleil du lendemain, marquant la fin du chabbat, a toujours été pour moi empreint de mystère, surtout quand on m’expliqua, alors que je n’étais qu’un enfant, qu’a ce moment là, les damnés de l’enfer, bénéficiant d’une permission durant le chabbat, devaient regagner leur lieu de torture
Toujours cette obsession de la paix et de l’équité, dénoncé par Fr. Nietzsche dans sa Généalogie de la morale.
Après tout, ce n’est pas un hasard si c’est ce même peuple, le peuple d’Israël, qui a fait l’apostolat du messianisme à l’humanité ;
Maurice-Ruben HAYOUN