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Des murs en général et de ceux de Berlin et de Jérusalem en particulier

 

Des murs en général et de ceux de Berlin et de Jérusalem, en particulier

La commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, dit le mur de la honte, relance le débat autour du symbole des pierres murales. Mais cela nous aide aussi à faire un rapprochement un peu audacieux entre ce couple antinomique : le mur de Berlin qui a coupé tout un pays, voire tout un continent en deux entités antagonistes, et un autre mur, seul vestige du grand temple de Jérusalem dont la religion  juive pleure la chute depuis deux millénaires et que nombre de ses adeptes appellent de leurs vœux et de leurs feux la reconstruction et le rétablissement de son culte.. Le statut de la pierre est un peu particulier dans la Bible, et donc dans l’Antiquité. On ne compte plus les stèles, les monuments, les mémoriaux, les monuments aux morts, les pierres tombales, etc… Et même la caractéristique première de cet élément minéral n’est jamais oubliée : la résistance (ce que explique la prédilection du culte idolâtre pour les statues), la dureté, l’inflexibilité, voire l’inhumanité. Ainsi des exhortations des prophètes qui implorent que l’on substitue un cœur de chair à un cœur de pierre.. Et puis aussi, les pierres qui nous survivent et peuvent porter témoignage contre nous puisqu’elles ont gardé la mémoire muette de nos méfaits. Ainsi de l’expression biblique (reprise par Rashi, le commentateur champenois de la Bible au XIIe siècle), qui écrivit jadis : si les pierres du mur pouvaient parler… Les murs ne sont pas faits que de pierre, par exemple le mur du silence, le mur de la honte (voir supra), le mur de la haine, le mur de méfiance séparant deux individus ou deux nations, etc… Mais ce qui frappe par dessus ici, en ces temps de commémorations, ce sont l’usage, la nature et la vocation des murs et des pierres dans ces différents contextes. Pour Berlin, le mur séparait des frères ennemis, ralliés à des systèmes d’alliance opposés, pacte de Varsovie contre Otan, deux ordres sociaux qui se font la guerre, même après la guerre et qui n’ont rien trouvé de mieux pour sceller leur désunion  que d’ériger un mur. A Jérusalem, le mur est un vestige du grand Temple, un mur de pierres entre lesquelles, même le Saint Père a glissé une prière écrite sur une feuille de papier, comme si les lettres de cette oraison jaculatoire allaient virevolter pour accéder au Ciel, libérées de la pesanteur de la pierre que sa gravité empêche de s’lever. Ce mur dont les juifs souhaitent au plus profond d’eux-mêmes qu’il ne tombe jamais mais qu’il soit, au contraire, reconstruit et élargi pour retrouver son lustre et sa gloire d’antan. On oublie, en effet, que la foi des croyants a fait de cette petite chapelle royale, à l’origine, un temple majestueux proposé au culte de l’humanité monothéiste… … Mais ce qui est un peu attristant, c’est que, non loin de ce mur de pierres, quintessence d’une inébranlable foi en Dieu, des manifestants arabes, se sentant menacés par certains, jettent des pierres sur d’autres orants, venus eux aussi prier le même Dieu. Certains prient face à un mur, et leurs contradicteurs et opposants en font de même dans une autre maison de Dieu. Comment se sortir de ce débat ? Je sais bien que Hegel qui n’était pas un tendre s’est laissé aller à dire un jour que seule la pierre est innocente (elle ne pompe l’air à personne, si j’ose dire) sans oublier qu’elle peut devenir, à l’occasion, une arme létale, comme on dit aujourd’hui, par la lapidation. D’un côté des pierres qui séparent et qui tuent, de l’autre, des pierres vénérées, vestiges d’une gloire passée mais d’une ferveur religieuse toujours présente. Dans la Bible, les pierres posées les unes sur les autres symbolisent le témoignage, la mémoire mais aussi le pacte et l’alliance. A preuve les pierres prélevées par le patriarche Jacob qui s’en fait une sorte d’oreiller, dans le livre de la Genèse : c’est si important que la Bible hébraïque utilise dans un passage voisin, le terme hébreu gal ‘éd, et lui adjoint son synonyme araméen pour être sûre qu’on l’a bien comprise : yegar shahadouta. On reconnaît ici, dans ce vocable araméen, la racine du mot arabe qui a donné martyr, le chahid (plural al-Chuhada). Et hélas, après la mort, il y a la pose de la pierre tombale. N’oublions ce que Jésus dit à Pierre au sujet de la première pierre de son église… Preuve supplémentaire que le «doux rêveur évangélique» (Ernest Renan) s’exprimait bien en hébreu… Mais il faut conclure sur une note optimiste : face à la temporalité de notre monde, face à la brièveté de l’existence humaine, on lit dans le livre du prophète Isaïe ( (56 ;5), que les eunuques se demandaient si leur état ne leur interdirait pas de se joindre à la communauté des croyants ; et voici la réponse qui leur est faite : mieux que des fils, je leur donnerai une main et un nom (Yad wa-Shem, expression qui est devenue une institution en Israël) dans ma maison et mes murailles… Et dans la muraille il y a aussi le mot mur…

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